Accueil > Atomic Anne L.

Atomic Anne L.

Publie le jeudi 10 novembre 2005 par Open-Publishing

L’arrivée d’Anne Lauvergeon à la direction de ce qui était encore la Cogema, en 1999, a suscité des commentaires grinçants. Fonctionnaire de haut niveau, issue du sérail des "grandes écoles" françaises, ancienne proche de François Mitterrand, elle est nommée par le gouvernement Jospin à la tête de ce conglomérat d’Etat spécialisé dans le combustible et le retraitement nucléaires, où on ne l’attend pas vraiment.

On lui prédit alors les pires difficultés. Elle restructure l’ensemble à la machette et le met au régime sec. En 2001, elle convainc le gouvernement de créer le n° 1 mondial de l’énergie nucléaire en fusionnant la Cogema, Framatome-ANP et CEA-Industrie. Le nouvel ensemble fournit du combustible, retraite les déchets et assure la maintenance des centrales. Il emploie aujourd’hui 70.000 personnes et a terminé 2004 avec des bénéfices en hausse de 10 % (à près de € 430 millions), ses ventes s’élevant à € 11 milliards.

La surdouée de la diplomatie est devenue une star des affaires. Le mois dernier, elle était l’une des vedettes du Forum mondial des femmes pour l’économie et la société, à Deauville. A 46 ans, elle trône désormais au top des classements mondiaux des femmes d’affaires les plus puissantes. Elle est même la plus puissante hors des Etats-Unis selon le mensuel américain Fortune, arrive en 6e position du classement mondial des "Femmes à suivre" du Wall Street Journal, et occupe la 2e place de la liste des 25 femmes d’affaires les plus influentes établie par le Financial Times.

Réseau planétaire
Anne Lauvergeon est une "grosse tête", ingénieur diplômée de deux des plus prestigieuses écoles française : "Normale Sup’", où elle a obtenu l’agrégation de physique, et l’Ecole des mines de Paris.

Son cursus est également marqué politiquement. De 31 à 36 ans, elle a été "sherpa" de François Mitterrand, préparant tous les sommets internationaux auxquels il assistait. On imagine le réseau planétaire de décideurs qu’elle a pu ainsi tisser... Un exemple ? En octobre 2002, lors d’une visite officielle à Paris, le Premier ministre chinois Zhu Rongji l’interpelle par son nom, à la grande jalousie de nombre de présents. Ernest-Antoine Seillière, alors patron des patrons français, aurait demandé sur-le-champ à l’ancienne sherpa quelle était sa recette !

"Je vous ai choisie parce que vous savez dire non en souriant", lui aurait confié l’ancien président français. Elle l’a prouvé : dans la banque d’affaires (elle fut associée-gérante chez Lazard), elle s’est heurtée de front à Edouard Stern, gendre et dauphin désigné du big boss Michel David-Weill. Elle est ensuite devenue directrice générale adjointe d’Alcatel, où le patron, Serge Tchuruk, lui a, dit-elle, "montré comment mettre une entreprise sous tension".

A la tête d’Areva, elle a également bénéficié d’un effet d’opportunité. Avec les tensions sur les marchés du pétrole, le nucléaire a le vent en poupe. L’effet Three Mile Island et Tchernobyl (deux accidents très graves du nucléaire civil) s’estompe vite. Les efforts de communication déployés par Anne Lauvergeon, aidée par un spécialiste recruté chez Hermès (ouverture de la centrale de La Hague au public, installation de webcams dans ce site sensible, parrainage d’un voilier, campagne de pub, etc.) n’ont pas relâché la pression des écologistes.

Ceux-ci ne sont pas convaincus par son argument-choc : le nucléaire, contrairement aux autres centrales, ne génère pas de gaz à effet de serre. Pour elle, le nucléaire est une énergie verte. Les écolos rétorquent que le problème du traitement et du stockage des déchets radioactifs générés est loin d’être réglé. L’Inde, la Corée du Sud et la Chine, dont le développement économique est effréné, ne s’embarrassent toutefois pas d’états d’âme. Anne Lauvergeon et Areva tirent parti du fait que ces pays n’ont pas le temps d’attendre. Sous la houlette de son infatigable patronne, Areva collectionne donc les contrats internationaux : Finlande, Etats-Unis, Chine, etc.

En disgrâce ?
La consécration attendue par "Atomic Anne" n’est pourtant pas pour demain : le gouvernement français vient d’annoncer qu’il ajournait sine die l’entrée en Bourse de 30 % à 40 % du capital d’Areva.. Un coup dur pour la patronne, qui la préparait depuis quatre ans.

Est-ce parce qu’elle refuse toute idée de fusion avec un des grands malades de l’industrie française, Alstom, qu’elle a perdu des appuis au ministère de l’Economie et des Finances ? Thierry Breton, nouveau détenteur du portefeuille, s’est en tout cas opposé au projet, à l’inverse de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy. Le Premier ministre a annoncé la nouvelle en mentionnant des impératifs stratégiques. On chuchote qu’Anne Lauvergeon et son état-major n’ont été prévenus que la veille. Le signe d’une disgrâce, alors que son mandat arrive à échéance en juin prochain ? Même si c’était le cas, Anne Lauvergeon a tous les atouts - et les réseaux - pour rebondir.

Ariane Petit
http://www.trends.be/CMArticles/Sho...