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Ces mains d’or qui veulent travailler encore
Publie le mardi 4 août 2009 par Open-Publishing5 commentaires
Haute couture . Dans les ateliers Christian Lacroix, l’Humanité est partie à la rencontre de ces couturières qui ont, elles aussi, construit la grande maison, aujourd’hui menacée de liquidation.
Numéro 73, rue du Faubourg-Saint-Honoré. À deux pas de l’Élysée, au coeur du triangle d’or de la capitale mondiale de la mode. L’adresse du monde merveilleux de Christian Lacroix. Dans la rue, son nom s’étale en lettres dorées sur les bannières écarlates, au-dessus de l’élégant portail qu’il a lui-même dessiné. À l’intérieur, le salon, décoré par l’artiste, réservé aux essayages et aux séances de photos. Un océan chatoyant. De la couleur partout. Et voilà qu’aujourd’hui cet univers miniature se retrouve projeté, comme tant d’autres entreprises, dans la grisaille de la crise. À l’étage, dans les ateliers de haute couture, il reste deux robes à finir, pour le mariage d’une riche Brésilienne. Plus quelques bricoles, des retouches. Vendredi, les 24 couturières partent pour un mois de congés forcés. Nadia, Marie-Hélène, Christiane, Valérie et les autres ne savent pas si elles reviendront en septembre. Elles voudraient bien y croire encore, mais ont déjà commencé leurs cartons. Elles en ont marre des rebondissements, des « coups au coeur » : entendre que leur boîte est condamnée et, le lendemain, qu’elle pourrait être rachetée. Ce sont les oubliées du feuilleton médiatique Christian Lacroix : pas en contact avec les ministres ni avec les rédactrices de mode, elles aimeraient être fixées sur leur sort. Pour l’heure, tout est encore en place. Les mannequins alignés sur les étagères, la radio branchée sur Nostalgie, les ébauches de robes sur les portants. Les photos des enfants sur les murs, à côté des pages de magazines de mode et des calendriers de rugbymen, au milieu des étoffes, des fils et des ciseaux.
La marque contre les salariés
L’entreprise Christian Lacroix est en redressement judiciaire depuis fin mai. Les propriétaires, les frères Falic, des spécialistes américains du duty-free, l’ont rachetée pour une bouchée de pain en 2005, après que Bernard Arnault, patron de LVMH et première fortune de France, eut décidé de s’en séparer. En quatre ans, les déficits se sont creusés. Version officielle, répétée à satiété dans la presse : Christian Lacroix serait victime de « la crise financière mondiale qui touche de manière significative le domaine du luxe ». À y regarder de plus près, l’effondrement de la maison serait plutôt dû à la gestion désastreuse des frères Falic. Vivement critiqué par les salariés, le dirigeant actuel, Nicolas Topiol, expatrié à grands frais des États-Unis, ne comprend rien à la haute couture. Dans ce contexte, ce sont les salariés qui paient les pots cassés. Pour rembourser les dettes de plusieurs millions d’euros, les actionnaires demandent le licenciement de 112 d’entre eux (sur un total de 125), afin de ne conserver que ce qui rapporte : la marque. « Une fois qu’ils auront supprimé l’écrasante majorité des emplois, ils feront ce qu’ils voudront de la marque, fulmine Arsène Riche, élu non syndiqué au comité d’entreprise (CE). Il suffira à n’importe qui de payer assez cher pour mettre le nom Christian Lacroix sur des chapeaux, des lunettes, des capotes, n’importe quoi… La haute couture, ce sera fini pour toujours ! » Laure, également membre du CE, renchérit : « Les Falic n’avaient pas les moyens de leurs ambitions. Ils avaient promis d’investir. Ça a décliné, au fur et à mesure. On ne payait pas les fournisseurs à temps, alors on a dû en changer. La qualité du prêt-à-porter baissait, les collections arrivaient en retard, donc on vendait moins… Un vrai cercle vicieux. »
Histoire d’amour, histoire de robes
