Accueil > Brève histoire du sionisme politique(3)
III. Le nationalisme arabe et ses rapports avec le mouvement sioniste
Une résistance légale
Face au développement des implantations de colonies encouragées par la Turquie, dés 1891, les notables arabes de Jérusalem adressent aux autorités turques une pétition demandant l’interdiction de l’immigration et la vente de terres aux juifs. Des heurts, parfois sanglants, ont lieu dans les années 1890. Cité par Yohanan Manor dans " Naissance du sionisme politique ", Ah’ad Haam, un sioniste spirituel, dès sa première visite en 1891 en Palestine, est convaincu que "... Si, un jour, la vie de nos fiers juifs en Palestine se développe au point de refouler les habitants du pays sur une petite ou une grande échelle, alors ces derniers ne céderont pas facilement leurs places..." (p.215)
Ce jugement est plus que justifié par les propos tenus par Youssouf Alkhalidy, député arabe au parlement turc, dans la lettre qu’il adresse en 1899 au grand Rabbin de France Zadoc-Khan. Il écrit ceci : "...Tous ce qui me connaissent savent bien que je ne fais aucune distinction entre Juifs, Chrétiens et Musulman... Nous avons vraiment le même père. Politiquement d’ailleurs, Juifs et Arabes feront bien de se soutenir pour pouvoir résister aux envahissements des autres races... C’est donc une pure folie de la part du Dr.Herzl que j’estime comme homme et comme écrivain de talent, de s’imaginer que même s’il était possible d’obtenir le consentement de S.M le Sultan, ils arriveraient un jour à s’emparer de la Palestine..." (MANOR, Yohanan. "Naissance du sionisme, p.216)
Dans cette lettre, Alkhalidy, faisant une fausse analyse sur les intentions futures des puissances européennes, conseille les dirigeants sionistes dans des termes sans équivoques : " ... Il faut donc pour la tranquillité des Juifs en Turquie que le mouvement sioniste, dans le sens géographique cesse... Mais au nom de Dieu qu’on laisse tranquille la Palestine..." (MANOR, Yohanan. "Histoire de la naissance du sionisme ", p 216-220)
Ayant pris connaissance du contenu de cette lettre, Th. Herzl répond au député le 19 mars 1899 par des propos qui se veulent rassurant : " ... Le Sultan gagnera de fidèles et bons sujets qui rendront florissante cette province" (MANOR, yohanan." Histoire de la naissance du sionisme » (p.222)
Une remise en cause de l’Empire
A partir de 1903, la légalité est de moins en moins la seule expression du nationalisme arabe.
Les Arabes s’organisent et mettent publiquement en cause le cadre politique de la " Sublime Porte ".
" Le Réveil de la nation arabe " de Nagib Azoury, publié en 1905 pose les fondements de la nation arabe. L’auteur, libanais maronite, ancien adjoint au gouverneur de Jérusalem ne se contente pas d’en appeler à la création de la nation, il démonte aussi le mécanisme de l’oppression turque qui utilise les particularismes pour mieux les étouffer. Il analyse la situation avec lucidité. Cette analyse est étrangement d’actualité : "... Les Arabes, que les Turcs ne tyrannisent qu’en les maintenant divisés par des questions insignifiantes de rites et de religions ont pris conscience de leur homogénéité nationale et ethnographique et veulent se détacher de l’arbre vermoulu Ottoman pour se constituer en Etat indépendant. Ce nouvel Empire arabe s’étendra dans les limites de ses frontières naturelles, depuis la vallée du Tigre jusqu’à l’isthme de Suez et depuis la méditerranée jusqu’à la mer d’Oman...
Par le fait même que nous nous détacherons de la Turquie, toutes les autres nations opprimés, les Kurdes, les Arméniens, les Albanais... recouvreront leur liberté ; car c’est par les Arabes que les Turcs contiennent les Albanais, et c’est par les Arabes qu’ils écrasent les Bulgares... Et par les Kurdes qu’ils massacrent les Arméniens... Lors donc que nous aurons abandonné le Sultan, chaque nation proclamera son indépendance...
Deux phénomènes importants, de même nature et pourtant opposés se manifestent en ce moment dans la Turquie d’Asie : Se sont le réveil de la nation arabe et l’effort latent des juifs de reconstituer sur une grande échelle l’ancienne monarchie d’Israël. Ces deux mouvements sont destinés à se combattre mutuellement. Du résultat final de cette lutte entre ces deux peuples représentant deux principes contraires, dépendra le sort du monde entier... " (Préface, p. I et II)
Dés 1905, conscient de l’importance du facteur arabe, deux opinions se font jour dans le mouvement sioniste. La première se résume dans la formule suivante, citée par Yohanan Manor dans " Histoire de la naissance du sionisme " : "...Pour acquérir notre pays, nous nous sommes adressés à toutes les forces ayant quelque rapport avec lui, nous avons pris langue avec tous les parents de la fiancée, mais nous avons oublié la fiancée : nous n’avons pas prêté attention aux véritables propriétaires du pays... Il nous faut agir plus avec le peuple arabe..." (p.225)
La seconde opinion estime au contraire que, du fait de l’importance du nationalisme arabe, il vaut mieux jouer la carte du pouvoir turc. Ben Gourion et Ben Zvi partageaient cette dernière opinion.
