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CPT, LES NOUVEAUX CAMPS ITALIENS

Publie le lundi 5 mars 2007 par Open-Publishing

LA HONTE DES CPT, LES NOUVEAUX CAMPS ITALIENS

de Valerio Evangelisti traduit de l’italien par karl&rosa

Samedi 3 mars, un cortège sacro-saint de plusieurs milliers de personnes s’est dirigé vers le CPT (centre de permanence temporaire) de Bologne pour en demander la fermeture. Il a été violemment chargé, à coup sûr, on s’apprête à dénoncer certains manifestants.

L’approbation de ceux qui veulent que l’ordre, dans l’ex ville rouge (aujourd’hui couleur caca), soit gardé coûte que coûte est prévisible. Mais quel "ordre" ?

Celui des prisons honteuses réservées à des innocents, coupables de fuir le sort de misère et de guerre auquel le pouvoir mondial "libéral" a condamné leurs pays et des continents entiers ? Si le fait de se taire face à un scandale pareil signifie "légalité", cela veut dire que "légalité" est un gros mot.

Entendons-nous bien. Nous sommes en train de parler d’hommes et de femmes sans faute, en cage parce que la pauvreté les a poussés là où ils espéraient pouvoir mener une existence décente. Ceux parmi eux qui ne sont pas morts dans leur tentative se sont trouvés exposés, en tant que pauvres, aux pires humiliations, dont la prison. Il est temps d’en finir avec cette saloperie, cette persécution contre les plus faibles. Je ne vois aucune faute chez toute personne manifestant son dédain, dans toutes ses formes, contre l’iniquité. Les autres, les « légalitaires », les « libéraux », ceux qui poussent à la répression sont du côté du Fond Monétaire International, de la Banque Mondiale, de l’OTAN. Ce sont eux qui créent le « problème » qu’ils espèrent ensuite annuler par la force. Que les CPT meurent et tous les philistins avec (même s’ils s’appellent « centre-gauche » ou – cela me fait bien rigoler – « parti démocrate »).

Par la même occasion, je propose ici ma recension du livre de Marco Rovelli Lager italiani (BUR, 2006, pp.290, € 9,80), écrite pour Il Manifesto et jamais publiée.

LES CAMPS DE CHEZ NOUS

Les reportages qui ont la saveur et la valeur d’un ouvrage littéraire sont en train de se multiplier. Il n’y a rien de nouveau en cela et le fait que certains, craignant d’improbables contaminations, crient au scandale, étonne.

Cela fait deux siècles et plus que des écrivains majeurs se mêlent d’évènements de leur temps et qu’ils livrent, à côté du genre narratif pur, des reportages d’expériences, de voyages, d’entreprises politico-militaires, d’explorations des aspects les moins voyants de leur temps. La nouveauté réside plutôt dans le fait que certains ouvrages récents manifestent un fort engagement social. C’est peut-être cela qui étonne, à une époque qui voudrait que le choix politique net et les interrogations trop profondes soient bannis. Ce qui était licite à Friedrich Engels, à Jack London, à George Orwell (s’immerger dans les enfers de la Grande Bretagne, de la France et des Etats-Unis, saisir de la réalité la vie douloureuse des ouvriers, des mineurs, des marginalisés) ne le serait pas pour de jeunes écrivains italiens d’aujourd’hui, qui attenteraient à la pureté de « l’objet littéraire ». Ce ne sont que des sottises, c’est clair. Le reproche qui sous-tend la condamnation est tout simplement celui de cultiver la vision d’une société stratifiée, avec des dominants et des dominés, à l’heure où le terme aseptique de « entrepreneurs » a remplacé celui désuet de « patrons » et où les « prolétaires » de jadis sont devenus des « employés », des « collaborateurs » ou autre. Une « gauche moderne », en équilibre avec une droite toujours égale à elle-même mais qui, pour des raisons mystérieuses, semble nouvelle, a ouvert le chemin à des innovations lexicales capables d’éteindre ab origine tout possible conflit trop aigu. Dans un tel tableau, un auteur soulevant le lièvre et montrant l’existence d’un « système » aussi puissant que criminel ne peut que s’avérer importun. C’est le cas de Marco Rovelli, l’auteur de Lager italiani.

