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Berlusconi "socialiste" et la Nouvelle Droite en Italie

Publie le mardi 7 mars 2006 par Open-Publishing
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de Valerio Evangelisti traduit de l’italien par karl&rosa

La version italienne du phénomène mondial appelé "nouvelle droite" et comprenant des aspects disparates mais cohérents comme le néo conservatisme états-unien, le fondamentalisme chrétien, le révisionnisme historique, a en Italie un prénom et un nom : Silvio Berlusconi. Non pas que ce monopoliste industriel passé à la politique soit individuellement à l’origine du phénomène, mais parce qu’il a su s’en faire le catalyseur dans la péninsule et en rassembler dans un seul groupe - au moins pendant un certain temps - les différentes expressions. Cela malgré l’absence d’une pensée univoque et d’une culture unifiante, remplacées par toute une gamme d’attitudes et de prises de position contingentes, à très court terme.

Maintenant que le gouvernement Berlusconi semble toucher à sa fin, c’est le moment de s’interroger avec calme et lucidité sur ce qu’il a représenté en Italie. Il existe toute une littérature qui s’est concentrée sur le personnage, pour en souligner les caractéristiques désagréables ou équivoques, et qui en a interprété l’œuvre, en tant que président du conseil, comme l’instauration d’un régime presque totalitaire.
Ceux qui adoptent cette interprétation ne disposent habituellement pas des instruments critiques historico économiques capables d’atteindre le niveau structurel des phénomènes ; et cela pour la bonne raison que la plupart d’entre eux professent une idéologie libérale ou néo-libérale - c’est-à-dire la même idéologie dont Berlusconi est le porte-drapeau, même si c’est dans une variante extrémiste et teinte de populisme. Si on divise les coordonnées idéologiques, il devient difficile de situer avec précision l’objet étudié sous un profil historique ou des idées, parce que les structures contextuelles sembleront données et indiscutables. On s’arrêtera donc à l’épiphénomène - en particulier dans le cas où une analyse plus approfondie amènerait à la reconnaissance d’une responsabilité personnelle pour ne pas dire d’une co-responsabilité.
Ceux qui adoptent la coupe épiphénoméniste, entre autres, feignent d’oublier que Berlusconi a été élu régulièrement et que les mesures prises par lui et par ses alliés au gouvernement, y compris les décrets et les lois les plus aberrants, ne sont pas passés en vertu de supposés "coups de force" mais bien par une utilisation absolument légale de la majorité écrasante que le système électoral majoritaire leur a offerte. Ceux qui se sont battus pour ce système ont peu de légitimité pour dénoncer le "régime" de Berlusconi, vu qu’ils ont préparé ou approuvé les instruments dont l’adversaire s’est ensuite servi.
Ils feraient mieux de se demander pourquoi les électeurs ont voté pour un tel personnage, présentant un programme destiné seulement à satisfaire son propre égoïsme et celui d’autres. L’ "offre Berlusconi" ne se serait pas affirmée si elle n’avait trouvé dans la société une demande correspondante, essentiellement suscitée par d’autres.

Normalement, ceux qui critiquent le Berlusconi "autocrate" et instaurateur d’un régime sont conscients du fait que le personnage jouit de la sympathie d’une partie consistante de l’électorat, à certains moments majoritaire. Ils tendent à attribuer un si large consensus au monopole des moyens de communication et surtout de la télévision (les chaînes Mediaset, puis après l’arrivée à la Présidence du Conseil, même la Rai). Berlusconi lui-même a d’autre part montré qu’il attribuait une valeur stratégique au contrôle des médias et l’abandon récent de tout semblant de par condicio en matière d’interventions électorales suffit à le démontrer.
Toutefois, si l’hégémonie sur les médias constitue une condition nécessaire pour créer du consensus, ce n’est pas une condition suffisante. L’Italie n’est pas le seul pays occidental où il existe, dans le domaine de la communication, des conditions de monopole total, partiel ou de fait. C’est l’Union Européenne, et pas le gouvernement italien, qui a exigé que les transmissions par satellite aient comme unique gestionnaire Rupert Murdoch (Sky). D’un autre côté, on a vu de manière répétée, comment l’unanimité des médias ne réussit pas toujours à conditionner la société, d’autant moins face à des choix de fond. Le refus français de la constitution néolibérale européenne, malgré d’infinies pressions médiatiques, en est un exemple récent. Et que dire, en ce qui concerne l’Italie, du rejet populaire de la guerre en Irak, au point d’obliger une opposition réticente à le faire sien, même avec mille ambiguïtés ? A l’inverse, quand un prétendu opinion leader comme Giuliano Ferrara, avec le soutien de presque toutes les forces politiques et de pratiquement tous les médias, a lancé une manifestation pour soutenir Israël, il n’est parvenu à rassembler qu’une poignée de sympathisants.
Le pouvoir médiatique ne suffit pas à expliquer les bonnes fortunes de Berlusconi, pas plus que les thèses, trop faciles, de conspiration. Il faut aller plus à fond, ce qui signifie partir de plus loin dans le temps.

