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Argentine : à un an des assassinats de Dario et Maxi

Publie le vendredi 20 juin 2003 par Open-Publishing

Le 26 juin 2002, une marche de chômeurs était sauvagement attaquée par
la Police Fédérale Argentine sur le Pont Pueyrredon qui sépare la
capitale Buenos Aires de ses banlieues pauvres. Le bilan fut de deux
morts (Dario Santillan et Maxi Kosteki) et plus de cinquante blessés par
balles (dont dix très grièvement). Depuis cette date, les Mouvements de
travailleurs sans emploi (MTD) de la Coordination Anibal Veron coupent
le Pont Pueyrredon tous les 26 du mois, exigeant que les responsables
du massacre soient jugés et condamnés.

Ce mois ci, en raison du premier anniversaire, les MTD ont décidé
d’organiser une journée politique et culturelle le 21 juin, un
campement sous le pont la nuit du 25 et une coupure de celui ci le 26.
cette occasion, ils ont édité un livre sur les évènements du 26 juin
2002 qui relate les faits et aborde sous forme d’entretiens avec les
personnes concernées les conséquences en terme individuel et collectif
(imprimé par l’imprimerie Chilavert, récupérée par ses travailleurs, il
contient 180 pages illustrées de photographies et mis en vente au prix
de 2,50 pesos (0,80 euro).

Extrait d’un texte de Roberto et Martha, paru dans le Monde Libertaire
du
19 septembre 2002 :

« (...) Même si toutes les vies ont la même valeur, nous voudrions
présenter ces deux figures exemplaires (Dario et Maxi) à la communauté
mondiale et particulièrement à nos camarades de lutte contre la
globalisation néolibérale, nous croyons qu’ils méritent l’honneur de
prendre place dans notre panthéon et de demeurer dans la mémoire
collective. Nous n’avons pas confiance dans la justice argentine qui
devra éclaircir ces deux crimes, mais nous sommes convaincus qu’une
enquête impartiale conclurait que ces deux morts ne sont dues ni aux
circonstances ni au hasard ; il est établi qu’ils ne sont pas morts
pendant les affrontements - qui rappelaient tellement ceux de Palestine
avec ces enfants qui jettent des pierres d’un côté et ces policiers qui
tirent avec du plomb de l’autre - mais pendant la chasse à homme qui
suivit.
Dario Santillan avait vingt et un an et depuis deux ans participait au
Mouvement des travailleurs sans emploi (MTD) de Lanus, dans la banlieue
de Buenos Aires. Il ne participait pas, il « vivait » dans le
Mouvement,
car ces organisations procurent à leurs membres un cadre de vie, un
cadre qui se révèle nécessaire quand la société officielle argentine
laisse de côté des millions de complets marginaux. Quelques jours
auparavant, Dario avait guidé la journaliste Laura Vales, du quotidien
Pagina 12, jusqu’au bidonville où il vivait, la mettant en contact avec
ses voisins, pour connaître les diverses expériences d’assistance
mutuelle et de production autogérée grâce auxquelles ils affrontent la
crise. Au sein de l’organisation, Dario se consacrait à la production
de
matériaux avec lesquels les membres de l’organisation ont commencé à
construire leurs propres maisons ; Dario lui-même, avec son frère,
avait construit sa maison dans un quartier qui ne s’appelle pas par
hasard « La Fe » (La Foi). La journaliste passa la matinée du 26 avec
lui ; il était
tranquille, insouciant et fier de l’ampleur - mille personnes- de la
manifestation qu’il avait organisée. Nous avons des témoignages sur sa
mort : pendant la poursuite, Dario sétait réfugié avec d’autres dans la
gare d’Avellaneda. Quand un des garçons qui était avec lui a été
blessé,
Dario a décidé de rester avec lui pour le soigner, tout en conseillant
aux autres de continuer jusqu’à ce qu’ils trouvent un meilleur refuge.
La police la rejoint et la assassiné à bout portant.
Pour l’instant, nous avons moins d’informations sur Maximiliano Kosteki
 :
il avait 25 ans et appartenait au MTD de Solano. Il est mort dune balle
en pleine poitrine. Selon ses camarades, « Maxi était un référent du
mouvement », le référent étant le poste le plus important dans ce type
d’organisation horizontale qui est dépourvue de dirigeants au sens
habituel.
Ce « très dangereux subversif », comme le présente la version
officielle,
travaillait à l’université autogérée du MTD de Solano, où il était,
entre autre, chargé de la bibliothèque.
Il est important de signaler que le MTD de Solano fait partie avec
d’autres mouvements de la coordination Anibal Veron (du nom d’un
piquetero tué par la police). (...) Le trait distinctif de la
coordination Anibal Veron est son attitude politico-sociale, la manière
créative dont ils assument
l’expérience des luttes antérieures (particulièrement celles des années
70) et la façon dont ils s’approprient -en dépit des conditions de vie
sous-humaines - les nouvelles orientations qui guident les courants
majoritaires du mouvement social mondial. En proclamant leur totale
indépendance par rapport à l’Etat et aux mouvements politiques y compris
ceux de gauche - les membres de la coordination affirment qu’ils ne
luttent pas « pour la prise du pouvoir » mais pour provoquer dès
maintenant un changement du système social en reconstruisant des
relations solidaires et collectives. Pour eux, seule l’autodéfense
justifie l’usage de la violence qui doit se limiter à la résistance et
non à l’agression. L’auto-éducation et la production autogérée sont au
coeur de la vie du Mouvement ; le fonctionnement horizontal est la
règle
et les décisions sont prises à la majorité, la perspective générale est
de construire des espaces d’autonomie, ce qui leur semble une meilleure
tâche que la conquête du pouvoir : les Mtd luttent pour se
ré-approprier la vie, la tenir dans leurs mains et, sil nest pas
possible de construire un paradis, sortir au moins de l’enfer. Dario
Santillan et Maximiliano Kosteki aimaient la vie et la vivaient
pleinement, lui
donnant tout son sens collectif par le développement du conflit social.
Ils ne cherchaient pas la mort, pas même une mort héroïque dans une
révolution qui se transforme en cauchemar, mais à exercer leur droit
inaliénable à se révolter, à construire un monde nouveau. Sous quelque
latitude que se trouvent les êtres solidaires nous leur demandons de ne
pas les oublier et d’avoir pour eux une pensée émue comme celle que,
des antipodes de la « civilisation », nous avons eue pour Carlo
Guiliani, le jeune assassiné à Gênes. »