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CÔTE D’IVOIRE : “DROITS DE L’HOMME” & PROFITS

Publie le vendredi 10 décembre 2004 par Open-Publishing
8 commentaires

Que se passe-t-il donc en Côte d’Ivoire ? On a entendu parler d’une attaque contre un camp militaire français. La riposte de l’armée française a été immédiate et a entraîné la destruction d’avions des Forces nationales de Côte d’Ivoire. Des émeutes anti-françaises ont aussitôt éclaté, notamment à Abidjan. Les médias n’ont plus ensuite parlé que de ces pauvres Français rapatriés, qu’on a pu voir à l’aéroport puis dans des centres d’accueil. Mais pas une chaîne n’a fourni d’explications sur la situation en Côte d’Ivoire ou sur les raisons du conflit.

En Côte d’Ivoire, les intérêts français représentent un tiers des investissements étrangers et 30 % du produit intérieur brut, ce qui est énorme, l’économie ivoirienne représentant elle-même 40% du PNB de l’Afrique de l’ouest. Au moment de la décolonisation, en 1960, Houphouët-Boigny fut érigé en véritable "sous-préfet"des intérêts français, faisant adopter par l’assemblée du parti unique une Constitution qui avait été rédigée à Paris par un juriste français. La Côte d’Ivoire devint, dans les faits, un territoire français d’outre-mer, dirigée par un président fantoche et dictateur : il fit emprisonner et torturer ceux qu’il pouvait suspecter de non-soumission absolue, fonctionnaires, membres de son entourage, notables, parents des accusés, et réprima dans le sang deux révoltes régionales. Peu importe. Tant que les intérêts français ne sont pas remis en cause, personne dans la classe médiatico-politique française ne s’offusque d’un régime totalitaire. Grâce à un "Code des investissements" de type colonial permettant un "rapatriement"des bénéfices réalisés sans acquitter taxes et impôts, les entreprises françaises ont pu prospérer en terrain conquis. Depuis 1960, elles brassent et "rapatrient" ainsi 75% de la richesse produite en Côte d’Ivoire !

Mais à la mort du président fantoche (1993), la situation a peu à peu évolué, le pouvoir local s’est cherché d’autres "protecteurs". Dès 1994, le président Konan Bédié avait amorcé un bras de fer avec la France, en rétrocédant des contrats d’exportation de café-cacao à des géants américains, et une licence de prospection de pétrole off-shore à Venco. La Côte d’Ivoire n’est pas un gros producteur de pétrole, mais c’est de très loin le premier producteur mondial de cacao, avec cette année 1,45 millions de tonnes récoltées, ce qui représente 45% de la production mondiale. Les multinationales françaises sont fortement soupçonnées d’avoir à ce moment encouragé le général Gueï à prendre le pouvoir par un coup d’Etat, ce qu’il fit en 1999. Un an après, Gueï est obligé d’organiser des élections présidentielles. Il entend bien les remporter en faisant invalider les candidatures de Konan Bédié pour cause de corruption et de Ouattara pour cause de "non-ivoirité". Mais c’est Gbagbo qui est élu. Lui aussi veut défranciser la Côte d’Ivoire, dont les transports, l’eau, l’électricité, les voies de communication... sont contrôlés par Saur, EDF, Orange, Telecel, Bouygues...tandis que le secteur bancaire est dominé par la Société générale, la BNP et le Crédit lyonnais. Il ouvre à la concurrence internationale les marchés ivoiriens, ce qui inquiète fortement les entreprises françaises, habituées à n’avoir sur place aucune concurrence. Il se rapproche des Etats-Unis, qui lui accordent une aide généreuse sous couvert de fonds de lutte contre le sida.

En 2001, la parti de Ouattara remporte les élections municipales et en 2002, un mouvement rebelle fomenté au Burkina Faso, où les services secrets français sont omniprésents, prend rapidement le nord du pays. Les militaires français lancent alors leur opération "Licorne ", qui, sous couvert d’éviter une guerre civile, permet en fait de couper le pays en deux et de faire ainsi pression sur les deux parties. Peu importe qui de Ouattara ou de Gbagbo sera le plus totalitaire, seul importe le respect des intérêts des groupes français dans le pays. Exactement comme en Afrique Centrale, où les réseaux français ont organisé un coup d’Etat pour renverser un gouvernement "démocratique"et le remplacer par un dictateur. La différence essentielle, c’est que ce dernier leur demandait "pour son pays" 17 % des bénéfices de l’exploitation du pétrole, alors que le gouvernement renversé leur en demandait 33 %...