La provocation est déjà présente dans le titre. Dans un pays où, officiellement, on continue à nier une mémoire alourdie par des camps pour des Ethiopiens et des Slaves, par des massacres, par des tueries même récentes (en Irak, par exemple) et où les seuls camps admissibles historiquement sont les camps nazis, le fait de parler de camps de concentration italiens contemporains ne peut que provoquer un scandale. Et pourtant Rovelli nous le démontre. Au coeur de son travail il y a les CPT : les Centres de permanence temporaire que l’Italie, elle n’est pas la seule en Europe, a apprêté pour la détention de ceux qui arrivent clandestinement à ses frontières. Une invention de l’avant-dernier centre-gauche, que le centre-droit a à peine aggravée en faisant de l’entrée dans notre pays une sorte de délit, à écraser avec la plus grande dureté. Rovelli est allé interroger les détenus ou les ex détenus des CPT, en en collectant les histoires individuelles. Nous sommes habitués à les considérer comme une masse unique, guidée par son destin magnifique – la société multiethnique à venir - ou poussée par un projet trouble d’invasion.

Aucune des deux visions n’est la vraie. S’ils sont interpellés un à un, ceux que nous avons enfermés dans des prisons absurdes, inhumaines, narrent des histoires individuelles très différentes, tourmentées, où la constante est la douleur. Echappés des enfers voulus pas la macroéconomie – ou, ce n’est pas rare, avec le désir très compréhensible de « connaître le monde » - ils se trouvent incarcérés sans avoir commis aucun délit reconnu en tant que tel. Ils sont mis en cage, humiliés, obligés à des promiscuités non voulues (pas seulement entre sexes, mais aussi entre ethnies), soumis à des outrages sexuels. Bien que ce jugement ne soit pas généralisable, aujourd’hui un important pourcentage de la police, des carabiniers et des gardes n’est pas différent de ceux de Bolzaneto [la caserne de Gênes où les alter mondialistes arrêtes en juillet 2001 ont été torturés, NdT] . Il y a les exceptions, bien sûr, et dans le livre elles sont mises en exergue. Mais on met en exergue aussi la tendance, répandue dans l’ensemble de la société, à considérer le perdant comme le coupable de ses misères, ce qui permet de s’acharner sur lui aux plus hauts degrés de cruauté. Les victimes sont des Maghrébins, des Slaves, des Sud-américains, des Asiatiques. Ils viennent d’endroits du monde qui sont obligés, dans des conditions de misère extrême, à adopter l’ultralibéralisme proposé par le Fond Monétaire International et à réduire au minimum les services sociaux. Ainsi l’économie va se relever, ainsi le poids de la dette (inextinguible) va se réduire. Peu importent les destins individuels de ceux qui sont entraînés par ce mécanisme. Ils essayeront d’échapper à leur sort.

Ils se retrouveront dans une cage italienne où les geôliers les harcèlent, s’il s’agit de femmes, ou les frappent, s’ils leur en donnent le plus petit prétexte, s’il s’agit d’hommes. Le livre de Marco Rovelli – que ce soit un reportage ou un roman on s’en fiche – dénonce une injustice aux limites du tolérable. Des règles économiques dingues, cultivées en lorgnant sans arrêt l’allure des titres en Bourse, produisent des vagues migratoires. Ces mêmes vagues, quand elles se croyaient saines et sauves sur des côtes « démocratiques » se retrouvent derrière des barreaux, expérimentant les rares souffrances qu’elles n’ont pas encore endurées jusqu’à là. Pour survivre, hormis l’exploitation, il y a une seule solution : l’illégalité. Cela garantit tôt ou tard de nouveaux barreaux. En ce sens, on doit noter l’évolution d’une composante du centre-droit : la Ligue Nord. D’abord elle en voulait aux Méridionaux italiens. Ensuite, elle passe aux Maghrébins. Après, aux Noirs en général. Et voilà qu’arrivent les Slaves : blonds, très grands. Ils ne rentrent pas dans le schéma. Disons alors qu’une partie minoritaire d’entre eux sont Musulmans. La guerre est contre l’Islam…

Au sujet de l’immigration et des CPT, la schizophrénie constante de la Ligue Nord à part, tout le centre-droit, y compris les ailes s’auto définissant « libérales », est fasciste d’une manière compacte. Dommage que les CPT soient une création du centre-gauche, comme l’explique bien Rovelli, en appendice, dans ses « Notes périssables »… Mon idée est que la racine du mal réside dans le mot « centre », noyau de moralistes capables de jeter de pauvres diables dans un camp, au nom d’une sécurité sociale présumée, et de laisser des fascistes déclarés gèrer la suite. Le fait de traîner avec nous ces individus semble inévitable. Une chance qu’un Marco Rovelli nous provoque, pendant quelques instants, des frissons à propos de l’issue de l’opération.

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