La guerre des Balkans a démontré à une partie du mouvement sioniste que le nouveau pouvoir " Jeune Turc " n’est plus en mesure de faire face à la décomposition inéluctable de la " Sublime Porte ". Dorénavant, il faut compter avec l’Angleterre, c’est ce qui amène le mouvement sioniste sous la direction de Weizmann et Samy Hocher à s’orienter avec force vers la Grande Bretagne dans sa confrontation avec la Turquie.
Éphémère alliance judéo-arabe
En 1912, le Syrien Sélim Naggiar, l’un des dirigeants du mouvement national arabe écrit à Hochberg pour lui proposer une coopération. Une rencontre a eu lieu au Caire entre une délégation sioniste conduite par Hochberg et les dirigeants des comités arabes de libération, à la suite de quoi, une entente verbale rendue publique par un communiqué dans le journal sioniste " le Jeune Turc " est conclue sur les principes suivants :
1. Le comité du Caire est favorable à l’immigration juive en Syrie et en Palestine.
2. Le mouvement sioniste s’engage à appuyer la cause du mouvement arabe en respectant l’unité et l’intégrité de l’Empire.
Le 1° congrès arabe (juin 1913, Paris) confirme l’entente verbale tout en se positionnant contre la constitution d’un Etat juif. Le Président du Congrès, Abdul Hamy Zahravi déclare, devant la délégation sioniste dirigée par Hochberg : " ... Les juifs sont en fait des syriens émigrés... Nous sommes tous, musulmans et chrétiens animés des meilleurs sentiments envers les juifs. Nous sommes même sûrs que nos frères juifs sauront prêter leur concours tant pour faire triompher notre cause commune que pour le relèvement matériel de notre pays commun... " ("Histoire de la naissance du Sionisme." p.236)
Mais malgré cette entente, les actions politiques des sionistes en Europe ne permettent pas d’apaiser les appréhensions des arabes palestiniens. Weizmann ne parvient pas à rencontrer les notables palestiniens. Avant de participer à la conférence de la Paix à Paris en 1919, Fayçal, chef des armées arabes, a un dernier entretien secret avec Weizmann, arrangé par le contreversé Lawrence d’Arabie. Le dirigeant sioniste l’assure que " ... les juifs n’avaient pas l’intention de régir la Palestine. Tout ce qu’ils désiraient était d’avoir un endroit où ils pourraient se réfugier... " (SULEIMAN, Mousa. Lawrence et le rêve arabe. Revue l’histoire. N ème 39, 11/ 1981, p.34)
Sur la foi de cette assurance, Fayçal signe l’accord, après avoir ajouté de sa main qu’il ne le liait que "si les Arabes obtiennent leur indépendance. ("Lawrence et le rêve arabe." p.34)
IV. " Une terre sans peuple ? "
Un peuple spolié
L’un des premiers sionistes à avoir visité la Palestine en 1891, Asher Guinsberg, parle en ces termes dans ses écrits : "...A l’extérieur, nous sommes habitués à croire que Eretz-Israël est aujourd’hui quasi-désertique, un désert sans culture et que quiconque désire acquérir des terres, peut venir ici s’en procurer autant que son coeur désire. Mais en vérité, il n’en est rien. Sur toute l’étendue du pays, il est difficile de trouver des champs non cultivés. Les seuls endroits non cultivés sont des champs de sables et des montagnes de pierre où ne peuvent pousser que des arbres fruitiers, et ce, après un dur labeur..." (Ahad Ha’am. Oeuvres complètes (en Hébreu). Tel Aviv. Devir Publ. House, 8e édition, p. 23)
Envoyé par le Président américain, Wilson en 1919, pour mener une enquête sur le souhait de la population palestinienne, la commission " King-Crane " conclue : "... Ici les plus anciens habitants, c’est à dire à la fois les musulmans et les chrétiens, ont la même attitude hostile envers une migration massive, et envers tout effort pour établir une souveraineté juive sur eux. Nous nous demandons ici s’il peut exister un Britannique ou un Américain parmi les officiels, qui puisse penser qu’il est possible de réaliser le programme sioniste, si ce n’est avec l’appui d’une grande armée..." ("L’Affaire d’Israël." p.59-60)
Cité par Allan Halévy dans " La question juive " (Paris : Editions de Minuit, 1981 p.17), selon Neville Mandel, la communauté juive de Palestine ne comptait que dix mille âmes en 1835. Suite à une forte immigration de juifs d’Europe de l’Est, elle atteignit en 1920, 100.000 individus tandis que la population palestinienne comptait 600.000 habitants (Léon Abensour, Larousse Mensuel n ème163, p.249)
Il est évident que le célèbre slogan du sioniste Israël Zangwill, " une terre sans peuple ", est un mensonge, du moins s’agissant de la Palestine. Quarante trois ans plus tard ce mensonge donne naissance à une vérité dramatique, " un peuple sans terre ". Mais " ... Pourquoi les Palestiniens feraient-ils la paix ? Si j’étais, moi, un leader palestinien, jamais je ne signerai avec Israël. C’est normal, nous avons pris leur pays. Certes, Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela peut-il les intéresser ? Notre Dieu n’est pas le leur. Nous sommes originaires d’Israël, c’est vrai, mais il y a de cela deux mille ans : en quoi cela les concerne- t- il ? Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais est-ce leur faute ? Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils..? " (GOLDMANN, Nahum. Où va Israël ? Ed Calmann-Lévy, 1975.p.104)
L’arrogance et le cynisme de ces propos sont ceux d’un Ben Gourion, sûr de son fait. Propos qui donnent, si besoin en était, une justification supplémentaire à la résistance du peuple palestinien.
