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Bonjour,
Je vous envoie une tribune écrite avec Claire Villiers et Claude Debons en
complément à une tribune du Monde du 17 avril signée par 25 anciens
responsables de la CFDT.
Alors que de plus en plus de gens s’interrogent sur ce que devient la CFDT,
il nous semblait utile de donner notre point de vue. Nous avons fait, à
notre départ de la CFDT, des choix différents, nous sommes toujours d’accord
sur l’appréciation qu’il faut porter sur cette organisation qu’il ne faut
pas s’étonner de trouver aux côtés du gouvernement Raffarin sur les
retraites et aux côtés du MEDEF sur l’UNEDIC.
Si le syndicalisme a un avenir, et nous pensons que oui, il est en dehors de
cette organisation de moins en moins syndicale.
Etienne Adam
La CFDT en question
Par Etienne Adam, Claude Debons et Claire Villiers
La CFDT va fêter ses 40 ans cette année. Nous ne serons pas des cérémonies
officielles. Nous l’avons quitté après trois décennies d’engagement en son
sein.
Pourtant la crise ouverte que connaît aujourd’hui cette organisation
intéresse l Œensemble du mouvement syndical.
Après l’hémorragie des adhérents et surtout des militants créée par
l’acceptation d’une réforme des retraites qui instaure la baisse des
pensions comme moyen principal d’équilibre financier du système, le jugement
du tribunal de Marseille - rétablissant leur allocation à 35 chômeurs qui en
avaient été privés par le dernier accord UNEDIC- sonne comme une nouvelle
condamnation de la stratégie confédérale.
Cette crise réactive un débat sur la CFDT et le syndicalisme. Dans ces
colonnes, Pierre,Jeannette, François, Bruno et les autres ont posés des «
questions à la CFDT » ; Ces « anciens responsables connus pour se situer
dans la majorité de la confédération » dressent- tardivement- un constat
sévère sur la CFDT : « agence sociale, syndicat officiel, en retrait de la
plupart des mouvements sociaux, approche gestionnaire, logique comptable ou
financière, stigmatisation des populations, approche technocratique
surdéterminée par la lecture économique dominante », voilà des termes forts
que nous n’avions même pas utilisés, même si nous les partageons pour
l’essentiel- quand nous animions l’opposition interne.
Il est révélateur que cette contribution ne soit signée que par des «
anciens » et qu’aucun responsable en exercice ne se soit exprimé. Depuis 15
ans, toute expression critique conduit à l’excommunication, ne laissant le
choix dans les sphères dirigeantes qu’entre deux attitudes : la critique
silencieuse inaudible ou la contestation publique pour se faire entendre de
l’extérieur. Les premiers « majoritaires critiques » et les seconds «
opposition de gauche » n’ont convergé qu’à une seule occasion, lors du
congrès de Montpellier qui avait mis en minorité de Nicole Notat. Ni les
uns, ni les autres n’ont réussi à peser : l’accompagnement « social » du
recentrage confédéral n’a pas arrêté la marche au social libéralisme.
L’opposition ouverte de Tous Ensemble n’a pas créé une alternative. La
direction confédérale a gagné sur la division de ceux qui à partir de
valeurs communes et de démarches différentes n’ont pas construit une
synthèse majoritaire. Les premiers se sont ralliés ou sont partis sur la
pointe de pieds, les seconds ont claqué la porte. Ce n’est pas de ceux qui
restent que viendra le "mouvement pour se porter à la hauteur des questions
qui se posent à la CFDT et à l’ensemble du mouvement syndical".
Il a fallu de nombreuses années pour le libéral-syndicalisme confédéral se
substitue complètement à la culture historique de la CFDT. François Chérèque
est l’héritier d’un système et d’une idéologie patiemment construits sous
l’égide d’Edmond Maire puis de Nicole Notat. L’acte officiel de naissance,
le recentrage de 1978, ne fut pas, reconnaissons le, perçu par tous. Les
jalons suivants ont été nombreux et de plus en plus éclairants. Le
changement de cap confédéral sur la précarité dès 1981, l’appel à la rigueur
lancé par Edmond Maire depuis le perron de l’Elysée en 1983, l’abandon du
socialisme autogestionnaire et la grève déclarée « archaïque » du milieu
des années 80. En 1986 la manifestation après la mort de Malek Oussekine fut
déclarée « sans objet ». La confédération intervenait publiquement dans le
dos de ses fédérations pour appeler à la reprise lors des grèves des
cheminots (1986) puis des finances (1989) et excluait les régions CFDT Santé
et PTT d’Ile de France, coupables de grèves intempestives. Les années 90
verront un discours d’adhésion à la mondialisation libérale et
l’approfondissement de la coupure avec tous les mouvements sociaux (
chômeurs, sans logis, sans papiers, féminismeŠ) Les luttes sociales sont de
plus en plus dénigrées avec un sommet en novembre décembre 1995 présenté
ensuite par Nicole Notat comme le passage à l’acte d’une stratégie syndicale
réfléchie de longue date » Anticipant la réforme de 2003, la CFDT signe en
2001 un accord sur les complémentaires dont le préambule appelle à une
réforme du régime des retraites.
