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CQFD : appel d’offre aux Marco Polo du RMI

Publie le mardi 12 octobre 2004 par Open-Publishing
2 commentaires

de Nicolas Arraitz

Un chômeur n’est pas forcément un perdant, encore moins un ignorant. Mieux :
un chômeur qui ne veut pas être réduit à la figure statique et statistique
du mort de faim se doit de développer une pensée stratégique. Pire encore :
un chômeur qui ne veut pas seulement survivre a besoin de complices à la
fois pratiques et théoriques. Voilà pourquoi je lis et je fréquente les
bars.

À une association culturelle qui sollicite une subvention pour donner des
cours de théâtre aux RMIstes, une fonctionnaire du Conseil Général des
Bouches-du-Rhône rétorque : « Les RMIstes n’ont pas besoin de s’épanouir,
mais de retourner bosser ! » Ce cri du c¦ur d’une femme de gauche est à
mettre en parallèle avec la récente trouvaille d’un ministre de l’intérieur
de droite : la création d’une brigade spéciale (regroupant gendarmerie,
police et douanes) pour lutter contre l’économie informelle. De droite et de
gauche, les portes se referment autour de la moindre activité jugée inutile
ou illégale par le capitalisme dans son ultime phase totalitaire, euhŠ
pardon, globale. Haro sur les chemins de traverse. Aucune alternative ne
sera tolérée. Qui ne peut exploiter les autres doit se soumettre à
l’exploitation. Et là non plus, pas question de s’épanouir. Selon un sondage
du Journal du Management, seulement ’’ % des Françaises et 8 % des Français
ne se font pas chier au turbin. « Toujours pas de plaisir au travail »,
titre ce canard de gagneurs.

L’évolution darwinienne mènerait-elle
fatalement les descendants des chasseurs-cueilleurs-batifoleurs d’avant le
néolithique au fond de cette triste impasse peuplée de peine-à-jouir ? Au
moyen-âge, pour échapper à l’immobilité du servage, des individus ignobles,
ou en tout cas non-nobles, se sont lancés dans l’aventure d’une activité
alors méprisée : le commerce. Au départ humble et marginal, ce rapport au
monde qu’est l’activité marchande s’est imposé aujourd’hui à la planète
entière comme unique système valide. Monolithique et antisocial, il a besoin
de s’appuyer, comme l’Ancien Régime à l’époque de sa décadence, sur des
féodalités de plus en plus brutales. Il faut alors se demander qui seront
les nouveaux aventuriers capables d’ouvrir des brèches vers une existence
plus libre que celle du citoyen-consommateur, vers une activité moins
aliénée que le travail. Et où se situent leurs champs d’expérience.
« Où commence la richesse ? », titrait Le Figaro il y a quelques jours.
Bonne question. La réponse convenue est bien sûr : dans un gros compte en
banque. Mais pourquoi ne pas avoir posé aussi la question aux Africains ?
Leur réponse aurait été sans doute plus richeŠ en enseignements. Là-bas,
après avoir longtemps versé des larmes de crocodile sur les famines, le sida
et les guerres, les humanitaires et les coopérants cachent de plus en plus
mal leur agacement face à la prétendue passivité des autochtones.

Car cette
force d’inertie de la société locale prive les banques et l’industrie du
sang frais dont elles ont un besoin toujours croissant. L’argent, les
échanges, l’activité et les liens sociaux empruntent souvent des circuits
qu’elles ne contrôlent pas : voilà ce qu’elles appellent sous-développement,
et c’est peut-être là que germent certaines de nos solutions : l’ébauche
d’une richesse sociale.

Plus près d’ici, les joyeux drilles de Yomango proposent le vol à l’étalage
comme alternative à l’acte d’obéissance qu’est l’achat dans les grands
centres commerciaux. Se présentant comme la franchise d’une marque à la
mode, ils ont organisé des défilés de mannequins dans les rues commerçantes
de Barcelone, en pleines soldes. Leurs modèles, vêtus d’habits arborant des
poches en forme de bouches voraces et armés de fourchettes géantes,
provoquèrent un sympathique chaos, mis à profit par de nombreux clients en
quête de bonnes affaires (voir pages centrales de CQFD et leur site www.yomango.net ).

Encore plus près, les Associations pour le maintien d’une agriculture
paysanne (AMAP) ont le vent en poupe. À leur niveau et à leur rythme, elles
court-circuitent la grande distribution et l’industrie agroalimentaire en
mettant en relation directe paysans et consommateurs. Rien de radical dans
leur posture, mais ça a bon goût et c’est avantageux (voir page 5). L’action
des faucheurs d’OGM (noctambules et autres) est complémentaire de ce type
d’association terre-à-terre, horizontale et en réseau. En tout cas, c’est
plus concret que les nostalgies fumeuses d’Attac au sujet d’un État juste et
protecteur qui n’a jamais existé que dans leurs rêveries de fonctionnaires.
Il faudrait fédérer les pratiques dissidentes sans se soucier de savoir si
elles cadrent ou pas dans la légalité des propriétaires du monde. Il ne
s’agit pas seulement de « réagir contre », mais d’explorer des pistes qui
nous permettent de bien vivre. Et même s’il n’est pas toujours possible de
rendre publiques nos recettes sans risquer de les éventer, il serait bon
d’échanger et de faire circuler nos expériences. Ceci est un appel à
contribution. La ligne de partage actuelle passe, bien plus qu’entre prolos
et patrons, entre ceux qui se résignent à être esclaves des choses (qu’ils
soient milliardaires ou smicards) et ceux qui refusent de se laisser traiter
comme des choses. Aventurier de la précarité cherche bonne vie. « Parce que
je le vaux bien. »

(article extrait de CQFD n°16, à paraître en kiosque et librairies le 15
octobre www.cequilfautdetruire.org )

Messages

  • Milliardaires et smicards ne s’opposeraient pas tant que cela du moment qu’ils seraient également "esclaves des choses"...?
    Ce discours-là est pour le coup, infiniment plus théorique que pratique.
    Les "choses" constituent, au moins partiellement, les conditions d’existence, qui déterminent les personnalités et les rapports à autrui dans une mesure considérable.
    C’est aux Etats-Unis, pays marqué par une bigotterie et un antimatérialisme d’affichage que ce type de théorie est tenu le plus souvent, avec comme objectif principal de nier le caractère indispensable de la lutte de classes ; pourquoi en effet faire émerger la solidarité contre l’exploiteur puisqu’on peut réussir (sic) seul, même en partant de rien.
    Et ça marche : 19 % des Etatsuniens estiment appartenir au 1 % le plus riche de la population. 20 % estiment être en bonne voie d’accès à ce niveau de richesse.

  • Pire encore : un chômeur qui ne veut pas seulement survivre a besoin de complices à la fois pratiques et théoriques. Voilà pourquoi je lis et je fréquente les bars.

    Moi aussi, je les cherche, ces complices pratiques, les théoriques existent en masse. Mais ce n’est pas dans les bars que je les trouverai. Et la lecture n’est que faiblement utile dans mon cas. Mais je vis peut-être dans un autre monde. Le mien en tout cas, je le vois dans l’économie humaniste. Y aurait-il des traces sur Bellaciao ? Ils pourraient nous rejoindre sur www . alter-france . net (retirer les espaces).

    Sonia J. FATH