Silvio Berlusconi n’a jamais caché sa dette envers Bettino Craxi pour les nombreuses faveurs reçues du défunt leader socialiste. Mais la dette devrait s’étendre à d’autres legs de nature immatérielle. L’époque des gouvernements de centre gauche conduits par Craxi fut celle durant laquelle les classes moyennes italiennes prirent conscience d’elles-mêmes et revendiquèrent le rôle moteur qui, jusqu’à la fin des années 80, avait semblé appartenir aux ouvriers, sortis vainqueurs du long automne chaud ’69/’70.
Le signal avait été donné par la marche des 40 000 cadres moyens de Fiat contre l’occupation de l’usine, en 1980. Craxi compléta le travail en défiant directement les syndicats sur le thème de l’échelle mobile et en remportant une victoire écrasante. En même temps, à partir du laboratoire de Milan, il encouragea de toutes les façons l’ascension de couches d’origine petite bourgeoise et d’employés qui furent poussés à investir dans des secteurs non directement liés à la production, tels que la construction, les activités de service, la bourse ; des domaines dans lesquels même de modestes capitaux pouvaient conduire à un enrichissement rapide s’ils étaient bien employés.
Craxi, malgré une idéologie apparemment différente, fut l’équivalent italien de Margaret Thatcher. Comme elle, il affaiblit fortement les organisations ouvrières, en les poussant à des politiques de conciliation avec le patronat ; comme elle, il favorisa la naissance d’une bourgeoisie de type nouveau, arrogante, entrepreneuse, certaine désormais de constituer le cœur de la société. On passa de la timidité des couches moyennes basses et l’aristocratique distance des couches supérieures à de grossières exhibitions, dans une course à la richesse qui attribuait toutes les vertus aux gagnants et toutes les fautes aux perdants. Si l’on n’en arriva pas à un vrai "reaganisme", c’est seulement parce que l’état social ne fut que marginalement remanié. On commença seulement à mettre en discussion, sinon sa légitimité, du moins son utilité.

De telles tendances restèrent à l’oeuvre même après que Craxi fut contraint à l’exil et les plus grands partis politiques italiens furent chamboulés et détruits par des procès pour corruption. Si l’on y regarde bien, précisément les nouvelles couches moyennes rampantes, gênées par un cadre institutionnel qui, encore modelé sur des bases idéologiques "historiques", ne correspondait pas à leur absence de scrupules, se trouvaient à l’étroit dans la première république.
Dans la seconde république, ce fut précisément vers ces couches que se tourna l’attention obsessionnelle des forces politiques obligées de se restructurer. La gauche et la droite abandonnèrent les connotations de classe et les héritages idéaux pour faire des classes moyennes l’unique référence tandis que, sur le plan des choix internationaux, survivait en tant que seul horizon un Occident rendu mythique, vu à son tour comme le paradis des couches moyennes.
Les gouvernements de centre-gauche de la phase post-craxienne firent de tout pour déplacer l’épargne des citoyens des traditionnels titres d’état au marché actionnaire tout en cherchant à enjoliver la notion de "flexibilité" pour la rendre appétissante à ce qui restait de la classe ouvrière - et la pousser ainsi au suicide définitif. Ceci, certes, par obéissance aux diktat de l’économie mondiale après la chute du mur de Berlin ; mais aussi en tant que choix idéologique propre, conséquence de l’option faisant des couches moyennes la première référence sociale.
Sur le plan culturel, tous les paramètres sur lesquels avait été édifiée la première république commencèrent rapidement à être mis en discussion, à commencer par le paramètre fondateur : l’antifascisme. Craxi avait déjà promu le "dédouanement" des ex-fascistes, invités à participer activement à la vie politique après avoir, à leur tour, élu les couches moyennes comme référence et renoncé aux aspérités de leur idéologie (comme le discours anti-démocratique, remplacé par un autoritarisme tamisé de type présidentialiste ou l’antisémitisme). Durant les gouvernements de centre gauche de l’après Craxi, se multiplièrent les révélations de "crimes" antifascistes, oeuvres de communistes repentis et la thèse d’une dignité égale de ceux qui avaient combattu sur des fronts opposés en 1943-45 se fraya un chemin. Une thèse qui fut cordialement accueillie par le milieu académique et par la presse d’actualité courante.
Evidemment, personne n’avait intérêt à une pleine réévaluation de Mussolini - même pas les post-fascistes. Par contre, tout le monde avait intérêt à additionner +1 (l’antifascisme) et -1 (fascisme), pour avoir comme résultat 0. Il fallait, en somme, remettre à zéro toutes les idéologies, pour en créer une nouvelle, privée d’appuis historiques, correspondant à la demande des nouvelles couches moyennes. Enclines de nature, c’est évident, au pur pragmatisme.

