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Entretien avec la journaliste Tahgreed el-Khodary à Gaza (video)

Publie le mardi 13 janvier 2009 par Open-Publishing


Trapped Gaza journalist talks to Al Jazeera - 09 Jan 09

Ceci est la traduction d’un document sonore d’al-Jazira écoutable en anglais :

L’entretien date du 9 janvier 2009

Le journaliste d’al-Jazira :

— Certains réussissent à fuir [Gaza], l’immense majorité n’en a pas la possibilité. Une de ces personnes prises au piège à Gaza, la journaliste Tahgreed el-Khodary, qui a réussi à nous joindre en direct au téléphone.
Merci beaucoup de nous avoir appelés, dites-nous ce que vous avez sous les yeux à l’instant.

— C’est terrifiant, vous savez, nous sommes dans le noir ; un million d’habitants de Gaza sont dans le noir. Tout ce que l’on entend, ce sont les drones qui survolent Gaza, des F-16 qui frappent de temps à autre, et aussi des tirs de mortier ; on entend aussi ce qui se passe à l’Est de Gaza. Ce qui est fou, même dans le quartier où je suis actuellement, c’est que tous les gens pensent qu’Israël va bombarder une mosquée proche, située à une centaine de mètres de chez moi, et certaines personnes du quartier se sont enfuies mais les autres... où aller ? Il n’y a pas d’abri, pas de lieu où aller. Ceux qui se sont enfuis se sont réfugiés dans des quartiers tout aussi dangereux, On ne sait plus où trouver la sécurité. Les avions, voyez-vous, envoient des tracts sur l’ensemble de la ville de Gaza, ils inondent chaque centimètre carré de tracts qui nous disent d’évacuer la ville. Et dans le nord, ils envoient même des tracts qui disent aux gens de partit et d’aller en ville, alors qu’en ville ils demandent aussi aux habitants de partir. C’est vraiment terrifiant.

— Les tracts laissent entendre que les mosquées pourraient être prises pour cibles. Il y a-t-il une présence visible du Hamas dans votre quartier ?

— Non, non, pas du tout, et c’est bien ça la question : il est impossible de savoir désormais ce qui constitue une cible... ce qui est une cible... on ne sait plus qui est son voisin, on ne sait plus qui habite le quartier. Il n’y a pas de dirigeants du Hamas dans mon quartier. Mais on ne sait pas qui soutient... on ne sait plus qui appartient à la branche armée. On se sent vraiment pris au piège, partout dans Gaza. La mosquée... elle est là depuis toujours, et tout à coup ils la bombardent et on ne sait pas... pourquoi... Il existe bien entendu, dans certains quartiers, des mosquées où les combattants vont chercher refuge, parce que [les Israéliens] sont partout, ils n’ont pas d’endroit où aller, et c’est comme ça qu’ils justifient la destruction de telle ou telle mosquée, mais c’est vraiment terrifiant : pour la première fois, Israël prend les mosquées pour cible, ils n’on jamais fait cela auparavant, et je pense qu’il s’agit d’une sorte de guerre psychologique, en dehors de la guerre militaire dans laquelle ils ont choisi de s’engager, mais, voyez-vous, c’est la première fois qu’ils ont réussi à terroriser la totalité des habitants de Gaza sans exception, c’est comme s’ils punissaient chaque individu,

— Après avoir vu ces tracts conseillant aux gens de partir, et bien sûr les Israéliens prétendront avoir fait tout ce qui était en leur pouvoir pour réduire le nombre de victimes civiles au moyen de ces tracts, pourquoi n’êtes-vous pas partie ?

— Pour aller où ? Où ? J’ai essayé... si je parle de mon propre cas, et j’en parle, j’ai essayé de m’enfuir pour aller chez mon frère, j’ai un frère ici, mais il vit près de la côte, et c’était vraiment affreux, vous savez, d’être dans ce quartier, parce que les mortiers israéliens ne sont pas loin, et les tirs de mortier sont épouvantables. Et en tant que journaliste je ne voulais pas me retrouver un peu trop loin du centre, je vis au centre de la ville de Gaza, je veux rester à proximité de l’hôpital Shifa, je veux conserver la capacité de me rendre dans divers endroits de la ville en quelques minutes. Je vis non loin du Parlement qui a été bombardé, je vis près du poste de police, je vis près de...tout ce qui a été détruit, et j’ai ressenti chaque impact, et c’est vraiment... et tu as l’impression que c’est dans ta maison, tu vois, quand la maison tremble... sous l’effet du bombardement, et les fenêtres... et la peur. En tant que journaliste, on voit les retombées de chaque bombardement, parce qu’on voit tous ces morts, tous ces blessés, et on est encore plus terrorisé. Et le plus fou, c’est tous ces enfants ici, certains de ces enfants arrivent à s’exprimer, d’autres non ; certains font des dessins et ce qu’ils dessinent est vraiment incroyable, ce qu’ils dessinent... Un gamin, qui doit avoir dans les six ans, ce qu’il a dessiné... c’était une nuit de recueillement, nous avions des bougies, et voici ce qu’il a représenté : un garçon vivant, et un garçon mort. On lui demandait pourquoi le jeune était mort, et il répondait : « C’est Israël qui a tué ce garçon, l’autre c’est son ami » Les enfants sont terrorisés et leurs pères sont dans l’incapacité de protéger leurs enfants, c’est très dévalorisant pour eux en termes d’image du père, les mères aussi essaient de cacher leur peur à leurs enfants, mais en vain, et au moment où retentissent les explosions, tous les membres de la famille - et j’ai vraiment vécu avec des familles ici, je ne pouvais pas vivre toute seule, et j’ai l’impression d’être une journaliste embarquée ici, j’essaie de passer d’une famille à l’autre, simplement dans le but de ressentir ce que vivent les familles, les enfants, les parents.

— Tahgreed el-Khodary, merci beaucoup.

Traduction de Catherine-Françoise Karaguézian