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"Bernard Monassier - Le notaire des grandes fortunes
Il est généralement admis qu’un rendez-vous avec un notaire, même si celui-ci prenait la peine de s’attifer d’un nez rouge, n’est pas une perspective des plus réjouissantes.
Sauf que... L’étude qui nous intéresse, située à deux pas des Invalides, dans le rutilant 7e arrondissement de Paris, recèle un spécimen hors norme.
Un notaire ? Mais il est beaucoup plus que cela ! Et c’est ce qui rend son histoire fascinante. Me Bernard Monassier est inclassable.
A 68 ans, il est le notaire, certes, mais aussi et surtout le juriste, le conseiller, le confident, l’ami des riches et des puissants. C’est un nom que l’on conseille en chuchotant sous un manteau en loden.
Son client numéro un, c’est le milliardaire Serge Dassault. Rien que ça, ça vous classe un bonhomme.
Mais il y a aussi Hubert de Givenchy, le fondateur de la célèbre maison de couture ; Gérard Brémond, le PDG de Pierre et Vacances ; Baudouin Monnoyeur, distributeur d’engins de chantier (dont Caterpillar), qui compte parmi les 100 premières fortunes de France ; Dominique Loiseau, la veuve du restaurateur de Seaulieu et patronne du restaurant ; Annie Famose, ex-championne de ski d’Avoriaz reconvertie en femme d’affaires avisée, etc.
Il y en a beaucoup d’autres, mais il ne peut tout de même pas tout dire.
Bref, on ne se mouille pas trop en affirmant haut et fort qu’il pèse d’un sacré poids sur les décisions des plus grosses fortunes.
On ne s’y attendait pas, mais son étude n’est ni triste ni poussiéreuse.
La moquette est violette, les canapés sont vert pomme et cela respire le neuf et le frais.
Et puis, on ne décèle rien de balzacien chez lui.
Me Monassier n’est ni gros ni court, il n’est pas vêtu de noir et n’est pas trop doctoral.
Il est même plutôt volubile pour un notaire. « Bernard Monassier est un fin psychologue, il écoute énormément , raconte Gérard Brémond. Il tente de comprendre les situations et les personnalités avant d’élaborer des solutions techniques. »
Charmeur professionnel à la bouille sympathique et au regard bienveillant, il inspire confiance. En dépit de ses quarante ans de métier, il reste ému par la tension qui émane de cet instant grave où il décachette un testament.
« Pour les héritiers, il s’agit des dernières paroles transmises par le défunt au-delà de la mort », explique-t-il. Il conserve 3 000 testaments dans le coffre-fort de son étude, dûment protégés par une batterie d’alarmes et de clés.
« Je gère mon patrimoine immobilier et j’ai rédigé mon testament avec Me Monassier, dit Hubert de Givenchy. Avec lui, je suis rassuré. »
On sent bien que Bernard Monassier n’est pas mécontent de parler de lui, de se mettre en scène, pour une fois.
Il naît à Limoges en plein hiver 1940.
Le père, négociant en vins, passe sa vie à sillonner les routes du Limousin dans sa camionnette. Le fils souffre d’un asthme violent, qui le contraint à rester chez lui. Il lit tout ce qui lui tombe sous la main, romans de gare, classiques, manuels d’histoire.
Cela lui fera de l’entraînement avant d’avaler le Code civil et le Code des impôts...
Bernard Monassier est un garçon brillant, mais ne sait pas trop quoi faire de ses talents.
Alors, comme beaucoup d’autres avant et après lui, il s’inscrit en droit. Un soir d’été, il croise une femme dans la rue, en tombe amoureux et l’épouse à 21 ans.
Il veut gagner de l’argent. Il passe la porte d’une étude notariale pour la première fois de sa vie, celle d’un village à 20 kilomètres de Poitiers. « J’en suis sorti écoeuré , se souvient Bernard Monassier. J’étais resté toute la journée devant une machine à écrire à taper un acte de 5 pages. J’ai dit à ma femme : "C’est une profession idiote !" » Il le tape et le retape, cet acte de vente d’un terrain agricole.
