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C’est au peuple d’imposer le contrôle de la finance
Publie le vendredi 30 octobre 2009 par Open-PublishingJ’ai regardé, hier soir (28/10/2009) une émission sur les banques présentée par D. Leconte sur la chaine Arte. Les deux premiers documentaires présentés n’étaient vraiment pas à la hauteur des enjeux, avec une première partie sur le surendettement via la complicité intéressée des banques et le fourgage des actions de Natixis auprès de petits épargnants naïfs, puis une deuxième partie très approximative et convenue sur l’historique des banques et de la City où l’unique intérêt fut le reportage sur la remise de prix 2009 pour les meilleurs professionnels de la Banque- sur le modèle des Oscars !- où tout ce grand monde se congratulait sur les résultats de l’année et se gaussait des velléités de contrôle potentiel.
La partie intéressante de l’émission fut –de façon inattendue- le débat, censé opposer, deux banquiers traders, le Français Marc Fiorentino et l’Allemand Dirk Müller. Ces derniers reconnurent tout à fait les excès de la spéculation et les dérives des produits structurés et dérivés et, à la surprise gênée de l’animateur, convinrent que la cavalerie financière n’avait jamais aussi bien fonctionné que depuis un an et les agitations récurrentes des G-20.
La faute à qui ? Pour eux, pas de problème : ce sont les politiques qui ont livré des montagnes de fric aux banquiers sans aucun contrôle tout en laissant croire le contraire à leurs opinions. Et quand la musique continue, les banquiers dansent !
Pour expliquer ce laisser faire , les deux « experts »n’ont pas vraiment d’analyse étayée, mais si J’ essaye ici de structurer un peu plus leurs propos on a pu entendre les raisons suivantes : solution de facilité consistant à redémarrer la bourse comme si de rien n’était ; naïveté de l’ingénu s’en remettant aux mains des spécialistes, pouvoir des banquiers par rapport à la dette des états, poids économique des places financières par rapport au PNB, en particulier pour l’UK et les USA , facilité du casino financier pour doper le système infernal crédit-consommation-croissance dans un contexte de réductions d’impôts directs et, enfin, considérations idéologiques. L’Allemand paraissait même tout à fait disposé à dénoncer l’énorme bulle des dérivés, mais c’en était trop pour le pauvre D. Leconte qui ne voulait pas plus inquiéter le bon public, ni, sans doute, trop indisposer sa direction !
En tous cas, ces traders reconnaissaient eux-mêmes l’impérieuse nécessité de contrôles et de régulations stricts ; Dirk Müller dénonçait le rôle exorbitant de la spéculation en lieu et place de l’investissement (1 investisseur pour 10 spéculateurs), constatait l’ampleur excessive des leviers spéculatifs (30 euros joués pour 1 de capital) et en appelait même à la pression de l’opinion publique sur les dirigeants politiques pour imposer ces régulations.
Cela n’était pas sans rappeler l’attitude des joueurs ou des alcooliques qui demandent à être interdits de casino ou de bar et il me revenait les propos de notre prix Nobel d’économie, Maurice Allais après la crise de 1998 : « le monde est devenu un vaste casino ». On ne peut que regretter qu’il ne soit plus là pour commenter la crise actuelle et peser de toute sa sagesse dans le débat actuel.
Il avait publié à l’époque tout une analyse détaillée de la crise de 1998-faillite du fonds LTCM et écroulement du système monétaire et financier de Russie qui avait failli provoquer la crise systémique- et avait mis l’accent sur les dangers de la création monétaire ex nihilo aux mains des seules banques via le crédit. (Il avait même dit que cela revenait à donner la responsabilité de la monnaie à des faux monnayeurs !) Le texte complet est disponible sur le site extraordinaire et très touffu d’Etienne Chouard et peut s’appliquer point par point à la crise actuelle. Il est d’ailleurs très surprenant que ce texte ne soit pas repris dans les débats : cela montre bien à quel point la déraison et la cupidité, sous les habits de la modernité et de la pensée unique, ont pu envahir les médias puis les esprits.
Maurice Allais définit ainsi quelques principes de réforme du système financier :
« Cette réforme doit s’appuyer sur deux principes tout à fait fondamentaux :
Ø La création monétaire doit relever de l’État et de l’État seul. Toute création monétaire autre que la monnaie de base par la Banque centrale doit être rendue impossible, de manière que disparaissent les « faux droits » résultant actuellement de la création de monnaie bancaire.
