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Des centaines d’immigrés sans papiers à la Cité de l’immigration

Publie le mardi 12 octobre 2010 par Open-Publishing

de Thierry Leclère

Sixième jour d’occupation pour les travailleurs sans papiers, qui s’installent sous les fresques de l’époque coloniale, tandis que le public continue de venir en nombre. Inaugurée en catimini il y a trois ans par un gouvernement qui a toujours boudé ce lieu, la Cité de l’immigration, Porte Dorée, à Paris, vient de recevoir un baptême inattendu.

Ambiance bon enfant, baby-foot et jeux de cartes : par petits groupes, des travailleurs sans papiers africains, chinois et pakistanais discutent sous les immenses fresques de l’Expo coloniale de 1931, glorifiant la mission civilisatrice de la France. Le grand hall sévère de la Cité de l’immigration, Porte Dorée, à Paris, vibre comme une place publique un jour de marché. Les bancs et les parasols installés en 2007 par l’architecte Patrick Bouchain pour casser la majesté du lieu ont soudain trouvé leur vocation : les travailleurs sans papiers qui occupent le musée jour et nuit (ils ont été jusqu’à 500 au premier jour, jeudi 7 octobre) ont investi les lieux en douceur, comme on vient tailler une bavette chez un voisin. Les immigrés occupent la Cité de l’immigration. C’est presque un pléonasme. Il flotte comme un parfum d’inauguration symbolique, trois ans, presque jour pour jour, après l’ouverture en catimini de ce musée, qui a plus souvent attiré les manifestants et la police que les huiles de la République.

« Discipline, sécurité et bonne organisation : l’occupation ne peut fonctionner que sur ces bases-là. Nous ne sommes pas des délinquants mais des travailleurs, sinon nous n’aurions pas le soutien de onze syndicats » : Sacko Fousseni, 28 ans, l’un des porte-parole du mouvement, gère les relations publiques avec un mélange de calme et de détermination. Cet ancien étudiant en géographie à Bamako, arrivé en France en 2006 après un périple éprouvant dont il a encore du mal à parler, a été rodé aux occupations après trois semaines de bivouac sur les marches de l’Opéra Bastille : « Nous avons accepté de lever le camp, à Bastille après l’accord du 18 juin dernier avec le ministère de l’Immigration. Les préfectures devaient faciliter la régularisation par le travail, notamment des intérimaires et employés à domicile. A la suite de cet accord, arraché après huit mois de grèves et d’occupations d’entreprises, nous avons déposé 1 800 dossiers pendant l’été. Jusqu’à présent, seuls 58 cas ont été réglés et ont donné lieu à des autorisations de séjour provisoires. »

Le ministère de l’immigration a reçu hier des représentants du mouvement, CGT en tête, car le syndicat de Bernard Thibault est fortement impliqué aux côtés des travailleurs sans papiers. Au cabinet d’Eric Besson, on répond que « bon nombre de dossiers sont incomplets ». Fiches de paie – un intérimaire doit prouver qu’il a travaillé douze mois sur les vingt-quatre derniers mois – ou preuves de séjour en France sur les cinq dernières années sont réclamées : pas facile, évidemment, pour les sans-papiers de fournir des preuves écrites quand beaucoup sont employés au noir par des patrons, souvent sous-traitants par ailleurs de très grands groupes. Sacko Fousseni a ainsi travaillé depuis quatre ans sur des chantiers Bouygues et Veolia.

Bernard Thibault, qui, au premier jour de l’occupation, est venu dans le hall de la Cité soutenir les sans-papiers estime que « le travail illégal correspond à 4 % du PIB. D’après l’Organisation Internationale du Travail, il y aurait de 300 000 à 400 000 travailleurs sans papiers en France. Leur régularisation pourrait rapporter environ un milliard d’euros notamment aux caisses de retraite ».

Du côté de la direction de la Cité, pas question d’envisager une évacuation policière qui ferait évidemment mauvais genre. En coulisse, le chiraquien Jacques Toubon, président du Conseil d’orientation du musée, active ses réseaux au gouvernement. Une bonne partie du personnel de la Cité, issue de la gauche associative, regarde cette occupation avec la plus grande bienveillance.

Le week-end dernier, la Cité a décidé de rester ouverte malgré l’occupation ; l’entrée a été gratuite pour tous les visiteurs (« l’affluence a été plus forte encore que lors des Journées du patrimoine », se réjouit un cadre de la Cité), et les sans-papiers se sont mêlés au public pour découvrir l’exposition permanente.

En sortant du palais de la Porte Dorée, les visiteurs pouvaient lire sur la façade ouest une inscription datant des années 30 mais qu’ils pouvaient imaginer, avec un peu de malice, dédiée aux sans-papiers : « A ses fils qui ont étendu l’Empire de son génie et fait ainsi aimer son nom au-delà des mers, la France reconnaissante. »

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