Ça lui prendra deux mois. « J’ai appris la rigueur , dit-il. C’est horriblement ennuyeux, mais c’est très important dans ce métier. »
C’est sûr, le notariat n’est pas fait pour lui. Il monte à Paris pour intégrer l’Ena. Il bûche comme un fou le concours, mais... oublie de s’y inscrire.
Dépité, il passe l’examen de premier clerc. Il devient notaire à 29 ans (un record). « Je suis devenu notaire par hasard et par nécessité », résume Monassier.
Débuts à la Villette.
Il travaille pour les bateliers du canal Saint-Martin, pour les bouchers des abattoirs, pour les fabricants de cordes et pour une bonne partie de la bourgeoisie locale.
De ce coin perdu de l’Est parisien il réussit à séduire les dirigeants des petites, puis des grosses, des très grosses et, enfin, des très très grosses entreprises.
« Serge Dassault n’a jamais su que mon étude était à la Villette , s’amuse Bernard Monassier. C’est moi qui me déplaçais. J’allais le voir chez lui, ce qui ne se faisait pas du tout dans la profession. »
Bernard Monassier a soif de conquête.
Il n’est pas fils de notaire, on le lui fait sentir. « Il ne vient pas de ce milieu fermé et cela l’a aidé à bousculer les règles , dit un ancien collaborateur. Il n’était pas tétanisé par les codes. Il a été un révolutionnaire, bouleversant deux siècles d’habitudes. »
Et puis, on voit les choses autrement quand on a été secoué par la vie.
Il y a dix ans, c’était un mardi soir à 19 heures, un médecin lui annonce, radiographies en main, qu’il souffre d’un cancer généralisé. Il lui reste trois mois à vivre. Bernard Monassier cache la nouvelle à sa femme, gamberge, ne dort pas.
Le lendemain, à 16 heures, alors qu’il roule en taxi dans Paris, coup de fil : on lui annonce que la clinique s’est trompée de dossier. Il n’a que de l’arthrose... Après ça, on a zéro tabou.
« Moi, je »
Monassier réinvente cette profession hors norme, qui vit et prospère sur un monopole : la rédaction des actes tels que les contrats de mariage, les promesses de vente, etc.
« Bernard Monassier s’est aventuré hors de l’immobilier et du droit des successions pour investir le droit des affaires, dit Jean-Baptiste Fleurance, avocat et ex-collaborateur. Transmission d’entreprise, pactes d’actionnaires, gestion de patrimoine. Il est très créatif et a mille idées pour payer moins d’impôts... »
Il part à l’assaut des instances professionnelles, est élu président du Congrès des notaires de France, président de l’université du notariat, président de la chambre des notaires, et on en passe.
« Il a un sens affûté de la communication , dit son associée, Sylvie Burthe-Mique. Les notaires sont plutôt discrets d’habitude. Lui veut faire savoir ce qu’il sait faire ! » Il va sans dire que ce côté « moi, je » en a agacé plus d’un.
L’essentiel, c’est que Serge Dassault soit satisfait.
« Je l’ai connu en 1986, à la mort de son père, Marcel , raconte Monassier. La succession n’avait pas du tout été préparée... Il y avait un enchevêtrement de 150 sociétés, on ne retrouvait pas les papiers, on n’avait aucune information. »
C’est le coup d’une vie.
Bernard Monassier, avec du talent et de la roublardise, a soufflé l’épais et très rémunérateur dossier de la succession Dassault au nez et à la barbe d’un confrère déjà dans la place... C’est un peu comme s’il avait gagné au Loto.
Le collègue malheureux a d’ailleurs mal pris cette affaire. Quelques années plus tard, lors du règlement de la succession de Mme Dassault, il a attaqué son rival en justice pour « non-respect du devoir d’information ».
La procédure judiciaire a duré huit ans. Elle s’est terminée, devant la Cour de cassation, par une victoire de Monassier.
Serge et Bernard sont amis.
Bernard ne rate pas une réunion familiale (mariage, baptême), est parfois invité à déjeuner boulevard Suchet, chez Serge, ou dans son immense propriété des Yvelines.
