Accueil > BRISER LE SILENCE
Le mouvement social des peuples de l’Oaxaca qui s’est aggloméré dans
l’APPO a donné envie à des milliers de femmes et d’hommes de saisir cette
occasion de lutter pour des causes justes et honnêtes et pour construire
un monde meilleur. Il a cependant aussi attiré des femmes et des hommes
qui profitent des mouvements sociaux pour assouvir leur soif de pouvoir,
d’argent et de renommée. Il est certain que des mois durant, les
mobilisations populaires du peuple de l’Oaxaca s’emparant de la rue,
illustrées par des marches de milliers de participants, l’occupation de
radios et d’administrations et les nombreuses barricades, ont tenu en
respect la volonté de pouvoir de certaines personnes, mais la brutale
répression que nous avons tous subis en novembre 2006 et, surtout,
l’approche des élections de 2007 ont ravivé la soif viscérale de ceux qui
recherchent le pouvoir.
Lors de l’Assemblée de l’Oaxaca de l’APPO des 10 et 11 février 2007, des
compañeras et des compañeros de différentes organisations et différents
quartiers et collectifs, dont j’étais, sont restés fermes dans leur
conviction, parvenant à empêcher que les principes de l’APPO ne soient
bafoués, mais ont surtout voulu éviter que notre mouvement, le sang versé
et la souffrance de l’ensemble du peuple de l’Oaxaca ne servent les buts
de ceux qui osèrent demander dans cette assemblée que l’APPO participe à
l’élection de députés à un congrès dont tous et toutes exigeaient la
disparition pure et simple, à peine quelques mois auparavant. Évidemment,
une telle résistance n’a pas manqué de provoquer la haine et la rancune de
tous ceux et de toutes celles qui voyaient leurs sordides ambitions
contrecarrées de la sorte.
C’est au cours de cette assemblée que Guadalupe García Leiva, appartenant
au Collectif du 2 mars et liée au Front populaire révolutionnaire (FPR),
m’avait personnellement accusé devant l’assemblée d’être un policier et un
voleur, ajoutant qu’elle menait son enquête sur mon cas.
Quelques jours plus tard, d’autres membres du FPR, notamment Florentino
López Martínez, Zenén Bravo Castellanos, Gustavo Adolfo, ainsi que Fidelia
et Belem, deux femmes liées à cette organisation, réitéraient cette
accusation au cours d’une réunion avec des femmes et des hommes qui
avaient courageusement participé aux barricades de Simbolos Patrios et de
la Colonia de Santa María et voulurent renforcer leurs accusations en
projetant une vidéo.
Les rumeurs et le harcèlement dont j’ai fait l’objet sont allé crescendo,
au point que, le 13 avril, j’ai été arrêté brutalement sur le Paseo Juárez
El Llano, mis au secret et frappé pendant des heures avant d’être
finalement conduit à l’UMAN-PGR où l’on a fabriqué de toutes pièces un
dossier d’accusation pour possession et vente de stupéfiants. Après quoi,
j’ai été transféré à la prison de Santa María Ixcotel, où j’ai eu la
surprise d’apprendre qu’un autre procès était instruit contre moi pour
sédition, association de malfaiteur et incendie volontaire.
Le 15 avril, au matin, devant la mobilisation de ma famille et de mes
proches et la solidarité populaire dont je bénéficiais, la même Guadalupe
García Leiva déclarait à l’institut IAGO que j’avais été relâché le matin
même, ce qui était manifestement faux mais avait pour but évident de
saboter la marche organisée pour exiger ma libération.
En ce moment même, alors que je croupis en prison, j’apprends que les
agressions et accusations de ces individus continuent de plus belle et
qu’ils font courir le bruit – digne de gens malhonnêtes qui ne savent pas
ce que c’est que de dire la vérité – que mon arrestation et mon
incarcération ne sont qu’une farce orchestrée par le gouvernement. Et que
non content de cela, et devant l’impossibilité de me nuire encore
directement, ils s’en prennent à ma famille et à mes amis. Le 1er mai,
c’est encore cette Guadalupe García Leiva qui accuse les jeunes masqués
qui ont fait des bombages lors de la manifestation d’appartenir à VOCAL
(Voces Oaxaqueñas Construyendo Autonomía y Libertad), dont je suis membre,
moi aussi.
C’est Ulises Ruiz et son gouvernement qui sont directement responsables de
mon emprisonnement et de celui de tous nos compañeros et de toutes nos
compañeras emprisonnés dans l’Oaxaca ou dans le reste du Mexique, mais ces
gens qui se cachent derrière des discours révolutionnaires sont encore
plus nuisibles, ils occupent l’échelon le plus bas de la dignité humaine,
celui de ceux et de celles qui trahissent le peuple.
