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Coup de Trafalgar caché contre le Code du travail et le programme de Sarkozy

Publie le vendredi 22 décembre 2006 par Open-Publishing
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A cause de l’extraordinaire mobilisation victorieuse contre le Cpe, ils ont renoncé à faire voter un nouveau Code du travail par ordonnances en mai - juin 2006.

Mais ils viennent de passer un article de loi qui prolonge de neuf mois l’habilitation des ordonnances pour imposer ce nouveau Code, si par malheur, ils gagnent la présidentielle...

Au-delà du Cpe, du Cne, la droite avait prévu de ré- écrire tout le code du travail à droits trés allégés.

Un fait capital a été occulté par tous les plus grands médias : dès août 2005, Dominique de Villepin avait repris à son compte une commission, installée le 16 février 2005 par le ministre du Travail, Gérard Larcher, qui avait pour objectif la réécriture de tout le Code du travail !

C’est l’une des plus grandes offensives historiques qui ait jamais été imaginée, mise en scène, pour supprimer cent cinquante ans de droits d’un seul coup à 20 millions de salariés.

Ceux qui ont conçu cette opération et essayé de la mener à bien, en catimini mais audacieusement, tout en comptant sur des maillons faibles syndicaux pour réussir, sont des comploteurs de haut vol. Ils ont calculé leur coup, ont cogité intensément, longuement ; ils suivent un plan infernal et dangereux. Certes, ils ont été déviés par la mobilisation contre le Cpe, mauvaise boule dans leur casino, mais attention, danger, ils ne renoncent pas !

Le Cne, le Cpe n’étaient que des ballons d’essai : les 3 851 articles et les 9 livres qui constituent le Code du travail étaient, depuis des mois, en cours de réécriture. Il s’agissait, sous prétexte de « simplifier », de « moderniser » le Code, de le modifier entièrement, prétendument à droits constants. Le redécoupage était effectué en 38 chapitres. Naturellement, tout était touché : la nature des contrats, les modalités de leur rupture, le droit de grève, le droit syndical, l’inspection du travail, etc.

Voici quelques exemples non exhaustifs de ce projet de réécriture qui va complètement dans le sens du combat mené par le Medef depuis plusieurs années, décortiqués à mi-parcours, en janvier 2006, par la Cgt de l’inspection du travail (Unas Cgt-Sete) :

1°) Jusqu’ici, il y a, d’une part, les dispositions relatives au contrat à durée indéterminée et, d’autre part, les dispositions relatives au Cdd et au travail temporaire, encore considérés comme des contrats d’exception. Ils veulent introduire un titre unique : « Dispositions communes à la formation et à l’exécution de tous les contrats de travail ». C’est la mise en oeuvre de la volonté du gouvernement et du Medef d’imposer un contrat unique, précaire, pour tous à la place du Cdi.

2°) La durée du travail serait maintenant traitée dans la même partie que le salaire et l’intéressement, et non plus dans le titre sur les conditions de travail. Il s’agit d’une revendication patronale ancienne qui entend traiter la durée du travail sous l’angle du coût du travail, et non sous l’angle des conditions de travail.

3°) L’actuel titre « Conflits collectifs » serait transféré dans la partie relative aux relations collectives du travail, et notamment à la négociation collective. Le danger est que, par accord collectif, il puisse être introduit, au niveau des entreprises, des clauses dites « de paix sociale » ou « clauses de service minimum » qui, jusqu’à présent, sont considérées comme illégales, car le droit de grève est un droit inaliénable, inscrit dans la Constitution, qu’un accord collectif ne saurait supprimer.

4°) Une partie nouvelle serait créée, intitulée « Dispositions relatives aux travailleurs temporairement détachés en France par une entreprise basée à l’étranger ». Cette partie se composerait de sept chapitres. Jusqu’à présent, les règles applicables aux travailleurs en activité en France sont les mêmes pour tous. Mais, avec cette nouveauté, la place pour une directive de type Bolkestein reconfigurée serait tracée.

5°) Enfin, si actuellement le livre VI s’intitule « Contrôle de l’application et de la réglementation du travail », dans le projet, la partie VII a pour titre « Administration du travail et services de contrôles », et c’est en toute logique que le futur Code du travail devait prendre en compte une réforme en cours visant à affaiblir l’inspection du travail.

