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Ciao, Cesare

Publie le dimanche 29 février 2004 par Open-Publishing

Singulière expérience que d’aller voir un film portant sur une époque récente, que l’on a soi-même bien connue, et de percevoir soudain cette époque comme " historique ", je veux dire ancienne, différente, séparée, ne pouvant plus être comprise qu’au prix d’un raisonnement historique. Ce film, c’est Buon giorno, notte, excellente reconstitution de la séquestration et de l’assassinat d’Aldo Moro.

Je me souviens très bien de ces événements tels que je les ressentais, et j’oserai dire tels que nous les ressentions alors, mes amis et moi, étudiants politisés oscillant entre l’althussérisme et l’extrême gauche. Je ne voudrais pas prêter abusivement mes propres sentiments aux autres, mais il me semble que ce que nous éprouvions ne dépassait pas ce qu’on appelle un désaccord politique. Nous considérions l’action des Brigades rouges, ou des mouvements analogues, comme vaine, absurde, " coupée des masses " (vocabulaire d’époque). Je ne me souviens pas d’avoir vu ou entendu un seul de mes copains s’indigner ou s’émouvoir de ce qu’il faut bien aujourd’hui appeler un meurtre ignoble. Le problème pour nous n’était pas là. Nous nous bornions à penser qu’il ne servait à rien, d’un point de vue révolutionnaire, d’éliminer un " représentant de l’État bourgeois " (re-vocabulaire d’époque).

En parlant du film avec une personne plus jeune que moi d’une quinzaine d’années, je l’ai surprise en lui expliquant qu’en ce temps-là le thème des " droits de l’homme " nous paraissait purement et simplement relever de " l’idéologie bourgeoise " ; que la gauche progressiste ne s’en était vraiment ré-emparée qu’un peu plus tard, au moment même, curieusement, où les États-Unis se mettaient également à en parler (après avoir ouvertement soutenu, des années durant, les pires dictatures militaires).

C’est ça, l’histoire. Les critères changent, la sensibilité aussi, l’angle de vue. On est porté. Un beau matin, on n’est plus où l’on était. Moi, à l’époque, si j’étais contre les Brigades rouges, ce n’était pas par principe, mais par différence d’analyse (par trouille aussi, bien sûr). Ce qui veut dire que je n’étais pas foncièrement différent. Pas radicalement différent. Tuer un patron ou un politicien bourgeois, ça pouvait se discuter. " Assassiner un homme " ? Formulation idéaliste, camarade ! Et nous étions nombreux ainsi.

Voilà, je n’ai pas parlé de l’homme futur aujourd’hui, j’ai eu envie de parler de ces vieilles histoires. Je ne puis accepter la conscience tranquille que Cesare Battisti soit en prison.