C’est dans ce contexte que Berlusconi put s’affirmer en tant qu’homme politique largement suivi et, en 1994, accéder pour la première fois au gouvernement. Beaucoup restèrent stupéfaits par la façon dont il fut capable de constituer son parti pratiquement du jour au lendemain et attribuèrent l’évènement au seul pouvoir sur les télévisions et sur les journaux (ces derniers de peu de prestige d’ailleurs, au moins dans le cas des quotidiens). En réalité, Berlusconi flaira mieux que tous les autres que, dans le vide et la confusion laissés par la première république, toutes les aventures politiques étaient possibles, y compris la constitution d’un parti fondé sur d’évidents schémas d’entreprise.
Les cadres qu’il rassembla, cooptés dans son empire économique même, provenaient en outre précisément de cette classe moyenne "d’assaut" qui s’était coagulée durant les deux décennies précédentes et qui ressentait le manque de formes de représentation adéquates - remplumés par des figures secondaires de professionnels de la politique ayant survécu à l’hécatombe de l’opération "mains propres".
Cela provoqua, comme ce fut le cas avec Margaret Thatcher, le dégoût des conservateurs traditionnels (bien représentés en Italie par le journaliste Indro Montanelli) qui préférèrent se tenir à l’écart. Ce n’étaient plus les couches moyennes hautes auxquelles ils se référaient qui exerçaient l’hégémonie sociale. C’était en revanche une petite et moyenne bourgeoisie, des jeunes souvent, de récente extraction plébéienne, sans culture solide, aux appétits faméliques, encline à la vulgarité et au vacarme, hédoniste, n’ayant aucune pudeur à exhiber son cynisme.
Il s’agissait bien d’"hégémonie" : ce fut révélé par les résultats électoraux où l’on vit que la nouvelle classe était capable de mobiliser les autres, aussi bien supérieures qu’inférieures, même contre leurs propres intérêts immédiats. Quant au tissu idéologique, il était plus que jamais confus et changeant. Les ennemis étaient clairs : la "gauche" (Berlusconi semble n’y avoir jamais rangé son père putatif, le socialiste Bettino Craxi) et son équivalent sémantique, "les communistes". Là où par "communiste", on doit entendre même les plus timides keynésiens, les réformistes à l’eau de rose et jusqu’aux libéraux et aux conservateurs ancienne manière.
Quant à la pars construens, elle était beaucoup moins définie. Il s’agissait, au moins à l’origine, d’accentuer le libéralisme déjà à l’œuvre en économie en réduisant ultérieurement les freins posés par l’Etat à l’action de l’entreprise, surtout sur le plan des normes et de la fiscalité. Ce qui correspondait à cela en politique, n’était qu’en partie le libéralisme, étant donné qu’il était tempéré, d’un côté, par une tendance évidente au bonapartisme et, de l’autre, par des influences cléricales en ce qui concernait les droits civils. La politique extérieure, de son côté, était entièrement déléguée aux Etats-Unis dont l’Italie avait l’ambition d’être une sorte de représentant en Europe, même au détriment des rapports avec les autres pays de l’Union.
Si nous voulons chercher des analogies, nous les trouvons, bizarrement, hors du vieux continent, dans les politiques du président mexicain Vicente Fox. Mais il s’agit d’un exercice stérile. En réalité, le "modèle Berlusconi", si on peut le qualifier ainsi, n’a aucune base idéologique aux contours nets. À certains moments, il deviendra le catalyseur de tous les types de tendances réactionnaires ; à d’autres, il se teintera de populisme. Unique constante, la base sociale dont je parlais, flattée de toutes les manières, et un pragmatisme de toujours, ennemi de projets à la portée trop longue.
Les nouvelles classes moyennes, arrivées au gouvernement après avoir écrasé les anciennes, et avec elles toutes les autres classes, adoptèrent donc - en la personne du leader charismatique choisi - le point de vue dicté par leur naissance récente. Intolérance aux contraintes institutionnelles ; recherche de l’impunité ; satisfaction des intérêts immédiats au détriment de la notion de "bien commun" ; vision incapable de se projeter dans le futur. Ce qui est habituellement attribué à Berlusconi appartient en fait aux couches dont celui-ci était et est l’expression.
Plus récemment, certains intellectuels d’un niveau modeste ont cherché à structurer ce monceau d’impulsions et à rechercher des liens avec la pensée néo conservatrice états-unienne. Du temps perdu. La base qui soutient Berlusconi ne peut se réduire à quelque système idéologique que ce soit et constitue une espèce de "droite apolitique". En ce sens, et seulement en ce sens, on peut parler d’une "nouvelle droite" en Italie.