Il m’a été difficile de dénoncer leurs agissements avant aujourd’hui et
j’ai gardé le silence pendant des mois. Je ne comprends ce qui motive
leurs attaques. Il s’agit d’attaques haineuses d’un groupe d’individus et
d’une organisation, le FPR, qui ont en commun la recherche du pouvoir dans
les prochaines élections, le nom de plusieurs d’entre eux figurant
d’ailleurs sur la liste des candidats à un siège de député de la coalition
du PRD, du PT et du PC. Ils ne supportent pas que beaucoup de compañeras
et de compañeros qui ont participé à notre mouvement se soient opposés à
ce que l’APPO, notre assemblée à tous et à toutes, le sang des 23 morts,
la souffrance des plus de 500 personnes arrêtées et des 40 personnes
encore emprisonnées, au lieu de servir à continuer à exiger la destitution
d’Ulises Ruiz et un changement radical dans l’Oaxaca, servent à leur
permettre de s’emparer du pouvoir politique par l’intermédiaire
d’institutions dont ils prétendaient ne pas reconnaître l’existence et en
reconnaissant dans les faits le gouvernement d’Ulises Ruiz ainsi que
l’Institut électoral de l’Oaxaca, lieu de toutes les fraudes et
institution encore plus corrompue, si une telle chose est possible.
En maintes occasions, j’ai dit face à face à ces personnes, comme je le
fais aujourd’hui devant vous tous et vous toutes, mes frères et sœurs de
l’Oaxaca, qu’elles ne sont pas moralement à la hauteur pour partager la
lutte d’un peuple digne, courageux et honnête comme l’est le nôtre, le
peuple de l’Oaxaca, car elles ont usé des méthodes les plus sordides, les
plus viles et les plus traîtres pour éliminer, comme ils l’ont fait avec
moi, des compañeros qui leur barrent le passage, que ce soit en les
envoyant en prison, en employant la terreur ou la calomnie.
Ma croyance profonde en la bonté de l’esprit humain et la volonté de
maintenir la cohésion de notre mouvement m’a jusqu’ici conseillé de me
taire, comme pour beaucoup d’autres compañeras et compañeros, mais
continuer serait compromettre gravement la sécurité et la liberté des
compañeras et compañeros de VOCAL et d’autres, c’est pourquoi j’ai décidé
de briser mon silence. Sans compter que l’histoire remet d’elle-même
chacun à sa place, aussi l’heure est-elle venue de décider entre garder le
silence pour préserver une unité mal en point qui tourne le dos au peuple
et dénoncer publiquement les faits pour ne pas risquer d’être complice de
notre propre malheur et de celui des autres compañeros qui sont en danger.
Continuer de nous taire, ce serait nous rendre complices de ce groupe qui
parle au nom de notre mouvement et veut le livrer pieds et poings liés au
gouvernement d’Ulises Ruiz.
De plus, il y a lieu de se demander sérieusement pourquoi aucune des
personnes que je dénonce publiquement aujourd’hui n’est persécutée par le
gouvernement, alors qu’elles font la une des médias. Le cas de Florentino
López Martínez, par exemple, mérite d’être mentionné. Il a été plusieurs
fois arrêté, bien qu’il n’ait dénoncé qu’une seule arrestation, et a été
relâché quelques heures plus tard. Un des agents qui m’ont arrêté, qui
m’ont torturé et fait emprisonné m’a confié en comparant mon cas et celui
de Florentino López qu’il avait personnellement arrêté ce dernier qui
circulait à bord d’une Volkswagen Sedan, à San Juanito, et qu’il l’avait
laissé filé parce qu’il avait « reçu des ordres d’en haut ».
J’ai profondément confiance en vous, mes frères et sœurs du peuple de
l’Oaxaca, et je sais que notre mouvement social nous a conféré
suffisamment de maturité politique et que notre moral collectif de lutte
est haut, qu’il ne craint pas la répression et la prison, parce qu’il l’a
démontré, mais qu’il est aussi à l’abri de la trahison et des ambitions
d’un groupe. Le mouvement de l’Oaxaca, comme d’autres luttes sociales au
cours de notre histoire, est aujourd’hui confronté à un affrontement entre
différentes pensées, ce qui est correct et sain. Je respecte profondément
les différentes façons de lutter, y compris la recherche du changement par
la voie des élections. Par contre, ce qui est plutôt malsain, c’est que,
dans le courant politique au sein de l’APPO qui est en quête du pouvoir à
travers les élections, il puisse y avoir des femmes et des hommes parmi
les plus nuisibles et néfastes qui existent, des gens dont les pratiques
politiques ne les distinguent en rien des criminels qui sont actuellement
au pouvoir.
