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En pleine période de guerre d’Algérie... Michou d’Auber
Publie le mercredi 28 février 2007 par Open-Publishing1 commentaire

Interview de Thomas Gilou. Propos recueillis par Sophie Wittmer
Après avoir signé plusieurs documentaires, Le temps n’efface rien, Paroles d’étoiles et Eclats de Cendrars, qui ont suivi les deux opus de la Vérité si je mens, Chili Con Carne, Raï et Black Mic Mac, Thomas Gilou se tourne à nouveau vers la fiction en se posant sur un récit teinté d’une grande part de vérité, puisqu’il y conte le cheminement du jeune Messaoud Hattou, coscénariste de cette histoire qui est la sienne.
S’il s’arrête ici sur la violence humaine, l’intolérance qui ronge les relations sociales, il réussit avec pertinence à dépasser cette simple polémique qui vient finalement ici pimenter une histoire d’amour, vive et spontanée, entre un enfant perdu, déraciné, et un couple tout aussi paumé, enfermé dans une impalpable solitude.
Avec humour et tendresse Thomas Gilou dépeint ce face à face, timide, maladroit qui évolue vers un attachement profond où la différence se verra vaincue par la personnalité d’un enfant qui fait tomber tous les tabous racistes. C’est avec simplicité que ce cinéaste discret revient ici sur ce projet qu’il a porté avec émotion durant plusieurs années.
Pourquoi vous êtes-vous dernièrement plus principalement orienté vers des documentaires ?
Je ne fais pas la différence. Je suis réalisateur, j’essaye en tout cas et j’appréhende de la même façon un documentaire ou une fiction. Je trouve qu’il y a des points de convergence, des ponts entre ces deux modes d’expression, qui sont en fait assez complémentaires. Le milieu du cinéma ne m’intéresse pas vraiment, ce qu’il en découle et j’ai donc besoin de temps en temps de m’orienter vers autre chose, d’être à l’écoute des autres. Dans le cadre de la fiction on est toujours en train d’essayer d’apprendre des choses aux autres, qui sont souvent dans l’attente, alors que dans le cadre du documentaire on apprend des autres, la démarche est souvent plus enrichissante.
Qu’avez-vous appris au travers de vos documentaires ?
J’ai appris des choses sur moi, sur mon pays, sa culture. Les documentaires ont nourri Michou d’Auber, notamment Paroles d’étoiles qui portait sur la vision des enfants juifs pendant la guerre, ce sont leurs témoignages qui m’ont orienté vers ce nouveau film, je me suis inspiré de certains récits pour écrire certaines séquences d’ailleurs. Lors d’une projection de Paroles d’étoiles, des enfants de l’association Les Enfants cachés ont cru que Messaoud, qui m’accompagnait, était justement l’un de ces enfant cachés de la guerre. Cette ambiguïté, ces situations qui finalement se rejoignaient m’ont fait penser qu’il y avait là une histoire à raconter.
En tant que metteur en scène, votre regard a-t-il évolué ?
On se retrouve dans des situations diverses qu’il faut « mettre en images » ce qui implique une gymnastique très rapide d’adaptation. C’est une habitude qui permet de réagir rapidement lorsque l’on se retrouve face à des situations imprévues sur un plateau. Mais ce qui me semble primordial, c’est la relation aux acteurs dans une fiction, aux témoins, aux intervenants dans un documentaire, une relation qui se révèle finalement être très similaire. Il faut instaurer une confiance, un échange humain, affectueux, les rassurer, se mettre à leur portée afin qu’ils comprennent très vite ce que l’on recherche… C’est une gymnastique dont j’avais l’habitude, venant de la fiction, et qui m’a facilité la mise en place des documentaires, m’a permis d’aller très loin avec les gens que j’ai rencontrés. Ces deux exercices sont complémentaires.

Qu’est-ce qui vous touchait dans ce qu’a vécu Messaoud ?
C’est une époque que j’ai connue, dont j’avais envie de parler. Et puis, il y avait cette quête d’identité et cette confrontation à une France profonde, ce télescopage culturel, j’avais envie de me poser sur ces différents axes, de les développer, de mettre en exergue des antinomies culturelles, religieuses, terriennes, des problèmes qui font écho à ce qui se passe encore aujourd’hui, à la gravité de certaines situations.