Il est surprenant qu’aucune analyse n’ait, à grande échelle, fait l’objet d’une alerte, d’un débat, sur l’ensemble de ces travaux pourtant très avancés. Ces cinq modifications en induisaient bien d’autres, et si MM. de Villepin et Larcher avaient pu aller jusqu’au bout, l’affaire serait déjà entendue.

Le 24 janvier 2006, le bureau confédéral de la Cgt a émis la note suivante :

« Nos représentants à la commission de concertation sur la recodification du Code du travail [...] à l’expérience de huit mois de fonctionnement de cette commission [constatent qu’]elle ne permet nullement la prise en compte des propositions syndicales, même lorsqu’elles font l’unanimité des confédérations représentatives. Nous constatons en outre que, sous le vocable de “recodification à droit constant”, le processus engagé apporte une modification substantielle aux normes existantes et à l’interprétation jurisprudentielle qui peut en être faite. Avec l’ensemble des organisations syndicales, nous nous sommes par exemple émus du déclassement de mesures législatives en articles réglementaires - donc facilement modifiables par décret - dans des domaines aussi importants que celui des compétences judiciaires ou administratives.

« Nous avons aussi protesté - en vain, semble-t-il - contre l’exportation dans d’autres codes de règles touchant à la relation salariale. Il en est de même sur de nombreuses questions touchant au vocabulaire utilisé, à l’ordonnancement des chapitres, à l’éclatement de certains articles. »

L’intention initiale de Dominique de Villepin était bel et bien de faire adopter un nouveau Code du travail, par ordonnances, en mai-juin 2006 ! Nul doute que le Medef aurait été comblé si n’étaient survenues les magnifiques mobilisations des 7 février, 7 mars, 21 mars, 28 mars et 4 avril 2006. Plusieurs millions de salariés et de jeunes, en s’opposant de toutes leurs forces, pendant deux mois, au Cpe, ont sauvé en même temps et sans le savoir l’essentiel du Code du travail. L’opération fut reportée en octobre, visiblement seulement différée.

Mais ils n’ont renoncé à rien. Ils en font un enjeu majeur de la présidentielle

Fin 2006, c’est dans l’article 35 du « projet de loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié » qu’il est demandé au Parlement une nouvelle « habilitation » et donc un nouveau délai de neuf mois pour ce travail de « recodification ».

Selon Liaisons sociales, « la rédaction d’un projet a été achevée dans le délai imparti par le législateur, cependant, ce délai n’a pas été suffisant pour permettre l’examen du projet par la commission supérieure de codification, puis par le conseil d’État ».

Donc dans une loi qui parle d’autre chose, (d’interessement et participation) ils ont caché un “cavalier parlementaire” qui leur donne un nouveau délai de 9 mois, s’ils gagnent la présidentielle...

Il se préparent a exaucer les voeux de Laurence Parisot qui n’avait critiqué le Cpe que sur un seul aspect : il ne fallait pas, selon elle, le réserver aux seuls jeunes ; il aurait été préférable d’étendre le Cne aux entreprises de moins de 50 salariés, puis à tous les salariés. Elle réclame obstinément un “nouveau contrat de travail” négocié de gré à gré, débarrassé de la “durée légale” du travail, du “carcan du Smic” : « Réfléchissons aux motifs de la rupture, à la période d’essai, et plus généralement à ce que j’appellerais la séparabilité de l’entreprise et de l’employé... ». Elle veut un nouveau “contrat unique”, un Cne généralisé sur la vie. Plus de droit ferme du licenciement, seulement des promesses vagues de reclassement ! Mais des ruptures faciles, sans procédure, par transaction, sans prud’hommes !

Si M. Sarkozy l’emporte à la présidentielle, il l’a annoncé, dans ses discours d’Agen, d’Angers, dans le progamme de l’Ump, ce nouveau contrat serait mis en application...

Après avoir organisé la dénonciation de l’« État providence », le Medef dénonce le « contrat providence » et s’emploie à le ruiner.

