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Crise : le retour du politique... oui mais lequel ?

Publie le vendredi 23 janvier 2009 par Open-Publishing

De René Fredon

Après avoir essayé de nous rassurer (« La France résiste mieux » « le Var est moins touché »…) Sarkozy et ses ministres ont changé de partition et nous la jouent réalistes et volontaires : « on va moraliser et réformer le capitalisme » puisqu’on ne peut pas nier que les conséquences vont être lourdes et durables en termes de croissance, de pouvoir d’achat et d’emploi. C’est déjà bien parti !

On peut concevoir qu’une crise mondiale de cette ampleur ne va pas épargner la fine fleur des pays fiers de se réclamer du libéralisme qui nous apporte l’efficacité et la prospérité, paraît-il, avec en prime la démocratie, à défaut de la justice sociale tant la richesse est inégalement répartie et l’environnement mis à rude épreuve.

Qu’importe, on ne change pas un système aussi performant au plan économique, telle est leur conviction fondée sur la liberté d’entreprendre et donc d’exploiter l’immense majorité de celles et ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre quand ils trouvent preneur !

Car nos Etats, qui se veulent des modèles de démocratie, ne vont tout de même pas jusqu’à garantir le droit au travail pour tous, ils préfèrent laisser le patronat gérer à sa guise ses besoins en personnels en fonction de ses propres critères de rentabilité. Et si la spéculation financière peut rapporter plus en moins de temps, laissons les marchés libres de toute contrainte. C’est ce qui s’est passé ces trente dernières années.

Ce système est tellement bien ancré dans les esprits que, même si on vous concède qu’il conduit à des menaces extrêmes pour la planète, au maintien d’un sous-développement intolérable, à des licenciements arbitraires, au bon vouloir des décideurs, quitte à renforcer les inégalités sociales, la précarité, la pauvreté, on ne croit guère qu’on puisse faire autrement vu les tentatives avortées –et dans la douleur- qui ont marqué le siècle précédent, disqualifiant pour un moment ce qui passait pour du communisme, brisant les espérances de millions et de millions de personnes à travers le monde.

Seulement voilà, le capitalisme règne en maître depuis vingt ans sur le monde et les peuples mesurent que leur situation se dégrade, que l’avenir de leurs enfants est compromis, qu’ils vivent au milieu d’un déluge de consommation inaccessible, de gâchis, de richesses accaparées par une infime minorité qui va encore profiter de la crise. Sauf dans quelques pays, je pense notamment à l’Amérique du Sud, qui contestent fortement la main mise des multinationales et le leadership capitaliste sur leurs économies.

Et la fronde gagne l’ensemble des pays, à des degrés divers, à commencer par les pays « riches » où l’on assiste au sauvetage avec l’argent public des banques qui ont failli, alors que rien ne va à la consommation populaire ce qui relancerait la production. Au contraire on affirme que la sortie de crise passe par le sauvetage des banques qui distribuent les crédits aux entreprises.

Mais on va mettre de l’ordre dans tout ça, nous rassure le président qui tance les banquiers et obtient qu’ils renoncent à leur bonus, lequel peut atteindre des millions d’euros par an…en plus de leur rémunération fixe qui peut aussi être du même niveau. Il n’y avait pas pensé plus tôt !

C’est vraiment le minimum minimorum, de la poudre aux yeux. Il en a conscience et parle de réformer le capitalisme, car ce qui se passe en ce moment ne doit surtout pas conduire à remettre en cause ce système, à ses yeux comme à ceux des dirigeants de l’Europe. Il faudrait les croire sur parole : le capitalisme serait donc réformable et tout repartirait sur de bonnes bases ??

Il compte sur la complicité objective de médias majoritairement acquis à sa prétendue volonté de réformer le capitalisme en parodiant le célèbre film de Visconti, Le Guêpard où le neveu du comte, Tancrédi (joué par Alain Delon) lâche le célèbre « si nous voulons que tout reste en l’état, il faut que tout change » pour donner…le change et faire croire à son soudain ralliement à la République. Sarkozy, au moins, ne veut pas changer de système économique, il veut juste donner le sentiment que ce système pourrait en quelque sorte se renier.

