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Michel Noblecourt éditorialiste au Monde intitulait son article paru dans le même journal le 7 février 2008 en parlant du PS français « Le rêve italien et le spectre allemand ». Pourquoi le « spectre » allemand ? Parce que tout simplement Die Linke (La Gauche) vient d’entrer au parlement de deux grands Etats allemands, celui de la Hesse et de la Basse Saxe suite aux élections régionales. Il est déjà présent dans le parlement de Brême, et pourrait bientôt entrer dans celui de Hambourg aux élections du 24 février 2008. Spectre pour les uns donc, mais espoir pour les autres.
Die Linke est né en juin 2007 de la fusion du PDS ( Parti du Socialisme Démocratique, l’ancien parti communiste de l’ex-RDA) et du WASG ( Alternative Electorale pour le Travail et la Justice Sociale). Il s’agit donc d’un jeune parti même si ses racines plongent dans la social-démocratie et le parti communiste. Les militantes et les militants de ce nouveau parti sont donc les déçus de ces anciennes formations.
Le 22 mai 2005 lorsque le PDS et la WASG se sont présentés séparés aux élections en Rhénanie du Nord-Westphalie, ils ont réalisé un score médiocre (respectivement 0,9% et 2,2%). Unis, ils ont obtenu près de 9 % des voix et envoyé 54 députés au Bundestag lors des élections législatives fédérales de septembre 2005. L’union, en dehors du SPD (le Parti social-démocrate), s’est révélée donc féconde. De cette victoire commune est née l’idée de construire un parti de gauche en rupture avec la social-démocratie : « A la fin du vingtième siècle, des partis socialistes et sociaux-démocrates ont accepté la responsabilité gouvernementale en Europe. Mais (…) ils se sont soumis à la volonté des groupes transnationaux et aux impératifs des marchés financiers internationaux »(1).
Le socialisme et la démocratie sont les fondements essentiels du parti : « Die Linke se réclame du socialisme démocratique » (1). Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, figures emblématiques du mouvement ouvrier allemand, restent la référence idéologique du nouveau parti. « La liberté est toujours la liberté de celui qui pense autrement » écrivait Rosa Luxembourg (2).
Privatisation, démantèlement du service public, flexibilité, destruction du droit du travail, atteinte au droit de grève, paupérisation d’une frange de plus en plus importante de la population, propagande médiatique au quotidien, crise écologique etc. ne sont que les conséquences visibles d’un système qui méprise l’homme et la nature. Face à ces attaques de plus en plus brutales, la gauche paraît divisée, éclatée et incapable de relever le défi malgré l’admirable travail de ses militantes et militants. Elle est en train de jouer son existence politique. Une partie des dirigeants du PS, et non des moindres, est passée directement à la collaboration avec la droite la plus réactionnaire que la France n’ait jamais connue. Certains sont dans le gouvernement et mènent sous les ordres de Sarkozy une réelle politique de classes. D’autres, président des commissions ou des institutions dont les rapports ou les recommandations constituent de véritables traumatismes pour les classes populaires. D’autres encore, ont empêché le peuple de s’exprimer démocratiquement (pauvre démocratie) et contribué d’une manière décisive à faire adopter un traité qui ressemble étrangement à celui qui a été rejeté par une large majorité de la population en 2005. L’Europe sociale, pour ces messieurs, passe nécessairement par l’acceptation d’un traité libéral. Comprenne qui pourra ! Dans ces conditions, les victoires relatives de Die Linke, sa fragilité, son existence même paraissent comme un souffle d’espoir, une lueur dans la sombre période que traverse la gauche en France. Toutefois il convient de rester prudent. Seuls le temps et la pratique nous diront si ce parti cherche réellement à se dresser contre la barbarie capitaliste, ou au contraire, ne constituerait-il qu’une « social-démocratie améliorée ». La WASG, avant la réunification, formait un regroupement dont le programme économique ne dépassait guère les préceptes keynésiens : financement des investissements publics par un déficit budgétaire provisoire, augmentation des bas salaires susceptibles de relancer la croissance ; bref, gérer le capitalisme autrement.
Il ne s’agit pas non plus d’un modèle à calquer. Car chaque formation sociale possède ses propres traditions de lutte, ses propres rapports de force et ses propres contradictions. Mais Die Linke représente une expérience nouvelle et audacieuse. Envoyer dans un temps record autant de députés au Bundestag et aux parlements régionaux, bousculer l’alternance SPD /CDU qui n’a fait que servir, avec zèle, les intérêts de la classe dominante depuis la deuxième guerre mondiale (3), constituent des éléments qui peuvent servir de base à une réflexion sur l’état et les perspectives de la gauche en France aujourd’hui. L’union de la WASG et du PDS mérite débat en France. Car c’est justement cette union qui manque cruellement à la gauche française. Cette réflexion sur la construction d’un grand parti du XXIème siècle, en tant qu’instrument de lutte contre le capitalisme et son dépassement basé sur les enseignements de Marx et d’Engels, demeure vitale.
(1) « Appel à la création d’une nouvelle gauche », Berlin, 2 juin 2006.
(2) Rosa Luxemburg (1870-1919), La Révolution russe - 1918
(3) Du multipartisme au parti unique. Mohamed Belaali