La menace est telle qu’aucun droit à l’abstention, aucune hésitation n’est possible quoi qu’il arrive, il faut leur faire barrage.

Quitte à faire comprendre au passage à toute la gauche, l’intérêt non seulement de défendre un Code du travail plus protecteur, mais de le renforcer au plus vite et le plus vigoureusement possible.

Matti Altonen

[ La presse a boycotté ces informations : seul “Capital.fr” en a fait état, extrait ci-dessous :

Sans tambour ni trompette, l’Assemblée nationale a relancé, très discrètement, la réécriture du Code du travail. Le dossier est ultra sensible pour le gouvernement, après le rejet du CPE et à quelques mois des présidentielles.

En charge du dossier à la CGT, Philippe Masson craint, à l’unisson avec d’autres syndicats, que le redécoupage en cours ne modifie profondément la compréhension du droit du travail. (...)

Ainsi, pour des millions de salariés et leur employeur, il pourrait devenir difficile de comprendre que l’obligation de reclassement est le préalable à tout licenciement économique, puisque ces deux éléments seront désormais séparés dans le nouveau Code du Travail.

Autre exemple : toute entreprise doit désigner un délégué du personnel à partir de onze salariés ; un comité d’entreprise à partir de cinquante. Ces seuils sont garantis par la loi. Du moins pour l’instant, car avec la simplification en cours, le gouvernement pourrait les relever sans passer par le Parlement.

Plus généralement, les syndicats semblent s’étonner que leurs remarques ne soient pas retenues.

Même celle faites à l’unanimité. Ce qui surprend pas Gérard Filoche, inspecteur du travail et membre du PS : "La réécriture complète du code du travail faisait déjà partie du rapport de Virville de 2004". Depuis, le rapport rédigé par l’ancien directeur des ressources humaines de Renault (RNO) sert de feuille de route au gouvernement en matière de travail. (...)

L’ordonnance devant concrétiser son nouveau code du travail n’ayant pas vu le jour avant la fin juin 2006, Gérard Larcher s’est vu offrir une seconde chance, le 11 octobre dernier, à la faveur du vote par les députés de la loi sur la Participation et l’intéressement. Ce texte de loi, pourtant sans rapport avec le droit du travail, permet au ministre de disposer à nouveau de douze mois pour présenter son projet. La nouvelle fenêtre de tir déborde même les échéances électorales de 2007.

Trois députés socialistes - Michel Charzat, Alain Vidalies et Jean Le Garrec -, se sont opposés en séance à ce repêchage, au motif que "l’opération (...) de simplification du code du travail (...) n’a en fait pour seul objectif que de réduire la portée du droit du travail". Le rapporteur de la loi, le député UMP Jean-Michel Dubernard, a dénoncé un "procès d’intention", une instance administrative garantissant la neutralité des modifications. Tandis que le ministre Gérard Larcher a rappelé que "cette réécriture se fera à droit constant", comme la loi l’y oblige. "Malheureusement !", a même déploré un autre député UMP, Xavier de Roux.
© Capital.fr ]

Extrait du N°140 de Démocratie & Socialisme paru le 19 décembre 2006. www.democratie-socialisme.org

Messages

  • Tant qu’il y a des types comme Baroso and C° à la commission, les droits des travailleurs sont en danger. je voudrais rappeler ce qu’ils nous ont asséné pendant des jours et des nuits, si on ne vote pas le TCE. Nous l’avons échappé belle et je suis fière comme petites fourmis y avoir contribuée. Bientôt les législatives, il s’agit de virer tout ceux qui depuis des années déshabillent Paul pour habiller Jacques dans leur frénésie d’élargissement.

  • Après la confirmation des candidatures de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy, la France entre dans une longue campagne électorale présidentielle, puis législative, qui ne prendre fin qu’à l’été 2007. Durant cette période, toutes les manipulations sont possibles. L’une des plus dangereuses pour la démocratie est l’instrumentation de l’extrême droite. Elle est entreprise aussi bien par des hommes politiques que par des journalistes.