Quarante-cinq défilés, des centaines de robes, des milliers d’heures de travail, pour 1 600 euros net par mois en fin de carrière. Pour les couturières, il y a plus que de l’argent en jeu dans ce plan de licenciement. Il suffit de regarder les « filles » de l’atelier travailler pour comprendre qu’elles ont de l’or dans les doigts. Voir la précision de leurs gestes, la manière dont elles attrapent le tissu. Elles sentent d’avance le tombé parfait, piquent juste, froncent, drapent, enveloppent comme personne. Après trente ans de métier, elles disent qu’elles apprennent encore tous les jours. Nadia Schooppe, comme d’autres couturières, travaillait déjà avec Christian Lacroix quand il était styliste chez Jean Patou, un des grands noms de la haute couture parisienne. À l’ouverture de la maison Lacroix, il y a vingt-deux ans, elle l’a suivi : « Cette boîte, nous l’avons créée, autant que lui. Nous y avons mis tout notre coeur, toute notre âme. C’était notre bébé. »
Et puis il y a l’ambiance de la maison, exceptionnelle. « Les filles de l’atelier, c’est la famille. » Le mot revient souvent. Personne n’est jamais parti pour aller travailler ailleurs. Quand l’une des « filles » se marie, les autres fabriquent sa robe, « forcément magnifique, faite avec l’amour des copines ». Elles ont vu les enfants des unes et des autres grandir. Interrogé, mardi soir, à Bercy, par l’Humanité, Christian Lacroix assure, lui, que s’il « se démène pour sauver la boîte », c’est « pour elles », pour ses salariées. « Il nous connaît toutes, envoie toujours un mot ou des fleurs pour les mariages, il vient aux enterrements », raconte Marie-Hélène. Elles apprécient d’avoir leur mot à dire sur les créations, expliquent qu’elles s’occupent entièrement de toute la confection, de la coupe aux retouches. « Si on travaille ailleurs, il va falloir apprendre à se taire… », résume Véronique.
belle comme un morceau de nuage
Malgré leur talent exceptionnel, les perspectives de réembauche dans d’autres maisons sont très faibles. Régis Valliot, l’administrateur judiciaire en charge du dossier, prétend le contraire : « La vingtaine de mains d’or n’aura aucun mal à retrouver un travail, chez Chanel, par exemple. » Gros doute chez les couturières. Nadia ne se voit pas bosser dans le prêt-à-porter, même de grand luxe. « Ce n’est pas le même métier. Là-dedans, tout est fait à la machine. » Dans les ateliers, une image de ce qu’elles refusent d’abandonner : cette robe de mariée, rehaussée de broderies et de dentelles, avec son boléro et sa longue traîne, en organza de soie, belle comme un morceau de nuage. Presque tout a été fait à la main. Au total, entre trois cents et cinq cents heures de travail. Combien ça vaut, au juste, une pièce pareille ? La question fait sourire Nadia : « Cent mille euros ? En fait, je préfère ne pas le savoir. »
http://www.humanite.fr/2009-07-30_Societe_Ces-mains-d-or-qui-veulent-travailler-encore
Messages
1. Ces mains d’or qui veulent travailler encore, 4 août 2009, 22:38
Foutage de gueule !!
Les riches et même les moins riches n’ont jamais été aussi riches. Cf données stat sur l’évolution de la pauvreté et de la richesse aux states entre 80 et 2009.
Il ne faut jamais donner de beaux outils de travail à des adultes-enfants millionnaires ou milliardaires.
T’façons, la France est pillée de part en part.
Il ne restera bientôt plus rien aux mains des français capitalistes ou non.
Et quand celle-ci se retrouvera sous 60 mètres d’eau...
1. Ces mains d’or qui veulent travailler encore, 4 août 2009, 23:29, par virginie
j’avais oublié que derrière les problèmes financiers de Christian Lacroix (dont tout le monde se fout), il y a effectivement, des travailleuses qui vont perdre leur emploi.
merci de ce rappel si joliment raconté.
2. Ces mains d’or qui veulent travailler encore, 5 août 2009, 00:28
Pourtant, des spécialistes avaient affirmé que c’était le domaine du luxe qui serait le moins touché par la crise. Il faut croire que non.
Au fait, ce n’est plus le consommateur qui est roi, mais les actionnaires. Quand est-ce que quelqu’un cognera fort sur la table pour leur dire STOP les mecs, c’est pas vous qui faites la pluie et le beau temps dans l’entreprise ??????????
3. Ces mains d’or qui veulent travailler encore, 5 août 2009, 08:37
A 88 136.
Les maîtres sont les ouvriers qui peuvent tout changer...
ils ont le choix : continuer vers l’abîme...ou dire STOP...
1. Ces mains d’or qui veulent travailler encore, 5 août 2009, 09:25
J’en suis convaincue.