Toutes ces ingérences, qui profitent aussi aux dirigeants locaux, ne gagnent évidemment pas à être connues du peuple. La solution est comme toujours de diviser pour mieux régner. C’est ce qui est en vigueur partout et notamment en Afrique que l’on présente toujours comme minée par l’éternel problème des luttes entre ethnies. La Côte d’Ivoire ne fait pas exception, avec plus de 60 ethnies présentes dans le pays. De plus, le "développement économique"s’est accompagné d’une immigration importante provenant des pays voisins (26% de la population ivoirienne). A partir de 1994, l’émergence du concept d’"ivoirité" semble bien fait pour répondre aux problèmes de crise économique et de dévaluation du franc CFA. Inconscients des manœuvres politico-économiques des profiteurs français ou ivoiriens, les ivoiriens moyens sont entretenus dans la vision d’une spoliation de leur pays par les étrangers... africains (les immigrés, donc, pas les colons !). Quant aux Français moyens, ils sont entretenus dans la vision que la guerre entre les partis de Ouattara et Gbagbo serait une lutte entre ethnies.

En attendant, les firmes françaises entendent bien conserver la maîtrise de la situation, fut-ce par bain de sang interposé. Ce sont leurs appels qui expliquent que Chirac a subitement eu des états d’âme "droits-de-l’hommiens" concernant la Côte d’Ivoire, lors du sommet Afrique-France de 2003. Il a considéré que les “escadrons de la mort” ivoiriens étaient bien une réalité et il a proclamé la fin de l’impunité pour les chefs d’État qui ne respecteraient pas les droits de l’homme, les menaçant de poursuites devant le Tribunal pénal international. Une fois encore que les "droits de l’homme" ne signifient rien d’autre que le droit des entreprises à faire des profits.

P.

http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=1038

Messages

  • je pense que celui qui a ecrit cette article ne connait pas la côte d’ivoire et ni a pas vecu !!!

  • C’est trop facile d’accuser la France ou telle autre grande puissance et dans certains cas des groupes d’intérêts privés occidentaux, pour expliquer l’incapacité de certains dirigeants politiques africains (toutes factions confondues) d’œuvrer pour la stabilité politique dans leurs pays respectifs.

    Tout comme en République Démocratique du Congo (Ex Zaire), la situation actuelle de la Côte d’Ivoire est révélatrice de l’immaturité des dirigeants politiques de ces pays. Dans les deux cas, face à l’incapacité de nos dirigeants à résoudre leurs divergences autrement que par la machette et le fusil, une intervention extérieure est nécessaire ne serait que pour éviter que ces pays ne sombre dans l’anarchie complète et la guerre civile.

    Si tous ces belligérants et leurs partisans, pouvaient se retrouver sur un ring et s’étriper entre eux, sans prendre en otage les populations civiles, qui bien souvent ne se sentent pas concernées par les motifs de querelles de nos dirigeants, personnellement cela ne me dérangerait pas.

  • Au risque de contredire les commentaires précédents, il y a beaucoup de vrai dans ce qui est dit ici concernant les causes de la crise actuelle (les problèmes ivoiriens résultent en effet - pour simplifier - de difficultés socio économiques profondes et lointaines et non pas d’une seule volonté française).

    Les intérêts français, défendus par la politique élyséenne et militaire française (ce qui a été flagrant lors des tragiques événements de novembre 2004) explique une partie de la rébellion de septembre 2002. Bolloré ne doit pas être oublié dans la liste donnée, avec Bouygues, ce groupe est en première ligne. Mais en fait, cette rébellion, menée par la bande de putschistes-récidivistes de 1999 et 2000, est certainement appuyée par tous ceux et ils sont nombreux, qui n’aiment pas Gbagbo et sa politique (politique qu’il ne pourra d’ailleurs plus jamais mener).

    Interrogez vous. A qui profite le crime ? Qui finance tout cela ou qui a financé tout cela ? Des français, des libanais, des gabonais, des ivoiriens bref, tous ceux qui vouaient mettre Gbagbo dehors. Reprenez un peu le calendrier. Avril 2002 : réelection de Chirac. Eté 2002 : remise en cause de certaines concessions (CIE, SODECI notamment) par appels d’offre internationaux. Septembre 2002 (voyage de Gbagbo au Vatican - question : qu’allait il y faire ?) : rébellion. Et pourquoi applique-t-on les accords de défense au Rwanda en 1990 pour venir au secours d’un régime futur génocidaire et non en 2002 pour celui de Gbagbo ?