    Il n’a échappé à personne qu’en cas de présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, comme en 2002, son challenger serait automatiquement élu grâce à un phénomène de rejet des thèses du Front national. Du coup, il ne manque pas de consultants en tactique politique pour conseiller à Mme Royal et à M. Sarkozy de créer les conditions pour affronter M. Le Pen au second tour. Dans une telle optique, il ne s’agirait plus seulement pour les candidats de l’UMP et du PS-PRG-MRC de se hisser au second tour, mais d’y porter aussi leur adversaire du FN. C’est une tactique risquée pour Mme Royal et M. Sarkozy car aucun des deux n’a l’assurance d’atteindre le second tour, et c’est une tactique dommageable au pays en ce qu’elle valorise ce qu’il y a de pire dans le FN.

    Plus encore que les autres partis politiques, le FN est complexe. Il n’a rien à voir avec l’organisation monolithique que laisse supposer son culte du chef. C’est au contraire un rassemblement de chapelles diverses, souvent beaucoup plus dures entre elles qu’avec leurs adversaires les plus éloignés. C’est un parti dont l’électorat s’est considérablement élargi en vingt deux ans, mais dont l’appareil n’a cessé de grossir et de maigrir, au gré de crises. La diabolisation dont il a fait l’objet a gommé ses contradictions internes pour le présenter exclusivement sous le jour du courant le plus sombre, celui du néo-fascisme. En réalité son principal message est de nature post-coloniale : Jean-Marie Le Pen s’adresse avant tout aux victimes de la décolonisation. Il leur parle de la manière dont les gouvernements successifs ont trahi et abandonné les petites gens qui s’étaient expatriées. Il les touche car il est le seul à prendre en compte leur douleur, mais il ne les console pas pour autant car il attise leur fantasme de vengeance sur les immigrés et leurs enfants. Comment des Algériens pourraient être heureux en France quand, eux, ont souffert de quitter l’Algérie ? Progressivement, ce message s’est enrichi d’une variante destinée à tous les déracinés, aussi bien les victimes des fermetures des grands bassins industriels contraints à l’exil intérieur, que celles de la mondialisation, venues en France pour y travailler et échapper à la misère. À tous, il parle de la trahison des élites et de leur identité perdue. Il leur propose une identité française ambigüe où se mêlent grandeur et intolérance. Au final, le discours de Jean-Marie Le Pen empoisonne la société française parce qu’au lieu de répondre aux souffrances qu’il prend en compte, il désigne des boucs émissaires.

    Dès lors, le meilleur moyen de s’opposer à la rhétorique du FN, c’est – sur le long terme – de répondre concrétement aux besoins de ses électeurs et – sur le court terme – en l’invalidant par une confrontation avec la réalité. A contrario, le meilleur moyen de jouer avec le FN, c’est de conforter sa problématique et de ne jamais le placer en situation d’avoir à rendre des comptes. Toutes choses qui sont obtenues en glissant du politique vers la peopolisation.
    Traffic de parrainages

    La tactique malsaine de propulsion de M. Le Pen comme challenger idéal au second tour de l’élection présidentielle n’a pas tardé à faire irruption sur la scène publique. Bernard Accoyer (président du groupe UMP à l’Assemblée) le 9 novembre, puis Nicolas Sarkozy (président de l’UMP) lui-même, dans un discours aux maires de France le 23 novembre, ont affirmé la nécessité d’aider Jean-Marie Le Pen a recueillir les 500 parrainages nécessaires à l’enregistrement de sa candidature [1]. Il s’agirait, nous dit-on, de veiller à ce que toutes les familles politiques puissent concourir sportivement à l’élection. Belle hypocrisie puisque le même parti a, en 1976, haussé le nombre des parrainages requis de 100 à 500, précisément pour barrer la route à une candidature d’extrême droite. Pour éviter la situation actuelle, le nouveau souci démocratique de l’UMP aurait dû le conduire à proposer le retour aux 100 parrainages ou à instaurer une pétition de 200 000 signatures comme l’a trop tardivement proposé Brice Hortefeux [2]. Il ne l’a pas souhaité alors qu’il aurait pu le faire.

