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Entre les patrons italiens et Silvio Berlusconi, rien ne va plus

Publie le samedi 18 mars 2006 par Open-Publishing

Entre les patrons italiens et Silvio Berlusconi, rien ne va plus
LE MONDE | 17.03.06 | 14h08

Certains n’ont jamais aimé Silvio Berlusconi. D’autres y ont cru, ont voulu y croire, avant de déchanter. Le jugement des patrons italiens est aujourd’hui sévère sur le bilan de cinq ans de gouvernement de l’un des leurs. Il est bien révolu le temps où Il Cavaliere leur proposait un pacte en toute complicité : "Votre programme est le mien, gouvernons ensemble", avait-il lancé, avant les élections de 2001, aux assises de la Confindustria, l’organisation patronale transalpine. A trois semaines de demander un nouveau mandat aux Italiens, le président du conseil sortant doit faire face aux critiques redoublées du monde économique.

"Si chaque jour on répand le défaitisme et le catastrophisme, les gens vont finir par y croire", vient de se lamenter Silvio Berlusconi, après une énième charge de Luca Cordero di Montezemolo, le patron des patrons, qu’il a qualifié de "nouvelle recrue de l’armée des Cassandre de la gauche".

Depuis deux ans, mois après mois, et jusqu’à ces derniers jours, au plus chaud d’une campagne électorale qu’il compare à "un carnaval de populisme", cet industriel de 58 ans, président de Fiat et de Ferrari, n’a cessé de donner de la voix. Il parle souvent plus fort que les syndicats. Et plus clair que les partis politiques. Au point que, selon l’institut de sondages Piepoli, "sa parole est, après celle du président de la République, Carlo Azeglio Ciampi, la plus crédible pour les Italiens". Même la gauche modérée se reconnaît parfois en cet aristocrate piémontais, riche et élégant, qui a fait carrière dans l’ombre d’Enzo Ferrari et de Gianni Agnelli : " Il y a une convergence significative entre l’Unione (coalition de gauche) et les indications de la Confindustria", a indiqué Piero Fassino, l’un des dirigeants des Démocrates de gauche (DS), principal parti d’opposition.

Cet étrange cousinage fait enrager Silvio Berlusconi, qui fustige "le parti des entrepreneurs" et remet en question la représentativité de Luca di Montezemolo. Pourtant, l’élection de celui-ci à la tête de la Confindustria, en mai 2004, a été un plébiscite. Les industriels, petits et gros, voulaient en finir avec l’alignement inconditionnel de leur organisation sur la politique gouvernementale, qui avait abouti à une rupture totale avec les syndicats. Dès son discours d’intronisation, le nouveau représentant du patronat a pris ses distances avec l’exécutif, et la classe politique en général, pour prôner le dialogue entre partenaires sociaux : "Comme citoyens d’abord, et comme entrepreneurs ensuite, nous jugerons les choix de ceux qui ont eu la charge et l’honneur de gouverner", avertissait-il.

Il y a deux mois, son jugement était sans appel : "Dans les cinq dernières années, nous avons vu le centre-droite et le centre-gauche d’accord sur une seule chose : l’absence la plus totale de politique industrielle." Malgré ses précautions oratoires, le diagnostic qu’il dresse régulièrement de la mauvaise situation économique du pays sonne comme un réquisitoire contre le gouvernement Berlusconi. Croissance zéro en 2005, déficit budgétaire record et bonnet d’âne de la productivité en Europe, c’est "un pays à l’arrêt" dont la Confindustria tient la chronique à chaque publication de nouvelles statistiques.

Certes, la perte de compétitivité de la péninsule remonte aux années 1990, mais les patrons déplorent l’immobilisme d’une majorité de centre-droite paralysée par ses dissensions. Après les élections régionales de mai 2005, sèchement perdues par la droite, Luca Cordero di Montezemolo avait publiquement souhaité des élections anticipées "comme en Allemagne, pour éviter une année supplémentaire d’agonie politique et de non-décisions".

Au fil des mois, les rapports se sont exacerbés : "Nous ne cherchons pas à jouer un rôle politique, mais nous devons prendre nos responsabilités pour que le pays ne soit pas exclu de la compétitivité internationale, explique Diego Della Valle, un industriel de la chaussure de luxe. C’est inconfortable comme position, contre nature même, car les entrepreneurs sont généralement progouvernementaux, mais, de l’ouvrier au PDG, le pays veut en finir avec cette politique qui se réduit à un show comique." Etre dans l’opposition ne gêne pas le créateur et patron de l’empire Tod’s : "Je ne ferai jamais de politique, mais j’ai hâte que Berlusconi aille se reposer en Sardaigne", confie-t-il. Ces dernières semaines, il l’a interpellé en direct à la télévision pour lui demander de "cesser de prendre les Italiens pour des analphabètes", l’a traité de "menteur" et a raillé sa propension "à se réveiller chaque matin en croyant qu’il est propriétaire de l’Italie".

Chacune de ses salves est saluée avec jubilation par le peuple des antiberlusconiens. "Diego est notre bomber" (notre canonnier, en jargon du football), a curieusement titré le quotidien communiste Il Manifesto.

Face à l’escalade, Luca di Montezemolo a dû "inviter tout le monde à baisser le ton, à commencer par nous, entrepreneurs". Pour beaucoup, il s’agirait d’un duo bien rodé entre les deux amis pour souffler le chaud et le froid : "Pas du tout, sourit Diego Della Valle. Montezemolo a un rôle institutionnel ; moi, je suis libre, je dis mon opinion de manière respectueuse, mais ferme. J’estime que, ces dernières années, le sens de l’éthique, de la morale et de la solidarité s’est délité."

Si les deux "compères" revendiquent leur apolitisme, beaucoup d’autres dirigeants de premier plan affichent ouvertement de la sympathie pour Romano Prodi. Quand Il Corriere della Sera, le quotidien le plus vendu en Italie, a pris position en faveur de la coalition de gauche, le 8 mars, l’entourage de Silvio Berlusconi y a aussitôt vu la main des propriétaires du journal. Dans le pacte d’actionnaires qui contrôle RCS Mediagroup, on retrouve certes Diego Della Valle et la Fiat de Luca di Montezemolo. Mais aussi Pirelli et Telecom Italia, de Marco Tronchetti Provera, l’un des piliers de la nouvelle Confindustria. Et encore les plus grandes banques du pays, comme Banca Intesa, dont le président, Giovanni Bazoli, fut naguère l’un des inspirateurs de la coalition de L’Olivier.

L’administrateur délégué d’Intesa, Corrado Passera, fait partie de ces grands banquiers - comme Alessandro Profumo (Unicredito) et Enrico Salza (Sanpaolo Imi) - que l’on a vus, l’an dernier, aller voter ostensiblement aux primaires organisées par la gauche.

Jean Jacques Bozonnet

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