On connaît la suite au printemps dernier avec le ralliement de Chérèque à la
réforme Fillon.
Réforme des retraites et indemnisation du chômage illustrent avec une
particulière acuité ce ralliement à la vision libérale au détriment des
intérêts des salariés et des chômeurs. Dès 1992, la CFDT signait un accord
instaurant la dégressivité des allocations chômage et inaugurait sa
cogestion de l’UNEDIC avec le patronat. Les arguments utilisés à l’époque
par Notat fleurent bon le discours patronal/libéral sur les chômeurs
soupçonnés de ne pas vraiment rechercher un emploi et qu’une sévère
réduction de leurs moyens d’existence allait inciter à plus d’efforts ! Avec
la pénurie d’emplois, la précarité, ce furent la montée de l’exclusion mais
aussi des travailleurs pauvres, obligés d’accepter n’importe quel emploi.
Cette même logique de culpabilisation/répression des chômeurs traverse les
accords suivants - le PARE présenté comme une aide est surtout un contrôle
accru- jusqu’à aujourd’hui le « recalcul » des indemnités et la
responsabilité des chômeurs qui vont valoir leurs droits dans la « faillite
» de l’UNEDIC. Les chômeurs et leurs préoccupations sont devenus étrangers à
la CFDT : le cri du c¦ur de Francois Chérèque « je suis content pour les
chômeurs Šmais c’est une catastrophe pour l’Unedic » révèle cette rupture ;
la CFDT étant co-gestionnaire de toutes les régressions des droits des
chômeurs depuis dix ans.
Pour les retraites les mesures pour les plus faibles (smicards, carrières
longues) sont financées par la baisse sévères des pensions du plus grand
nombre. La direction de la CFDT considère que l’on ne peut pas modifier
sensiblement la répartition des revenus, qu’il n’y plus de marges pour faire
progresser des droits sociaux pour tous. Les seules possibilités se résument
désormais à redistribuer entre salariés, entre actifs et retraités et non
plus entre revenus du capital et revenus du travail. Les droits sociaux se
voient ainsi remplacés par des mesures d’inspiration caritatives pour les
plus défavorisés.
Le réformisme CFDT d’aujourd’hui n’est pas celui de la réforme au sens
historique du mouvement ouvrier , cherchant à faire contrepoids au patronat
et à améliorer progressivement la situation des salariés qu’il représentait.
C’est la réforme au sens libéral de « Vive la crise » qui depuis le milieu
des années 80 a mis en cause les droits des salariés comme « rigidités
»principalement sociales, empêchant la « modernité ». Elle se mêle à un
retour à l’alliance capital- travail de la CFTC, prétendant gérer le social
par les corporatismes émancipés de la tutelle de l’Etat. Considérer comme
intangible, dans le cadre du capitalisme globalisé l’actuel partage des
richesses, c’est se condamner à accepter les reculs sociaux que selon le
patronat et les idéologues libéraux- les salariés doivent consentir pour
permettre une insertion compétitive de l’économie française dans la
mondialisation libérale.
Au bout de ce processus, la culture héritée de « Reconstruction » de Mai 68
et des années 70 a été détruite, remplacée par un prêt à penser à la mode
idéologique dominante. Un appareil centralisé s’est construit, de plus en
plus insensible aux secousses extérieures, et verrouillant l’organisation.
L’élaboration collective a cédé la place à la bonne parole tombant d’un
bureau politique vers des syndicats réduits à la mise en ¦uvre. L’ouverture
à la réalité vivante des dynamiques sociales s’est muée en un splendide
isolement dans des certitudes idéologiques. Les luttes sociales ne sont plus
le moteur de la transformation sociale, mais l’empêcheur de réformer en
paix.
La CFDT que nous avons construit et aimé, n’existe plus. On peut regretter
les occasions manquées mais il ne sert à rien d’entretenir les illusions.
Pour nous l’avenir est ailleurs.
Etienne ADAM est ancien secrétaire général de l’Union Régionale
Interprofessionnelle CFDT de Basse Normandie.
Claude DEBONS est ancien secrétaire général de la Fédération Générale des
Transports et de l’Equipement FGTE CFDT.
Claire VILLIERS est ancienne secrétaire nationale de la CFDT ANPE.