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BROKEBACK MOUNTAIN

Publie le jeudi 22 septembre 2005 par Open-Publishing
2 commentaires

de Enrico Campofreda Traduit de l’italien par Karl&Rosa

On dirait qu’il est en train de devenir un cult-movie de genre : le film, Lion d’Or de la 62ème Mostra du Cinéma de Venise, en a les qualités. Certainement l’originalité et la cassure de certains mythes hollywoodiens bien gardés par les versions machistes du cow-boy les plus diverses. Et même si Ang Lee ne se détache pas d’atmosphères connues - de splendides images de nature superbe, un environnement raréfié qui donne une envie d’intimité, des musiques qui font entrouvrir les yeux et rêver - sa narration ajoute un impact émotionnel sans précédents. Gagnant ou perdant, le cow-boy était cependant un homme à l’écorce dure, habitué à lutter et à survivre.

Il pouvait prendre parti pour des causes bonnes ou mauvaises mais il n’ouvrait jamais son cœur, même pas pour une femme. Et il ne dévoilait pas non plus la nature de l’âme. Les gardiens de troupeaux de Lee, emportés par la passion homosexuelle et par leur implication irrésistible, touchent au contraire de profondes cordes émotionnelles. Ils sont extrêmement humains dans leur diversité qui doit seulement être comprise, acceptée avant tout par eux-mêmes et ensuite par un environnement archaïque et hostile. Il en découle une histoire tendre et douloureuse où le courage de ses propres choix et la possibilité seulement partielle de les vivre placent le désir face à l’étroitesse, à l’incompréhension, aux duretés de la réalité.

Ils devaient rester à Brokeback sur leur montagne enchantée, dans cette maison sous les étoiles où conjuguer les rêves et la passion. Entre Ennis et Jack, deux cow-boys, ou plutôt des bergers, au début ce n’était qu’un jeu : il s’étaient rencontrés pour un travail saisonnier et la vie ne les aurait plus séparés si un épilogue tragique n’était arrivé. Ils n’avaient rien à voir avec les mariages qui suivirent, avec le Texas et le Wyoming, avec les machines agricoles et les enfants à sevrer. Si seulement ils avaient été des époux hétéros comme tant d’autres : du sexe à échéances établies, des cuites, de la distraction, un peu d’infidélité.

Mais l’infidélité envers les épouses, les deux cow-boys préféraient la consommer entre eux, sous une tente montée en altitude à côté de ruisseaux frétillants de truites, à Brokeback Mountain. Leur propre amour n’était pas seulement le fruit de la solitude : oui, Ennis était renfermé et taciturne et Jack extroverti, mais tous les deux, jeunes et gaillards, s’étaient plus et ne pouvaient plus se passer de cette attraction.

Après quatre ans d’éloignement géographique et existentiel c’est Jack qui ne résiste pas et va voir son ami. Même pas le temps de se raconter ce qui s’était passé et les voilà déjà enlacés qui s’embrassent.

Alma, femme de Ennis, qui les voit d’une fenêtre, en est choquée. Pendant un moment elle résiste au départ "à la pêche" de son cow-boy, et puis elle n’y arrive plus et demande le divorce. Les conditions économiques de Jack sont meilleures, le business de sa femme Laurie le met à l’abri, tandis que Ennis doit trimer comme gardien de troupeaux et pour cette raison parfois il ne parvient pas à satisfaire aux demandes de rencontre de son ami. Mais il ne cède pas à son projet de tout laisser tomber et de monter un ranch ensemble. Il connaît l’hypocrisie et les préjugés d’une partie de la société et sait que deux hommes qui partagent le même toit finissent mal, il se souvient de l’avoir vu dans son enfance.

Jack est frustré par cette situation et fuit parfois au Mexique chercher du sexe mercenaire ce qui déclanche jalousie et tensions chez son ami. Mais Ennis voyait loin, il connaît l’âme sombre et raciste d’une certaine Amérique, la haine pour la diversité si enracinée dans le monde rural et cette intolérance se déversera sur son cher Jack, massacré à coups de barre dans un champ. Il lui restera de lui sa veste jeans, que sa mère lui cède, où le parfum de la peau de l’homme qu’il a aimé est imprimé, indélébile.

Film de Ang Lee
Scénario : Larry McMurtry, Diana Ossana
Image : Rodrigo Prieto
Montage : Géraldine Peroni, Dylan Tichenor
Avec Health Ledger, Jake Gyllenhaal, Michelle Williams, Anne Hathaway
Musique originale : Dylan Tichenor, Gustavo Santoalalla
Production ; Focus Features, River Road Entertainment
Canada, 2004
134 mn.

http://bellaciao.org/it/article.php3?id_article=10073

Messages

  • C’est un film éblouissant, rare et talentueux, la preuve qu’au pays de W et des neocons, la culture US ne va pas si mal.
    On l’attend aux Oscars avec qui sait une statuette pour Heath Ledger...
    Bravo pour l’article.

    Coridalement
    Hecate

    • Oh que oui.

      Un des plus beaux films que j’ai vu depuis... impossible de m’en rappeler.

      Une histoire qui va vous prendre aux trippes comme rarement un film le fera. Ledger et Gyllenhaal sont tout bonnement éblouissants. Difficile de les imaginer désormais l’un sans l’autre tant leur couple et leur sublime histoire d’amour est crédible et belle.

      C’est bien la première fois qu’un film nous montre une relation homosexuelle de cette manière : sans pathos, sans excès, sans forcer le trait. Ce n’est ni la cage aux folles, ni Philadelphia. Ce sont deux personnes qui tombent amoureuses l’une de l’autre tout simplement et en voyant le film vous n’aurez aucun mal à croire en la profondeur de leurs sentiments.

      Une pure merveille. J’en suis encore complètement remuée.