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Le droit de retrait, « cri d’alerte » des enseignants
Le Monde - Martine Laroche - Article paru dans l’édition du 04.02.06
Face aux violences, les professeurs ont de plus en plus recours au droit de retrait pour alerter leur hiérarchie
Mercredi 1er février, un professeur de lycée professionnel de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, était frappé à coups de poing par un élève en plein cours. Mardi 24 janvier, une professeure enceinte du collège Lenain-de-Tillemont à Montreuil, dans le même département, était agrippée violemment au cou alors qu’elle essayait de retenir par la veste un élève de 6e qui n’avait rien à faire dans sa classe.
Lundi 16 janvier, une enseignante du lycée professionnel Camille-Claudel de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) était frappée par un jeune extérieur à l’établissement, ce qui lui a valu une luxation de l’épaule. Depuis l’agression d’une enseignante à Etampes (Essonne), le 16 décembre, frappée de plusieurs coups de couteau en plein cours, plusieurs faits de violence graves se sont produits, le plus souvent dans des lycées professionnels.
Face à ces agressions, les professeurs, désemparés, invoquent de plus en plus souvent leur « droit de retrait » . Inscrit dans le code du travail, celui-ci permet à un agent de cesser le travail s’il a « un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé ».
Dans l’académie de Créteil, selon nos recensements, des enseignants d’au moins six établissements ont invoqué, en janvier, le droit de retrait à la suite de violences, le plus souvent en Seine-Saint-Denis. Le rectorat fait toutefois remarquer que les violences physiques contre adultes dans les établissements scolaires de l’académie sont plutôt stables, comparées à celles de janvier 2005. Pour Bernard Saint-Girons, recteur de l’académie, les actes de violence ne sont pas plus nombreux depuis la rentrée 2005, mais « plus forts ».
Dans la plupart des cas, le droit de retrait invoqué par les enseignants est considéré par leur hiérarchie comme abusif au regard de la réglementation. Les professeurs concernés sont le plus souvent considérés comme grévistes et subissent donc des retenues de salaire. Malgré cette application restrictive, de plus en plus d’enseignants d’établissements difficiles voient dans ce droit le seul recours possible pour alerter leurs autorités sur leur situation. « Le droit de retrait est un cri d’alerte envers la hiérarchie », considère Francis Berguin, secrétaire national du SNES, le principal syndicat des enseignants du second degré.
Après une semaine de droit de retrait, les cours ont repris, mercredi 1er février, au collège Lenain-de-Tillemont. Dans l’amertume, car les enseignants ne se satisfont pas des propositions de l’inspection d’académie. L’établissement devrait bénéficier de trois emplois aidés supplémentaires et être classé, à la rentrée 2006, dans les 200 à 250 établissements jugés les plus prioritaires. A ce titre, il bénéficiera de moyens supplémentaires.
« De plus en plus de mômes de 6e pètent les plombs, remarque Jean Chambon, professeur d’histoire-géographie dans l’établissement depuis 1999. La situation s’est dégradée depuis deux ou trois ans . »
Coups de pied dans les portes, hurlements dans les couloirs, bagarres entre élèves et insultes forment le quotidien de ces enseignants dont certains associent le climat tendu des dernières semaines à la crise des banlieues d’octobre-novembre. « On a alerté à maintes reprises la hiérarchie, inspection d’académie, recteur, ministre, maire ou conseil général, de la situation, assure Thomas Vachellerie, professeur d’éducation physique et sportive. Jusqu’à l’agression de notre collègue, nous n’avions rien eu de concret, à part des belles paroles. »
« Ce sont surtout des femmes qui sont agressées, remarque Isabelle Adrey, professeur d’histoire-géographie. Voir la peur de mes collègues femmes m’est insupportable. »
Les enseignants ont élaboré un tableau de bord de l’établissement, « situé dans un véritable ghetto urbain ». On y constate l’aggravation des conditions de vie des familles des enfants accueillis dans le collège et la baisse des moyens de surveillance. En 1999, il y avait 12 surveillants pour 418 élèves. Aujourd’hui, il n’y en a plus que 9 pour 585 élèves, assurent les enseignants. « Il nous faut des moyens pédagogiques supplémentaires pour pouvoir continuer à fonctionner, certainement pas des policiers », conclut Thomas Vachellerie.
En cessation de travail du 23 janvier au 3 février, des personnels de l’établissement scolaire Jean-Jaurès à Paris, dans le 19e arrondissement, font état de dangers plus insidieux. C’est un élève qui dit à une surveillante « Ta gueule » ou « Je vais te foutre des coups de couteau dans le cul », un autre qui menace un camarade au cutter, un autre encore qui lève la main sur une surveillante après avoir tenté de lui toucher la poitrine, des ateliers qui ne sont pas aux normes de sécurité...
Etablissement régional d’enseignement adapté (EREA), Jean-Jaurès reçoit des jeunes de 12 à 20 ans environ qui concentrent difficultés scolaires et sociales. « La violence concerne avant tout les élèves, explique Jean-Louis Sarrato, professeur des écoles. On ne peut plus assurer la sécurité des enfants. Ils ont peur, et des délégués d’élèves sont venus nous alerter le 18 janvier. Ça fait un moment qu’entre nous, on se dit que ça va péter. »
Nicolas Carteret, enseignant spécialisé, raconte les jeux violents dans la cour. Comme le « petit pont massacreur » au cours duquel l’élève qui laisse passer la balle entre ses jambes est roué de coups. Ou le « jeu de la bouteille » : on la fait tourner au sol, celui qu’elle désigne est battu.
Les enseignants ne se satisfont pas de l’annonce du rectorat qui leur accorde trois emplois vie scolaire. « Nous voulons des personnels formés et pas des jeunes recrutés sur un emploi précaire sur le seul critère qu’ils étaient au chômage », disent-ils. « A aucun moment, nous n’avons été alertés de la situation dans cet établissement, note-t-on au rectorat de Paris. Ces enseignants surfent sur des événements graves comme l’agression à coup de couteau d’une enseignante à Etampes. Ils seront considérés comme grévistes, à l’exception de ceux qui exercent dans des ateliers vétustes et en mauvais état. »
Martine Laronche
Messages
1. > Droit de retrait des enseignants, 6 mars 2006, 15:13
J’entends déjà la sentence des sociologues de télévision, et de la bonne conscience de gôche :
les enfants des "milieux défavorisés" sont des victimes...quant aux enseignants, ayant la "sécurité" de l’emploi, ils sont des nantis. Les femmes enseignantes agressées sont-telles vraiment compétentes en pédagogie ? peut-etre, en les formant davantage ...?
1. > Droit de retrait des enseignants, 10 janvier 2011, 22:21
Bravo pour cet article et ce commentaire…
qu’en est-il des CPE qui accusent le prof d’être incompétent dès qu’il demande de l’aide ?