Côté culturel, la vogue révisionniste continue évidemment, en syntonie avec le reste des tendances restauratrices à l’œuvre à l’échelle mondiale. La complicité d’une partie du monde universitaire fut, en ce sens, déterminante, étant donné que c’est à l’université que s’élaborent les thèses destinées ensuite à être reprises, si elles sont en syntonie avec le climat politique, par les éditorialistes des médias les plus influents.
En Italie, cela prit la forme - à l’œuvre encore aujourd’hui - d’une véritable offensive tendant à renverser des jugements consolidés sur des moments historiques où des rapports de force étaient en jeu. Aujourd’hui encore, dans les universités italiennes est à l’œuvre une minorité très aguerrie de professeurs qui réhabilitent l’Inquisition contre la libre pensée, le colonialisme contre les idées d’autodétermination, les mouvements réactionnaires plébéiens contre les répercussions en Italie de la Révolution française, le franquisme contre la "république des sans Dieu", etc. Des thèses rapidement reprises et diffusées par les quotidiens, pas toujours et pas seulement de droite, et par les (rares) programmes "culturels" à la télévision.
Naturellement, le cœur de toutes les révisions demeure le jugement sur l’antifascisme, c’est-à-dire sur les idées fondatrices de la république italienne. C’est là que s’est manifesté avec le plus de vigueur un des phénomènes qui ont accompagné la bonne fortune de Berlusconi : le "repentisme" d’un bon nombre de représentants, vrais ou supposés, de la gauche. Parmi ceux qui soutiennent le Premier, on compte des douzaines d’ex-communistes, d’ex-antifascistes, d’ex-militants de l’extrême gauche. Dans le domaine du révisionnisme historique, ce sont eux qui ont joué un rôle fondamental.
Le cas du journaliste Giampaolo Pansa est typique. Avec un passé d’antifasciste, collaborateur d’un hebdomadaire de gauche (plus autrefois qu’aujourd’hui) L’Espresso, il s’est spécialisé en ouvrages, accouchés à jet continu, sur les crimes de la Résistance. La documentation est douteuse ou lacunaire, les imprécisions sont innombrables, chaque épisode est isolé de son contexte. Mais cela ne compte pas, par rapport au but ; qui n’est pas tant de réévaluer le fascisme que de faire table rase de tous les systèmes de valeurs et de toutes les évaluations authentiquement historiques pour les remplacer par une sorte de chronique noire a posteriori.
Un système déjà adopté par la gauche modérée face aux bouleversements sociaux des années ’70, déchiffrés seulement sur la base du concept de légalité, arrachés à leur contexte temporel, réduits à des faits d’intérêt purement judiciaire - jusqu’à en arriver, dans les pires des cas, à des théories de conspiration qui sont l’ersatz, dans le milieu libéral, de la philosophie de l’histoire.