    Bref... Rien n’est si simple. Merci au Canard Enchaîné, à Schneidermann de Libération, à Canal + à la Télé Suisse Romande et à quelques rares autres pour contrebalancer la version de la France officielle de la crise ivoirienne.

    PHD

  • La situation Ivoirienne est un bon exemple de la politique extérieure française c’est à dire : "Respect des droits de l’homme", "respect de la souveraineté" et blablabla mais uniquement quand ça les arrange. Moi je ne comprend pas comment on pouvait s’opposer à la guerre en Irak et faire aujourdh’ui ça en Côte d’ivoire, et un peu avant en Haiti.

    Une chose est sûre c’est que maintenant les peuples ne sont plus bêtes et tout le monde comprend tout. La colonisation déguisé ce n’est plus pour longtemp.

  • La crise ivoirienne n’est rien de plus qu’un conflit de factions politico ethniques qui,
    comme cela est malheureusement souvent le cas en Afrique, ont privilégiée les armes aux dialogue et consensus politiques. Mettre derrière chaque crise africaine des puissances étrangères manipulatrices, qui tireraient les ficelles du jeu au nom d’intérêts privés est une erreur d’analyse. Bien au contraire, instabilité et intérêts économiques n’ont jamais fait bon ménage. Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, les investisseurs (toutes nationalités confondues) ont plus perdus qu’ils n’ont gagné à cause de cette crise.

    Alors à qui profite cette crise ? Aux ressortissants français « ces rapatriés de Côte d’Ivoire » qui ont tout perdu et qui sont venus gonfler les rangs des chômeurs en France ? Aux investisseurs dont les activités sont paralysées et dans certains perdues à tout jamais ? A ces milliers d’ivoiriens « non partisans » qui se retrouvent désormais sans emploi ? Il faut le dire, ce sont les ivoiriens qui paieront le tribut le plus lourd. En effet, il faudra plusieurs décennies pour que la Côte d’Ivoire retrouve d’abord la stabilité politique et ensuite la confiance des investisseurs et des institutions internationales.

    A qui la faute ? A la France qui a fait le choix politique courageux et délicat de s’interposer entre deux frères ennemis décidés à se livrer une guerre fratricide qui aurait fait encore une fois des victimes innocentes parmi les populations civiles ? Surtout lorsque l’on sait que l’unique but politique de ces mouvements politico ethnique, est de conquérir et de conserver le pouvoir par la force si nécessaire et non par les idées et les urnes. Nous avons vu les conséquences de la non ingérence de la communauté internationale en Angola, en RDC (Zaïre), au Rwanda, etc. Dans ces trois cas, le scénario était le même, des chefs politiques incapables d’arriver à un consensus par le dialogue et le compromis ont tout simplement levé des milices politico ethniques pour arriver à leurs fins. Et encore une fois, certains analystes avaient vu derrière ces conflits la main « de puissances occidentales qui tiraient les ficelles au nom d’intérêts économiques privés », alors qu’il ne s’agissait ni plus ni moins que de conflits politico ethniques qui n’obéissaient à aucune rationalité si ce n’est qu’à celle du sang versé du frère ennemi pour l’anéantir, à défaut de pouvoir le dominer.

    La faute est à Laurent GBABO, à Guillaume SORRO et à leurs partisans respectifs qui, au nom de l’intérêt suprême de la Côte d’Ivoire, n’ont pas su trouver une solution politique à leurs divergences, par le dialogue et le compromis au moment opportun. Leur intransigeance, exprimé par la violence des armes a fait sombrer la côte d’Ivoire dans le chaos.

    S’agissant des événements récents, la responsabilité incombe aux responsables politiques et militaires ivoiriens qui ont donné l’ordre de bombarder une position des troupes françaises tuant ainsi 9 soldats alors que la France n’est pas en guerre contre la Côte d’Ivoire. N’est ce point une preuve d’immaturité que d’avoir pris une initiative aussi absurde tant sur le plan politique que sur le plan de la stratégie militaire et d’avoir pensé que l’armée française ne réagirait pas ?
    Pour ce qui est des troubles qui s’en sont suivis, se sont les patriotes, mouvement politico ethnique à la solde du pouvoir en place qui, en toute impunité, ont pillé les biens des étrangers, terrorisé et violé des étrangères. L’armée française n’avait pas d’autre alternative que de réagir de manière mesurée. C’est ce qu’elle a fait en détruisant l’aviation ivoirienne et en tirant en état de légitime défense.