Je suis conscient du fait que ma dénonciation rompt avec toutes les
manières de pratiquer la politique, surtout dans la difficile situation où
je me trouve. Je sais que les habiles politiciens, spécialistes dans l’art
de l’omission délibérée, du mensonge et de la falsification, que je
dénonce ici, auront tout loisir, jouissant de la liberté, de tergiverser
mes paroles et même de les utiliser pour compromettre encore plus ma
libération en faisant jouer leurs bonnes relations avec le gouvernement,
des relations que nus autres nous avons toujours délibérément refusé
d’avoir. Mais je sais aussi que nous tous, les Oaxaquiens et les
Oaxaquiennes nous en avons assez des trahisons et que nous n’accepterons
plus jamais de servir de tremplin pour qu’un groupe de dirigeants
corrompus s’emparent du pouvoir et nous oublient. Et nous savons que
l’esprit de fraternité, de solidarité et de coopération et d’entraide, qui
est ce qui compte le plus finalement, fera vivre ce mouvement et permettra
d’obtenir la libération de tous les prisonniers et de toutes les
prisonnières politiques de l’Oaxaca.
En outre, la véritable force collective, rebelle et puissante de ce
mouvement, ce sont les milliers d’instituteurs et d’institutrices de la
digne Section 22 et les centaines de milliers de femmes et d’hommes du
peuple qui ont lutté et luttent au quotidien.
Les peuples indiens de l’Oaxaca et du Mexique, héritiers d’une tradition
et d’une culture d’auto-organisation qui remontent à des milliers
d’années, ont su se préserver des désillusions et de la démoralisation
précisément parce qu’ils savent que ce n’est jamais un seul homme ou un
seul parti qui comblera les rêves et les aspirations de tous et de toutes,
mais la participation de touts et toutes au sein des assemblées
communautaires, garante du respect de la volonté de l’ensemble de la
communauté.
La tentative de réaliser cet esprit qu’est notre APPO a connu des heures
de gloire précisément quand les représentants de communautés, de
quartiers, d’organisations, de collectifs et de régions y participaient.
Aujourd’hui, nombre d’entre eux ont été repoussés par les pratiques
néfastes et mesquines des personnes et organisations dont je parle. Il est
encore temps de sauver notre assemblée. Nous pouvons encore faire en sorte
qu’elle soit la garante des songes et des aspirations de tous et de toutes
et non pas de la mesquine avidité de pouvoir de quelques-uns.
La lutte et la résistance dans l’Oaxaca et dans le Mexique profond se
renforcent. Il serait bon que nous continuions de l’avant, débarrassés des
êtres égoïstes et ambitieux qui se sont enkystés dans le mouvement social
et qui pourraient y croître comme un cancer et saboter l’obtention de la
justice, de la dignité et de la liberté pour tous et pour toutes. Ces
gens-là ont appris à parler le même langage que le gouvernement. Et
maintenant, les gens qui, courageusement et de leur propre chef , coupe
des rues et font des bombages en signe de protestation sont criminalisés
et traités de vandales, de nervis et de délinquants indistinctement, que
ce soit par le gouvernement ou par ces personnes malsaines.
L’Assemblée populaire des peuples de l’Oaxaca ne se réduit pas au conseil
de l’Oaxaca de l’APPO, ce sont tous ceux et toutes celles qui ont lutté
sincèrement dans la rue contre Ulises Ruiz et contre le système. Même en
prison, comme dans mon cas, l’APPO est présente, parce que l’APPO c’est
nous tous et nous toutes.
David Venegas Reyes « Alebrije ».
Centrale de Santa María Ixcotel, État d’Oaxaca, Mexique.
Messages
1. BRISER LE SILENCE, 30 mai 2007, 12:16
Merci pour cet article.
2. BRISER LE SILENCE, 30 mai 2007, 17:20
Comme toujours,ce sont les purs et les justes qui ont le plus à craindre pour leurs libertés ,
leur intégrité morale les offrant en pâture aux démagogues,aux charognards, aux vils politiciens
habiles et corrompus qui se profilent et profitent de l’aubaine,lors de tout mouvement insurrectionnel..
Que faire sinon diffuser pour informer et soutenir encore et encore..