Il a déjà préparé la succession de Serge Dassault.
Tout sera divisé entre les quatre enfants et tout sera fait pour garantir la continuité du groupe industriel. « Bernard Monassier a de bonnes idées fiscales , dit Serge Dassault. Il règle les problèmes de succession, d’impôt sur le revenu, d’ISF, etc. Il a toujours le bon réflexe, il connaît tous les articles de loi et me fait profiter de son expertise. A chaque opération je le consulte. »
Avant de racheter la Socpresse, Dassault a fait plancher Monassier, des mois durant, sur les ramifications du groupe de médias.
Le notaire est aujourd’hui administrateur du Figaro , de la Socpresse et du groupe Dassault.
Serge Dassault a fait sa fortune, c’est sûr, mais l’industriel a un niveau d’exigence extrême. Il n’y a pas de temps mort : il appelle à n’importe quelle heure, le jour, la nuit, le week-end ou pendant les vacances.
« Il a dans les mains la stratégie patrimoniale de Dassault , raconte un proche du patriarche de l’aviation. Il est son notaire exclusif. Et les enfants Dassault ont également affaire à lui de manière personnelle. »
« Dassault lui a valu une pub d’enfer , dit un ami. Cela a assis sa notoriété et toutes les portes du pouvoir se sont ouvertes devant lui. »
Il déjeune à l’Assemblée nationale et au Sénat, a ses entrées dans les ministères.
Il influence parfois des projets de loi, en faisant passer des amendements par des parlementaires amis. Il connaît bien les ministres Nadine Morano, Hervé Novelli, Christine Lagarde, Eric Woerth, ainsi que Philippe Marini, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat, Gilles Carrez ou Alain Lambert. Sur les gros dossiers, il négocie parfois directement avec Bercy.
Bernard Monassier aurait pu faire de la politique.
« J’ai toujours été intéressé par la chose publique », dit-il. Mais faire les marchés, aller au bal des pompiers, très peu pour lui. Il s’est engagé à l’UMP après la réélection de Jacques Chirac en 2002, sur l’insistance de son ami Jérôme Monod. Il est aujourd’hui président de la Fédération professionnelle des métiers de la justice et du droit à l’UMP.
Il rédige des notes qu’il envoie à l’Elysée et à Matignon. A l’automne, il a travaillé sur la polémique du fichier Edvige et a fait état de ses réflexions à Claude Guéant. « Je ne rêve pas d’être député ou sénateur , dit-il. On peut faire passer un message politique de bien des manières différentes. »
La religion du notariat
Il a été un homme important dans le dispositif de Rachida Dati, qui briguait le poste de maire du 7e, à Paris. Givenchy confie : « Il m’a demandé de recevoir Mme Dati pendant la campagne des municipales avec quelques amis autour d’une tasse de thé . Ça s’est très bien passé. »
Homme de pouvoir, c’est sûr.
Il était prévu qu’il lâche son étude fin 2008. Il devait « prendre du champ » , pour profiter encore plus de ses cinq petits-enfants. Mais un homme de pouvoir rechigne toujours à filer doux vers la retraite. Et puis, il y a eu la crise. Le coup du sort (coup de bol) qui l’oblige à prolonger de quelques... années.
« Je me suis laissé dire qu’étant entré en notariat comme en religion, y consacrant vos journées, souvent vos nuits, et même vos loisirs, préférant lire sur la plage de l’île de Ré un bon gros manuel de droit des affaires plutôt qu’un roman, vous aviez tendance à considérer que tous vos collaborateurs devaient faire comme vous », disait Serge Dassault, en 2002, lors de son discours de remise de la Légion d’honneur.
Au numéro 20 de l’avenue Rapp, Monassier est toujours là. Et pour longtemps. « Il mourra à son bureau, il ne peut pas s’arrêter , dit Jean-Baptiste Fleurance. Depuis quinze ans, il dit qu’il va partir demain. »
http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2009-05-28/le-notaire-des-grandes-fortunes/916/0/347308