Cesare Battisti : lettre de Bernard Lallement à Jean-Louis Debré

(Bernard Lallement a fait partie de l’équipe fondatrice de « Libération » réunie autour de Jean-Paul Sartre)

BERNARD LALLEMENT
C/o Editions Albin Michel
22, rue Huyghens
75014 PARIS

Evreux, le 31 mars 2004

Monsieur le Président,

J’ai l’honneur d’appeler votre attention sur le sort de l’écrivain italien Cesare Battisti contre lequel une procédure d’extradition est actuellement pendante devant la Cour d’appel de Paris.

Ainsi que nombre de mes collègues écrivains j’ai soutenu la demande du maintien, dans notre pays, de cet ancien activiste de la cause révolutionnaire italienne des années de plomb.

Il ne s’agit pas, pour moi, de nier l’atrocité des crimes commis. Nul combat ne justifie la mort d’innocents et la violence, comme l’écrivait Jean-Paul Sartre, est toujours la manifestation d’un échec. Mais, à défaut de l’admettre, il nous échoit de comprendre les errements de ces militants, en Italie, qui ont été mués par l’obsession délirante d’une conquête de la liberté au prix de la terreur.

Il n’est pas, non plus, question d’opposer la douleur des victimes, le souvenir de morts aussi injustes qu’inacceptables, aux protestations d’innocence de Cesare Battisti dont il convient de lui donner acte.

Il ne nous appartient pas de faire le procès de l’Histoire. Toutefois, cet homme a aujourd’hui coupé avec son passé et est devenu un écrivain reconnu, avec cette vérité de la pensée qu’exige le travail de l’écriture. La République française lui a octroyé un asile. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a-t-elle, par deux fois, refusé de l’extrader.

Nous ne saurions bafouer l’autorité de la chose jugée. Nous ne pouvons revenir sur la parole donnée par le Président de la République. Il s’agit là d’un acte de gouvernement qui s’impose à tous et s’assimile au droit de grâce.

Livrer Cesare Battisti à l’Italie revient à le conduire, directement, en prison pour qu’il purge une peine perpétuelle, sans qu’il puisse s’expliquer, devant une cour de justice, sur des faits dont il nie être l’auteur.

Notre civilisation judéo-chrétienne est basée sur le pardon, condition nécessaire de la paix sociale. Il est le fondement de nos lois d’amnistie. Il inspira le général de Gaulle après les évènements de la guerre d’Algérie qui divisèrent notre pays. Il fût l’un des éléments déterminant de la décision du président François Mitterrand.

La Cour d’appel de Paris doit examiner la demande des autorités italiennes au cours de son audience du 7 avril 04.

Je vous sais républicain convaincu et connais votre attachement aux idéaux de justice. C’est pourquoi, je vous serais reconnaissant d’intervenir auprès de Monsieur le Garde des Sceaux, afin que la procédure tendant à l’extradition de Cesare Battisti soit retirée.

Au nom de ceux qui le soutiennent, je vous en remercie par avance et vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de ma très haute considération.

Bernard Lallement