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Banque mondiale : du plomb dans l’aile

Publie le jeudi 24 mai 2007 par Open-Publishing
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Acculé, Paul Wolfowitz vient d’annoncer sa démission de la présidence de la Banque mondiale. L’affaire de népotisme et d’augmentation de salaire exorbitante de sa propre compagne n’est-elle vraiment qu’une simple " erreur " de la part de quelqu’un qui a agi " de bonne foi " ? Foutaises… Connaître Wolfowitz permet de mieux comprendre comment on en est arrivé là.

Paul Wolfowitz est un pur produit de l’appareil d’État des États-Unis.

Très tôt, il aborde les questions de stratégie militaire. En 1969, il travaille pour une commission du Congrès et parvient à convaincre le Sénat de la nécessité de doter les États-Unis d’un parapluie anti-missile face aux Soviétiques [1]. Sa réflexion
stratégique comporte un fil rouge : identifier des adversaires (URSS, Chine, Irak…) et démontrer qu’ils sont plus dangereux que ce que l’on imagine, afin de justifier un effort supplémentaire de défense (augmentation du budget, fabrication de nouvelles armes, déploiement massif de troupes) allant jusqu’au déclenchement de guerres préventives. On connaît la suite…

Le parcours de Wolfowitz passe ensuite par l’Asie. De 1983 à 1986, il dirige le secteur Asie de l’Est et Pacifique du département d’État sous Ronald Reagan, avant de devenir
ambassadeur en Indonésie entre 1986 et 1989. Pendant cette période, il
soutient activement plusieurs régimes dictatoriaux : Ferdinand Marcos aux
Philippines, Chun Doo Hwan en Corée du Sud, Suharto en Indonésie… Suite à la mobilisation populaire qui chasse Marcos en 1986, Wolfowitz organise la fuite du dictateur qui trouve refuge à Hawaï, 50e Etat des Etats-Unis... Alors que les États-Unis ont soutenu la dictature de Suharto pendant plus de 30 ans, Paul Wolfowitz ose déclarer en mai 1997 : "Tout
jugement équilibré concernant la situation

de l’Indonésie aujourd’hui, y compris le sujet très important et sensible
des droits humains, doit prendre en compte les progrès importants déjà
accomplis par l’Indonésie et il convient de
reconnaître que beaucoup de ces progrès sont à mettre au compte du
leadership à la fois fort et remarquable du président Suharto" [2]. Un an
plus tard, le vieux dictateur lâché par
Washington doit renoncer au pouvoir dans un contexte de grandes
mobilisations populaires.

Devenu sous-secrétaire d’État à la Défense et l’un des principaux
architectes de l’invasion militaire de l’Afghanistan en 2001 et de l’Irak
en 2003, Wolfowitz est nommé en mars 2005 par
le président George W. Bush à la présidence de la Banque mondiale, qu’il
va donc quitter le 30 juin prochain. Mais Paul Wolfowitz n’est pas pour
autant le vilain directeur d’une institution
généreuse et immaculée. Il est grand temps d’arracher le voile sur
l’action de la Banque mondiale depuis 60 ans, notamment sur les points
suivants :

 pendant la guerre froide, la Banque mondiale a utilisé l’endettement
dans un but géopolitique et systématiquement soutenu les alliés du bloc
occidental, notamment des régimes
dictatoriaux (Pinochet au Chili, Mobutu au Zaïre, Suharto en Indonésie,
Videla en Argentine, apartheid en Afrique du Sud…) qui ont violé les
droits humains et détourné des sommes
considérables, et elle continue de soutenir des régimes de même nature
(Déby au Tchad, Sassou Nguesso au Congo, Biya au Cameroun, Musharraf au
Pakistan, la dictature à Pékin…) ;

 au virage des années 1960, la Banque mondiale a transféré à plusieurs
pays africains nouvellement indépendants (Mauritanie, Gabon,
Congo-Kinshasa, Nigeria, Kenya…) les dettes
contractées par leur ancienne métropole pour les coloniser, en totale
contradiction avec le droit international ;

 une très grande quantité des prêts octroyés par la Banque mondiale a
servi à mener des politiques qui ont provoqué des dégâts sociaux et
environnementaux considérables, dans le
but de faciliter l’accès à moindre coût aux richesses naturelles du Sud ;

 après la crise de la dette de 1982, la Banque mondiale a soutenu les
politiques d’ajustement structurel, alliant forte réduction des budgets
sociaux, suppression des subventions aux
produits de base, privatisations massives, fiscalité qui aggrave les
inégalités, libéralisation forcenée de l’économie et mise en concurrence
déloyale des producteurs locaux avec les
grandes multinationales, ce qui va dans le sens d’une colonisation
économique ;