    L’UMP a ainsi trouvé l’occasion de supprimer un autre aspect de cette manipulation. En 2002 les listes de parrains restèrent secrètes. En 2007, elles seront publiques. C’est qu’à la dernière élection, la plupart des petits candidats ont obtenu les parrainages grâce à l’appui des deux grands partis, parfois malgrés eux et souvent à l’insu des électeurs. À titre d’exemple, Alain Juppé, avait convaicu des élus de droite de parrainer la candidature d’Arlette Laguiller pour diviser la gauche. Tandis que Jean-Christophe Cambadelis avait convaincu des élus de gauche de parrainer la candidature d’Olivier Besancenot pour ratisser large et rabattre des voix vers le candidat socialiste au second tour. Ce fut un mauvais calcul.
    Gonflement artificiel du FN

    La tactique d’instrumentalisation de l’extrême droite ne concerne pas que les états-major politiques. Elle peut être mise en œuvre par des groupes économiques à travers les médias qu’ils possèdent. Espérant la reconnaissance du prochain président, ils se préoccupent exclusivement de pousser M. Le Pen au second tour et pas de savoir qui sera le challenger. Leur tactique est gagnante, que Mme Royal ou M. Sarkozy soient élus.

    Un exemple, dont je viens de faire les frais [3], est la participation de journalistes au relookage du Front national. Ils n’hésitent pas à aider la formation de Jean-Marie Le Pen à modifier son image pour la rendre plus attrayante et lui faciliter le passage du second tour de l’élection présidentielle.

    Actuellement, le FN doit faire face à deux défis majeurs : d’une part, l’âge de son président rend nécessaire d’organiser sa succession, d’autre part, à la suite de multiples démissions, il manque de cadres aguérris et a perdu le contrôle de son propre appareil. La plupart de ses permanents sont des extrémistes catholiques, alors même que les leaders de ce courant ont quitté le FN et poursuivent leur carrière dans l’ombre de Philippe de Villiers.

    Dans ce contexte, les journalistes qui souhaitent instrumenter le FN, s’évertuent à le présenter comme conquérant en valorisant ses efforts d’image, en relatant des mouvements d’opinion et des ralliements imaginaires.

    Jean-Marie Le Pen hésite à désigner sa fille Marine comme dauphin, malgré la confiance qu’il lui accorde, ou à choisir Bruno Gollnisch, malgré son expérience. Il maintient ses deux fers au feu.
    Des journalistes ont choisi de profiter du départ des extrémistes catholiques pour « laïciser » l’image de M. Le Pen, toujours en vue d’ouvrir la voie à leur candidat. Ainsi le dossier de Libération du 20 décembre qui met en scène le ralliement du sociologue marxiste Alain Soral au FN et annonce mensongèrement que je l’ai suivi. Le tout basé sur un reportage de Christophe Forcari, bon connaisseur de l’extrême droite puisque (toujours à l’insu de ses lecteurs) ancien militant d’un groupuscule néo-fasciste, le Parti des Forces Nouvelles [4].
    Ce procédé, consistant à annoncer des ralliements imaginaires pour gonfler l’image du FN, avait déjà été tenté par des journalistes France 2. Le 4 juin, un reportage d’Arnaud Boutet et Olivier Robert laisait entendre que les adhérents de la Confédération paysanne, le syndicat de José Bové, étaient décidés à voter Le Pen [5].
    Dans la même veine, Christiane Chombeau et Gérard Courtois ont mis en scène, dans Le Monde du 15 décembre, un sondage qui révéleraient selon eux « une banalisation des idées de M. Le Pen qui le fait progresser ». Or, comme l’ont montré deux enseignants de Sciences Po, les données du sondage montrent au contraire une stabilisation de l’électorat FN [6].

    L’évolution de l’extrême droite française doit être observée avec minutie. Le ralliement – authentique celui-là – de Bruno Mégret au FN [7] décrédibilise le repositionnement républicain de ce parti engagé par M. Le Pen lors de son discours de Valmy [8]. Il n’en reste pas moins que, pour le moment, ce parti est parcouru par des courants centrifuges qui prônent aussi bien la révolution sociale que la dictature racialiste. Plutôt que de masquer ces contradictions pour instrumenter le FN à des fins électorales à court terme, les démocrates devraient avoir à cœur de les mettre en lumière, de manière à diviser ce parti et à intégrer dans les institutions ceux de ses leaders qui veulent rompre avec l’idéologie de l’intolérance.
    Mitterrand et le FN

    Ce n’est plus guère un secret que François Mitterrand était le maître de l’instrumentation du FN. Il ne cessa de jouer avec, le favorisant parfois pour diviser la droite, le combattant à d’autres moments pour ne pas le voir prendre trop d’importance. Laissons de côté le coup de pouce qu’il donna en finançant la campagne européenne de 1984 ou en dramatisant la profanation du cimetière de Carpentras et intéressons nous aux méthodes mitterrandiennes pour affaiblir le FN.