Qu’est-ce qui vous blesse aujourd’hui ?
Les choses ne me blessent pas forcément, elles m’interpellent. On agite des épouvantails pour faire peur, pour inquiéter, à des fins politiciennes, j’avais envie de recentrer sur l’humain. En tant que créateur, en tant que réalisateur, ce qui m’intéresse ce sont les sentiments. Notre rôle est de faire en sorte à notre petit niveau que les gens vivent mieux ensemble. Je suis pour la paix, donc c’est une sorte de militantisme pacifiste.
Pensez-vous que le cinéma puisse réellement influencer les comportements des spectateurs ?
Complètement, d’ailleurs, curieusement, les politiques écoutent les réalisateurs, et c’est assez nouveau. Dans un sens c’est une bonne chose mais cela veut dire aussi qu’il y a une lacune dans leur écoute. J’ai toujours réalisé des films sur la société qui m’entoure…
Comment avez-vous abordé ce récit avec Messaoud ?
L’histoire de Messaoud c’est la base de la démarche. Elle émane de notre amitié, je le connais depuis près de 20 ans, c’est l’aboutissement d’une relation. C’est donc une histoire que je connaissais depuis longtemps mais juste des bribes. Ensuite certains faits ont été imaginés, on reste dans le cadre d’une fiction. Je me suis parfois écarté de la réalité pour créer la fiction. J’ai, par exemple, avancé ce récit afin qu’il entre en relation avec la fin de la guerre d’Algérie, la fin de cette période, mais l’histoire de Messaoud reste là et, à chaque fois qu’il voit le film il en ressort bouleversé. Les photos du générique sont celles de Messaoud, de sa vie, la ressemblance avec l’enfant qui joue dans le film est d’ailleurs frappante.
Il est arrivé à prendre du recul justement par rapport aux éléments fictifs ?
C’était plus à moi de le faire, il fallait positionner le spectateur dans les séquences et donc travailler la dramaturgie, qui est propre au cinéma, avec des codes qu’il faut respecter. Je tenais à ce que ce soit l’histoire de Messaoud, mais un vrai film avec des comédiens.
L’enfant qui joue Messaoud apporte une réelle fraîcheur au film, à Gérard Depardieu et Nathalie Baye qui s’échappent d’une certaine routine…
C’est exactement ça. Nous l’avons cherché longtemps, dans toute la France, finalement il habitait dans la même rue que la belle-mère de Messaoud, à Aubervilliers. C’est presque aussi son histoire, celle du village kabyle d’Aubervilliers. Pour lui, apprendre le kabyle était presque magique, ça l’a renvoyé à son propre passé, à celui de ses parents, il s’est retrouvé impliqué au-delà de son travail d’acteur. En dehors de cette ressemblance physique qu’il avait avec Messaoud, il y a une culture commune et du coup quelque chose de très naturel dans sa démarche.
Et Nathalie Baye et Gérard Depardieu, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous tourner vers eux ?
Gérard s’est impliqué dès le départ dans le projet, a proposé de le financer en partie, il s’en sentait proche de par cette époque, de par la région qui est celle de son enfance, il connaissait tous les personnages de cette histoire et il m’en a même suggéré certains. Pour Nathalie, l’idée était de créer ce couple qui incarne avec naturel cette France profonde. Elle a cette douceur et cette humanité qui font face au côté excessif de Gérard. Il fallait quelqu’un qui puisse exister face à Gérard, trouver son équilibre, ce qui n’est pas évident pour une comédienne. Elle est parfaite. Elle s’impose avec subtilité.
Qu’est-il reste aujourd’hui de cette nouvelle aventure ?
Il y a dans cette histoire une partie de mon enfance, c’était émouvant de revenir ainsi en arrière, c’est également cinq ans de ma vie. J’espère que ce film aura certaines résonances sur les spectateurs.
Messages
1. Sur la Guerre d’Algérie..., 2 mars 2007, 22:30
Sur la Guerre d’Algérie, je vous conseille également le très beau film de Philippe Faucon, La Trahison, qui vient de sortir en DVD. J’ai chroniqué ce film pour le site Kinok.com
http://arkepix.com/kinok/DVD/FAUCON_Philippe/dvd_trahison.html