 la Banque mondiale a mené une politique qui reproduit la pauvreté au
lieu de la combattre, et les pays qui ont appliqué à la lettre ses
prétendus " remèdes " se sont enfoncés dans la
misère ; en Afrique, le nombre de personnes devant survivre avec moins de
1$ par jour a doublé depuis 1981, plus de 200 millions de personnes
souffrent de la faim et pour 20 pays
africains, l’espérance de vie est passée sous la barre des 45 ans ;

 malgré les annonces tonitruantes, le problème de la dette reste entier
car les remises de dette de la part de la Banque mondiale sont réservées à
un petit nombre de pays
sélectionnés pour leur docilité économique et dissimulent en contrepartie
des réformes économiques draconiennes, dans la droite ligne de
l’ajustement structurel.

Le passif de la Banque mondiale est bien trop lourd pour que l’on puisse
se contenter de la démission de Paul Wolfowitz. En fait, la Banque
mondiale est dotée d’un grave vice de forme :
elle sert les intérêts géostratégiques des Etats-Unis, de leurs grandes
entreprises et de leurs alliés, indifférente au sort des populations
pauvres du tiers-monde. Dès lors, une seule
issue devient envisageable : l’abolition de la Banque mondiale et son
remplacement dans le cadre d’une nouvelle architecture institutionnelle
internationale.

La Banque mondiale tangue dangereusement et cette grave crise pourrait la
faire couler définitivement, d’autant qu’elle subit dans le même temps les
assauts de plusieurs
gouvernements d’Amérique latine. Le Venezuela a annoncé le 30 avril
dernier qu’il quitte le FMI et la Banque mondiale. La Bolivie et le
Nicaragua s’apprêtent à quitter le Centre
international de règlements des différends relatifs aux investissements
(CIRDI [3]), l’une des branches de la Banque mondiale. L’Equateur a
expulsé le représentant permanent de la
Banque mondiale. Six pays latino-américains [4] sont en train de jeter les
bases d’une Banque du Sud aux choix radicalement différents. Différents
experts, dont plusieurs membres du
CADTM, ont pris part à ces discussions qui visent une vraie modification
du rapport de forces mondial, sur les décombres d’une Banque mondiale
moribonde…

[1] Voir l’histoire détaillée de la Banque mondiale et de Paul Wolfowitz
dans Eric Toussaint, Banque mondiale, le coup d’Etat permanent,
CADTM/Syllepse, 2006.
[2] Tim Shorrock, "Paul Wolfowitz, Reagan’s Man in Indonesia, Is Back at
the Pentagon", in Foreign Policy in Focus, février 2001, p3.
[3] CIRDI : sorte de tribunal au sein de la Banque mondiale où une
entreprise privée peut attaquer un Etat si elle s’estimé lésée par une
décision, même prise démocratiquement par un
gouvernement soucieux des conditions de vie de son peuple.
[4] Argentine, Bolivie, Brésil, Equateur, Paraguay, Venezuela.

Damien Millet, président du CADTM France (Comité pour l’annulation de la
dette du tiers-monde, www.cadtm.org), auteur de L’Afrique sans dette,
CADTM/Syllepse, 2005.
Eric Toussaint, président du CADTM Belgique, auteur de La Finance contre
les peuples. La Bourse ou la vie, CADTM/Syllepse, 2004.

Comite pour l’annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM)
Site Web : http://www.cadtm.org

Messages

  • la Banque mondiale a mené une politique qui reproduit la pauvreté au lieu de la combattre, et les pays qui ont appliqué à la lettre ses prétendus " remèdes " se sont enfoncés dans la misère ; en Afrique, le nombre de personnes devant survivre avec moins de 1$ par jour a doublé depuis 1981, plus de 200 millions de personnes souffrent de la faim et pour 20 pays africains, l’espérance de vie est passée sous la barre des 45 ans ;

    Tous ces grands penseurs de la haute finance, qu’on peut qualifier de grand banditisme, ou de grande criminalité, ont oublié un petit détail : SOIGNER LA VITRINE. Le résultat est lamentable, criminel, et les états en sont responsables, pour avoir laissé faire. La Banque mondiale comme le FMI, sont des "machines diaboliques" qui ont servi à broyer, asservir, esclavagiser des êtres humains, et à détruire notre planète.

    D’ailleurs à quoi sert de faire des plans pour la croissance, de développement des industries, si la terre a sa propre finitude, c’est-à-dire qu’à un moment donné elle n’aura plus de ressources naturelles. C’est une notion qu’il faut intégrer avant de se le prendre en pleine figure subitement, comme l’élection de Sarkozy, son gouvernement de ploucs et nos repères chamboulés. Attention, décoiffage assuré. j