Conclusion
Avec perspicacité, le mouvement sioniste a su s’adapter aux différents environnements nationaux.
Il su adopter une stratégie des alliances à géométrie variable, tenant compte des contradictions existantes entre les différentes puissances. Le mouvement sioniste américain sous la houlette de Rothschild a su influencer le président américain Wilson pour entrer en guerre 1917. Ce service fut récompensé par l’Angleterre qui promit alors au mouvement sioniste la création " d’un foyer national juif " en terre de Palestine. Les Arabes ont été manoeuvrés et piégés par l’Angleterre et le mouvement sioniste et n’ont pu empêcher la partition du monde arabe. Une oeuvre coloniale dont les populations arabes paient encore aujourd’hui le prix fort. Cette partition a été définitivement scellée lors de la conférence de la Paix de 1919 à Paris, malgré les protestations de la délégation arabe. Ce fut la légalisation du premier « fait accompli », c’est à dire l’application par l’Angleterre et la France du fameux accord secret " Sykes-Picot ", rendu public par l’union soviétique en 1917.
Le Liban et la Syrie deviennent colonies françaises tandis que la Palestine et l’Irak, avec le pétrole de Mossoul, passent sous mandat britannique.
" L’article 22 " de la Charte de la Société des Nations (SDN) distingue alors trois sortes de territoires à placer sous mandat. Classés " A ", " B " et " C ", selon qu’ils soient plus ou moins avancés sur la route de la démocratie. Conception colonialiste, s’il en est, les populations arabes du Moyen-Orient sont regroupées(y compris la Palestine) dans la catégorie " A ". Les mandats " A " doivent assez rapidement aboutir à l’indépendance des pays concernés. Ce qui se réalise pour la Syrie, le Liban, la Jordanie et l’Irak, le territoire de Palestine est exclu de ces dispositions. A partir de juillet 1920, la Palestine est sous administration civile anglaise, confiée au juif Sir Herbert Samuel. La fameuse " déclaration Balfour ", qui au demeurant était une correspondance privée datée du 17 novembre 1917, envoyée par Lord Balfour à Lord Rothschild de Londres, est rendue publique par l’administration de Sir Herbert Samuel. De cette déclaration est née le drame du peuple palestinien : " un peuple sans terre." De 1920 à 1926, la révolte gronde dans le monde arabe, du Maroc avec Abdel-Krim et la République du Rif, en passant par l’Egypte avec l’opposition au maintient de la présence britannique dirigée par Zaghloul, insurrection en Syrie contre la présence française, jusqu’en Irak contre le mandat britannique.
BIBLIOGRAPHIE
• la commission " King-crane " 1919
• conférence Rabbiniques de Philadéphie 1869
• Idem pour celle de Montréal de 1897
• BALFOUR, La déclaration Balfour 17 novembre 1917
• ’article 22 de la charte de la Société des Nations (S.D.N) (28 juin 1919)
Collection encyclopédique
• ABENSOUR, Léon. " Le Sionisme ", N ème169, 09/1920. Paris : Larousse mensuel
Ouvrages
• Azoury, Nagib " Le Réveil de la nation arabe " Paris, 1905.
• Halévy, Ilan. " Question juive ". Paris : Editions de Minuit, 1981.
• HERZL, Théodor. " l’Etat juif ". trad. française. Lipschutz Paris, 1926.
• KOESTLER, Arthur. " Analyse d’un miracle ". Paris : Circé poche, 1998.
• LAHARANNE, Ernest. " La nouvelle question d’Orient ", 2 vol. Paris, 1860.
• LAQUEUR, W. " Histoire du sionisme ". Paris : Gallimard. Collection Folio. Vol 1. 1994.
• MANOR, Yohanan. " Naissance du sionisme politique ". Paris : Gallimard. Archives, 1981.
• THENES, Catherine. " Anti-impérialistes et Tiers mondistes. " Poitiers, Martinsart, 1977.
• GOLDMANN, Nahum. " Ou va Israël " Paris : Calmann Lévy, 1975.
Article extrait de périodique
• MOUSA, Suleiman. Lawrence et le rêve arabe. Revue l’histoire. N° 39, 11/ 1981, p.34