    François Mitterrand avait mise en œuvre en 1986 une stratégie d’intégration en instituant le scrutin proportionnel aux élections législatives. En laissant le FN sièger à l’Assemblée nationale, il le contraignit à étaler la stupidité de certaines de ses thèses et la vénalité de certains de ses députés. Il prit la précaution de conclure un pacte non-écrit avec Jean-Marie Le Pen pour circonscrire le champ d’expérimentation à la politique intérieure. En gage, les députés du FN élirent Roland Dumas à la présidence de la Commission des Affaires étrangères alors que la gauche était minoritaire au Parlement. La stratégie de Mitterand-Dumas de confrontation au réel était la bonne : la période de la présence du Front national à l’Assemblée est une des deux seules des 25 dernières années où l’extrême droite ait reculé.

    Une autre stratégie efficace fut essayée par François Mitterrand en faisant entrer Bernard Tapie en lice. En créant un mouvement populiste à gauche et en l’encadrant avec les structures d’une formation républicaine historique, le PRG, on offrait un débouché à l’électorat protestataire en le préservant des effluves de l’intolérance. Mais, en 1994, cette opération effraya l’ensemble de la classe dirigeante qui fut surprise par l’ampleur du vote mobilisé. En définitive, le gouvernement Balladur-Sarkozy organisa la chute de M. Tapie. À défaut d’avoir pu le convaincre de corruption, elle le fit incarcérer pour un spectacle truqué.
    L’expérience du Comité national de vigilance

    Pour ma part, je me suis consacré avec d’autres à la coordination du Comité national de vigilance contre l’extrême droite de 1996 à 1999, créé à l’initative du Parti radical de gauche. Il s’agissait alors de faire travailler ensemble les 45 plus grandes organisations de gauche (partis politiques, associations, syndicats, loges maçonniques) pour défendre les valeurs républicaines. Ce fut particulièrement difficile car certaines organisations, animées par des logiques politiciennes, n’entendaient pas lutter contre les idées de l’extrême droite, mais instrumenter le FN en tant que parti. Elles ne se sentaient pas concernées par la « lepénisation des esprits ». Dans leur logique, elles cherchaient à mettre le FN en valeur en manifestant systématiquement en marge de ses meetings et ne déployaient aucun effort pour combattre son idéologie et ses pratiques. Je me suis opposé au prétendu projet d’interdiction du FN, en vertu du principe voltairien que nous nous battrons pour que les idées que nous ne partageons pas puissent aussi être exprimées. Au contraire, j’ai milité pour que les pratiques anti-républicaines du FN soient sanctionnées et pour provoquer son éclatement. Il en est résulté la Commission d’enquête sur le DPS [9] c’est-à-dire la milice de ce parti, et sa réorganisation accompagnée de l’exclusion du courant racialiste regroupé autour de Bruno Mégret. C’est-à-dire tout le contraire de ce que font aujourd’hui de nombreux conseillers et journalistes politiques.

    Les citoyens doivent rester vigilants dans les mois à venir. Beaucoup d’apprentis sorciers, à droite comme à gauche, vont faire le lit de l’extrême droite en feignant de la combattre. Ceci est encore plus dangereux aujourd’hui car une grande partie de nos concitoyens se montre désabusée, démoralisée et versatile. Il appartient à chacun d’entre nous de rappeler aux journalistes et aux élus que la démocratie n’est pas un jeu, mais un bien précieux. Il n’est pas admissible que certains élaborent des plans de carrière sur des coups fourrés au lieu de confronter des idées et de défendre des principes.
    Thierry Meyssan
    Journaliste et écrivain, président du Réseau Voltaire.
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