Malgré un scénario extrêmement favorable, le projet de Silvio Berlusconi a recueilli de misérables résultats dans le milieu culturel. Ceux qui ont accouru à son appel sont des intellectuels d’un niveau secondaire, des commentateurs de journaux ou de télévision, des diffuseurs sans poids, autre que épidermique, souvent arrachés aux alliés de droite ou aux adversaires de gauche. Ils apparaissent avec une fréquence obsédante dans les talk show, dans les émissions sportives, dans les programmes de variétés. Il est clair que la dimension médiatique est celle qui convient le mieux à ceux qui sont porteurs d’une pensée dont l’unique base, à part le libéralisme économique, est la guerre contre la mémoire et contre toute forme de profondeur.
Cela a été encore pire pour Berlusconi et ses partisans dans le domaine littéraire. Il n’y a en Italie aucun écrivain d’importance qui se dise "berlusconien", à part la poignée d’inconnus que l’on retrouve sur les pages de la revue Il domenicale, imprimée par milliers d’exemplaires qui restent régulièrement invendus (le discours à propos de ceux qui se situent en revanche plus à droite que Berlusconi et qui refusent le centre droite au nom de la droite pure serait complètement différent).

Si le petit calibre des intellectuels est symptomatique de la non idéologie de Berlusconi, l’absence d’écrivains à la cantine du Premier signifie beaucoup plus. Cela veut dire que la colonisation de l’imaginaire des Italiens n’a pas été totale étant donné qu’elle n’a pas entraîné, pour le moins, un secteur des fabricants d’imaginaire. Et l’on pourrait étendre le discours, avec des articulations différentes, au cinéma, au théâtre, aux arts figuratifs, etc. Des instruments de communication moins immédiats que la télévision ou que les quotidiens, mais capables de laisser une empreinte plus profonde.
Le fait d’être "étranger" à Berlusconi, naturellement, ne signifie pas être "contre", ni avoir saisi la substance idéologique et sociale de son système. C’est un fait que le manque de contrôle du milieu littéraire et culturel traditionnel, malgré la possession des principales maisons d’édition (qui publient des auteurs hostiles au plus grand actionnaire que ce soit par indépendance ou parce que ce sont les seuls que réclame le marché) constitue un facteur de faiblesse. Berlusconi ne peut remédier à cela car la culture " de longue haleine", avec ses dynamiques, lui est inconnue ainsi qu’à la plus grande partie de ses collaborateurs.
L’hostilité du monde culturel et littéraire ne peut être appréciée, dans toute sa dangerosité, que par ceux qui s’y connaissent.

Silvio Berlusconi est en crise et sa chute, en ce moment, semble inéluctable. Non pas que les nouvelles couches moyennes qu’il a su représenter pendant quelques années aient disparu ; bien au contraire, leur hégémonie se poursuit. C’est seulement que, dans une phase où les possibilités d’enrichissement rapide se restreignent, elles manifestent le besoin de quelque chose de plus solide qu’une forme de gouvernement fait de rien, sans programme, sans idéologie, sans propositions autres que contingentes, sans larges visions. Ces couches préfèreraient certainement aujourd’hui un nouveau Craxi à l’élève de Craxi. Faute de mieux, ils se tournent vers le centre gauche.
Il faudra un jour reconnaître que Berlusconi a été, à sa façon, un "révolutionnaire". Il a subverti la vie politique, la communication, l’Etat, toutes les institutions qu’il a pu subvertir. Mais son rôle rappelle celui que jouent les agitateurs au début d’une révolution, quitte à être écartés quelques années plus tard par ceux qui ont un projet plus durable.
La "nouvelle droite" italienne, le néo-libéralisme, ne sont pas morts mais ils n’ont certainement plus en Berlusconi leur représentant de pointe. Même si, par miracle, il gagnait de nouveau les élections, il serait de toute façon déjà mort. Il a érigé un système fondé sur la fiction, opération gagnante à tous les coups dans un pays qui a vu naître la commedia dell’arte et qui a le culte de Polichinelle. Il a réinventé les communistes pour avoir un ennemi identifiable, il a simulé des bases idéologiques pour justifier son propre empirisme, il a évoqué des buts clairement inaccessibles en croyant les rendre concrets à travers la réitération d’un rituel invocateur, il a diffusé ses rêves en essayant de les rendre collectifs. Simultanément - et c’est un trait caractéristique - il s’est lui-même modifié à travers des interventions répétées de chirurgie plastique, s’efforçant (y réussissant en partie) de faire oublier son identité d’homme de soixante-dix ans.
De Berlusconi et de son "insurrection", après son abandon par les couches moyennes, il ne restera qu’un masque. Mais la "nouvelle droite" italienne ne disparaîtra pas avec lui. Au contraire. La vraie droite est encore à venir.

(Discours prononcé à Séville, le 27 octobre 2005, au congrès Nueva derecha : ideas y medios para la contrarrevolución, organisé par la revue Archipiélago et par l’ ’Università Internazionale dell’Andalusia - Section Arteypensamiento.)

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