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Antonio Gramsci : Je veux que chaque matin soit pour moi une année nouvelle

par Roberto Ferrario

Publie le samedi 31 décembre 2016 par Roberto Ferrario - Open-Publishing
2 commentaires

Il ne faut pas qu’on se sente "agressés" juste parce qu’on fait le réveillon, bien légitime. Et que ce sentiment de "légitime défense" nous empêche de tirer du texte de Antonio Gramsci ce qui est une réflexion très intéressante sur les dates, les commémorations, le découpage de l’Histoire etc. Qui est un bon point de départ pour penser, échanger, débattre, d’accord pas d’accord, sans le prendre de façon trop simpliste ni au premier degré. Je vous souhaite un nouveau bon année des luttes... Ciao a presto !!!

Roberto Ferrario porte parole du Collectif Bellaciao


Je hais le nouvel an

Chaque matin, à me réveiller encore sous la voûte céleste, je sens que c’est pour moi la nouvelle année.

C’est pourquoi je hais ces nouvel an à échéance fixe qui font de la vie et de l’esprit humain une entreprise commerciale avec ses entrées et sorties en bonne et due forme, son bilan et son budget pour l’exercice à venir. Ils font perdre le sens de la continuité de la vie et de l’esprit. On finit par croire sérieusement que d’une année à l’autre existe une solution de continuité et que commence une nouvelle histoire, on fait des résolutions et l’on regrette ses erreurs etc. etc. C’est un travers des dates en général.

On dit que la chronologie est l’ossature de l’Histoire ; on peut l’admettre. Mais il faut admettre aussi qu’il y a quatre ou cinq dates fondamentales que toute personne bien élevée conserve fichée dans un coin de son cerveau et qui ont joué de vilains tours à l’Histoire. Elles aussi sont des nouvel an. Le nouvel an de l’Histoire romaine, ou du Moyen Âge, ou de l’Époque moderne.

Et elles sont devenues tellement envahissantes et fossilisantes que nous nous surprenons nous-mêmes à penser quelquefois que la vie en Italie a commencé en 752, et que 1490 ou 1492 sont comme des montagnes que l’humanité a franchies d’un seul coup en se retrouvant dans un nouveau monde, en entrant dans une nouvelle vie. Ainsi la date devient un obstacle, un parapet qui empêche de voir que l’histoire continue de se dérouler avec la même ligne fondamentale et inchangée, sans arrêts brusques, comme lorsque au cinéma la pellicule se déchire et laisse place à un intervalle de lumière éblouissante.

Voilà pourquoi je déteste le nouvel an. Je veux que chaque matin soit pour moi une année nouvelle. Chaque jour je veux faire les comptes avec moi-même, et me renouveler chaque jour. Aucun jour prévu pour le repos. Les pauses je les choisis moi-même, quand je me sens ivre de vie intense et que je veux faire un plongeon dans l’animalité pour en retirer une vigueur nouvelle.

Pas de ronds-de-cuir spirituels. Chaque heure de ma vie je la voudrais neuve, fût-ce en la rattachant à celles déjà parcourues. Pas de jour de jubilation aux rimes obligées collectives, à partager avec des étrangers qui ne m’intéressent pas. Parce qu’ont jubilé les grands-parents de nos grands parents etc., nous devrions nous aussi ressentir le besoin de la jubilation. Tout cela est écœurant.

Aussi pour cette raison j’attends le socialisme. Car il jettera à la poubelle toutes ces dates qui désormais n’ont aucune résonance dans notre esprit et, s’il en créera d’autres, elles seront au moins les nôtres, et non pas celles que nous devons hériter, sans bénéfice d’inventaire, de la bêtise de nos ancêtres.

Antonio Gramsci, 1er janvier 1916

version italienne ici :
http://bellaciao.org/it/spip.php?article34700

Messages

  • Très beau texte de Gramsci entr’autres bien sûr, ses écrits sont tous d’une richesse inoubliable . Ainsi à la veille de sa disparition il perçoit très bien un capitalisme qui a besoin de guerre pour survivre et tromper les Peuples sur sa véritable nature violente !J’aime rappelé cet autre écrit de Gramsci où j’en extrais : "le neuf tarde à naître car voilà, l’heure où surgissent les monstres" Parce que c’est une autre crise économique violente que nous traversons rejetant sur la paille et dans l’exclusion nos citoyens dont les chiffres dévoilés sont loin de la réalité reconnue par certains économistes ! Bravo à vous Bellaciao pour le travail formidable que vous faites ! C’est une nécessité que nous avons d’apprendre autre chose que les lavages de cerveaux quotidiens ! Et enfin pouvoir échanger entre nous lorsque besoin est des opinions souvent diverses mais toutes tintées d’hostilités à ce foutu et odieux régime capitaliste combattus de toujours par tous les Philosophes Humanistes ! Pour l’immédiat nous verrons bien si un pas en avant peut être fait s’il y a Unité du courant Révolutionnaire et Progressiste ! Bonne année à vous tous aussi !