Sortir de l’impasse

Telle est la question, la grande question : y a-t-il une issue, autre que capitaliste, à la crise actuelle ?

Alors là, on se heurte à de nombreux préalables essentiellement d’ordre politique. Prenons la France : le parti socialiste est, comme la droite, acquis au système capitaliste, à l’économie de marché. Et il passe pour être l’un des plus à gauche en Europe ! Voilà qui ne rend pas l’alternative imminente. Certes, tous les électeurs socialistes ne sont pas hostiles au principe d’une alternative anti-capitaliste, mais ils ont du mal à l’envisager à court terme.

Car, pour qu’elle advienne il faut une majorité clairement élue sur cette alternative, non plus en s’en tenant à des généralités, à des slogans, en se proclamant simplement anti-capitalistes mais en étant capable de décliner ses objectifs, ses moyens et un calendrier.

Bien sûr les rapports de force peuvent changer. La crise provoque des questionnements et des exigences nouvelles, tant elle jette le désarroi en illustrant le fait que ce système est au bout du rouleau, ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il va devenir spontanément minoritaire dans la conscience des citoyens.

Les mouvements sociaux se développent et, pour la première fois depuis bien longtemps, se dessine une riposte nationale interprofessionnelle public-privé, le 29 janvier qui met en mouvement les catégories sociales les plus diverses. Il est évident que la puissance de cette journée aura une signification politique des plus importantes, pour le pouvoir en freinant son ardeur à détruire ce qui reste du modèle social français, de nos libertés, de nos idéaux laïques et républicains.
Signification aussi pour les forces qui se réclament de la transformation sociale, à la gauche du PS, dont aucune ne peut espérer rallier une majorité à elle seule, mais qui, rassemblées dans le respect de leur identité, peuvent jeter les bases d’une perspective crédible et modifier les rapports de force actuels. Un premier rendez-vous politique se profile pour mesurer les évolutions de l’électorat : l’élection européenne le 16 juin avec l’amorce d’un front commun à l’initiative du PCF riche de potentialités. Le PG y a répondu favorablement.

Le plus difficile reste à faire : passer de la contestation du capitalisme à la construction d’un autre système qui ne peut pas se concevoir sans une période, plus ou moins longue, de co-habitation avec des structures et des institutions existantes, tant il est difficile d’imaginer qu’on puisse interrompre du jour au lendemain, dans un seul pays, un processus de plusieurs siècles pour lui substituer un nouvel ordre économique faisant table rase du précédent.

Là encore les propositions avancées par les communistes méritent l’attention pour sortir de la crise et jeter les bases d’une autre logique économique dont la finalité ne soit plus le profit mais les besoins sociaux et le respect de l’environnement, les coopérations plutôt que la concurrence faussement libre car vraiment faussée. (voir le livre de Paul Boccarra : transformations et crise du capitalisme mondialisé : quelle alternative ? éditions « le temps des cerises » 20 euros).

Les problèmes sont nombreux et la crise en révèle quelques-uns, à commencer par la maîtrise du crédit et de la monnaie dont un autre économiste Frédéric Lordon écrit qu’elle est « le méta-bien, c’est-à-dire le bien particulier qui, dans la société marchande, donne accès à tous les autres biens. » Je ne saurais trop recommander un de ses récents articles sur le site http://blog.mondediplo.net/2009-01-...

Il y a du pain sur la planche mais les circonstances poussent à des réponses hardies et à des débats entre les formations politiques de gauche, les syndicats, les associations, le mouvement social en général pour donner une perspective aux luttes, aux revendications multiples qui s’expriment et qui gagneront d’autant plus en ampleur qu’une issue politique deviendra crédible.

René Fredon