Ø Tout financement d’investissement à un terme donné doit être assuré par des emprunts à des termes plus longs, ou tout au moins de même terme. »
Pour ce faire, il propose la différenciation des banques en trois types distincts d’établissements financiers :
« 1. des banques de dépôt assurant seulement, à l’exclusion de toute opération de prêt, les encaissements et les paiements, et la garde des dépôts de leurs clients, les frais correspondants étant facturés à ces derniers, et les comptes des clients ne pouvant comporter aucun découvert ;
2. des banques de prêt empruntant à des termes donnés et prêtant les fonds empruntés à des termes plus courts, le montant global des prêts ne pouvant excéder le montant global des fonds empruntés ;
3. des banques d’affaires empruntant directement au public ou aux banques de prêt et investissant les fonds empruntés dans les entreprises. »
Une telle orthodoxie apparait tellement iconoclaste aujourd’hui qu’on en oublierait presque que la dérégulation financière et sa cousine, la mondialisation ont à peine trente ans – autant dire qu’elles en sont encore à leur période d’essai – et qu’elles ont déjà largement démontré leur incapacité à apporter la stabilité et l’équilibre nécessaires.
L’actuelle crise en est une éclatante démonstration après toutes celles qui ont ravagé le monde à intervalles réguliers : krach boursier de 1987, crise immobilière au Japon en 1990, crise financière au Mexique en 1994, crise asiatique en 1997, crise de 1998 et écroulement russe, crises au Brésil en 2000 et 2002, crise turque en 2000, bulle internet en 2000-2003, effondrement de l’argentine en 2001, démarrage de la bulle immobilière peu de temps après l’éclatement de la bulle internet vers 2004 et début d’explosion en 2007. On voit que l’intervalle moyen entre les différents épisodes qui ébranlent chaque fois durement le système est d’environ trois ans. A quand la prochaine, qui risque bien d’être fatale ce coup ci ?
Un graphique de l’OCDE résume tout à fait les fondements de la crise : l’appauvrissement d’une majorité au bénéfice d’une infime minorité.
L’autre graphique illustre l’une des conséquences de cet appauvrissement : l’explosion de la dette américaine pour continuer à perfuser le rêve américain.
Figure 1. Rapport des revenus moyens de deux fractiles à celui du fractile 0-90 : États-Unis
Pour la courbe la plus élevée, 25 signifie, par exemple, que le revenu moyen du 1% supérieur était 25 fois supérieur à celui du 90% inférieur
Pour la courbe basse cela signifie que le revenu moyen des gens qui sont situés dans les 10 derniers centiles des revenus les plus élevés excepté le dernier était 5 fois supérieur à celui des 90% infèrieur (chaque centile correspond à 1% des revenus classés par ordre croissant : le premier centile correspond au 1% des plus mal payés, le deuxième centile correspond à la tranche suivante des revenus supérieurs aux précédents et comptant à nouveau 1% des personnes et ainsi de suite) Les revenus de la tranche 90-99 correspondent à ceux des classes moyennes supérieures ou des cadres.
Cet autre graphique donne une idée de la bulle des produits dérivés dont on ne sait comment elle peut se dégonfler :
Cette carte du monde de la dette est également révélatrice d’un monde occidental sous perfusion de la dette, profiteur puis victime de son fantasme mondialisé :
dette en % du PIB
Le graphique ci-dessous illustre bien le déficit commercial croissant des USA dans leur rôle autoproclamé de consommateur mondial.
La conséquence sur la masse monétaire dollar apparait ci dessous
Chine, Japon et Russie détiennent près de 60% de tous les bons du trésor américain pour un total de 1600 milliards de dollars
L’architecture des paradis fiscaux est alors le moyen technique pour faire tourner tout ce système finance-mondialisation en conservant l’apparence du respect des lois nationales et internationales avec la bienveillante ou lâche complicité des grands états du G20 au nom de l’incontournable concurrence !
Le peuple doit imposer aux politiques de reprendre le contrôle de la finance. Il est absurde qu’un état emprunte à des banques pour créer de la monnaie et paye ensuite des intérêts ; dans la crise actuelle, c’est d’autant plus inacceptable, car les états s’endettent pour et à cause des banques ! Toutes les dérégulations du consensus de Washington à partir de 1980 n’ont eu pour seul but que de restaurer les revenus de ces 1% les plus riches et toute l’organisation de la mondialisation n’est construite que pour peser sur l’emploi, restaurer un fort taux de profit, contrôler les marchés, les prix et l’inflation.
On voit peu à peu se reconstruire une « démocratie » à la grecque ancienne avec une armée d’ilotes esclaves au service d’une élite restreinte. L’économie des pays de l’OCDE est en train de s’adapter doucement à ces nouveaux schémas : déjà, de grands secteurs de notre économie s’orientent vers le luxe ou le haut de gamme et dépendent alors de la croissance des hauts revenus ! Il y a là un effet pervers qui n’a pas été encore suffisamment décrit !
Les autres graphiques ci-dessous montrent bien le rôle fondamental du dollar et des USA dans la situation actuelle et à quel point la mondialisation leur est nécessaire pour financer ce déséquilibre.
(Je n’arrive pas à faire figurer les graphiques. Dommage)