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Espagne : il y a 70 ans, la ritirada - éditions acratie

Publie le mercredi 6 mai 2009 par Open-Publishing
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Histoires de guerres, de révolutions et d’exils

Les éditions ACRATIE viennent de publier Histoires de guerres, de révolutions et d’exil de Nestor Romero.

Soixante-dix ans : le 28 janvier 1939 le gouvernement français consent enfin à ouvrir la frontière pyrénéenne aux vaincus de la guerre et de la révolution.

Román, lui, décide de rester, de poursuivre la lutte dans ce qu’il reste de la République en compagnie, plutôt que sous les ordres, de Cipriano Mera, le célèbre ’’général anarchiste’’ commandant le IV° corps d’armée et vainqueur de la bataille de Guadalajara.

Prisonnier de droit commun libéré par la Révolution fin juillet 1936, Román n’a plus cessé de combattre pour ’’las Ideas’’, les idées dont il s’est instruit au long de ses années de bagne. Le pire l’attend pourtant derrière les montagnes qu’il doit bien se résoudre à franchir.

La tourmente passée il trouve refuge, enfin, dans ce gros bourg, entre coteaux pierreux du Quercy et rives de la Dordogne. Jusqu’à ce matin d’automne, bien des années plus tard, où on le trouve là, recroquevillé sur sa terre de ’’la Plaine’’, une balle dans le coeur...

Pour toute commande écrire à éditions.acratie@orange.fr

Bonne feuille :

« Six hommes vieux lèvent le cercueil sous le regard inquiet des croque-morts qui aident à le hisser sur les épaules, Pedro, Jesus, Luis, José Maria, Victor, Gerónimo, six hommes vieux portant el compañero au long de la ruelle et au travers de la place pour déposer la bière dans le fourgon sombre que l’on a fait s’éloigner au dernier moment pour que la place, précisément, soit traversée par les couleurs de la Confederación.
Les fleurs s’amoncellent avant que le cortège ne s’ébranle. Malika prend sa main et Manuela son bras alors que les hommes, devant, forment une escorte compacte cheminant d’un pas lourd. Ils vont ainsi au long de la « côte du cimetière » dans le bruissement des chuchotis.
A mi-chemin il se dresse un instant sur la pointe des pieds pour observer la foule des femmes et des hommes qui accompagnent ce cortège comme ils le font de bien d’autres, comme si chaque avis de décès diffusé par la voiture sonorisée qui a remplacé le roulement de tambour du garde-champêtre suscitait en eux l’irrépressible besoin de se pencher au bord de l’abîme pour en éprouver on ne sait quel secret vertige. Il ne peut alors réprimer un sourire à l’idée que cette sage foule défile ingénument sous la bannière noire et rouge de l’Anarchisme ibérique. Puis, le récit de Manuela lui revient en mémoire, Román zigzagant sous les balles au coeur du traquenard, Román hurlant dans la nuit, exhortant ses compagnons, empoignant son revolver, mais il ne parvient pas, curieusement, à retrouver les traits vivants de son visage comme si leur effacement ne laissait subsister dans sa mémoire que le reflet d’un sourire, non plus sardonique, mais compatissant.
Les six hommes chargent à nouveau la bière sur leurs épaules et ainsi, à dos de compagnons, Román fait son entrée sur le coteau ensoleillé depuis lequel les cyprès, dressés sur les morts, défient ou veillent, on ne sait, le bourg pelotonné autour du beffroi et des trois coupoles de l’abbatiale, avec, au loin, pour qui observe attentivement, le miroitement de la Dordogne comme un clignement de vie sous les arches du pont de pierre.

Il se laisse un instant aller à la quiétude de ce lieu d’ensevelissement où chacun peut mesurer, dans le silence qui semble monter de la vallée, la respiration des morts qui sourd de la terre face à l’immutabilité de la pierre et de l’eau, où chacun peut mesurer sa propre fugacité mais aussi son enivrante présence et, quand Malika adoucit encore la chaude pression de sa main, il sait qu’elle partage son émoi. Il se dégage alors des deux femmes, s’escamote entre tombes et caveaux pour parvenir au bord de la fosse qui, gueule béante, semble attendre sa proie tandis que le fossoyeur, indifférent, y disparaît soudain puis en surgit et s’en extrait d’un coup de reins alors que les derniers arrivés se pressent.
Puis, s’insinuant et s’excusant il parvient enfin à se poster face aux « proches », comme l’on dit en de telles circonstances, de même que l’on dit des circonstances qu’elles sont, en de pareils moments, bien tristes, ou même tragiques, les moments eux-mêmes ne pouvant être que pénibles, tout cela, se laisse-t-il aller à songer, tout cela en une codification de la bienséance qui n’a sans doute d’autre raison que de tenir la mort à distance au moment où elle se manifeste implacablement.

Les compagnons qui ont ployé sous le cercueil sont là, et tous les autres, accourus de Toulouse et de Bordeaux, de Perpignan et de villages reculés d’où ils ne sortent plus que pour de telles circonstances. Le cercueil est posé sur les tréteaux au bord même de la fosse, la surplombant en une sobre représentation de l’inéluctable.

Son regard demeure fixé sur l’espace restreint mais infini qui sépare le cercueil de la terre béante alors qu’il éprouve une fois encore cette impression de déjà vécu, ce retour d’un passé qui n’est pas le sien, qui ne le peut raisonnablement, et qui n’est autre, alors, que celui du père vacillant entre les plis tombants du drapeau de l’impossible révolution, et une fois de plus il est abasourdi par l’évidence de cet instant que le père vécut lui aussi, accompagnant sous ce même soleil un camarade honoré de cette même bannière pour le déposer sur le coteau qui porte ainsi l’empreinte de ses pas dans lesquels il pose ses propres pas.
Mais lui, le père, n’a pas reçu un tel hommage, il repose dans une fosse indigne d’où nul, pas même lui, le fils, ne pourra l’extraire pour le déposer là, sur le coteau, face au beffroi vers lequel il lève les yeux et, ce faisant, leurs regards se saisissent et se fondent excluant le monde ou plutôt le réduisant à leurs regards mêlés et les mots de Malika lui reviennent à l’esprit, ces mots qui ne sont désormais jamais loin dans sa mémoire et émergent parfois comme des branches entraînées entre deux eaux et qui soudain émergent, en effet, et révèlent les turbulences occultées par l’écoulement lisse du flot : tu regrettes tellement de ne pas l’avoir vécue, cette guerre, lui dit-elle un jour, et il en était demeuré interdit, cette guerre dont les récits innombrables avaient bercé son enfance comme d’autres sont bercés par le Chat Botté, et dont les héros, Buenaventura Durruti, Francisco Ascaso, Federica Montseny, Cipriano Mera et jusqu’à El Campesino étaient aussi extraordinaires que Buck John ou Opalong Cassidy, cette guerre l’avait englouti, lui, comme si la mort de son père, abolissant le merveilleux, le hissait brutalement à l’âge adulte et le plongeait du même coup dans la dernière de ces ridules concentriques dont l’origine, si lointaine maintenant, n’était autre que cette déferlante lyrique du 20 juillet 1936 sur les Ramblas de Barcelone. Tu regrettes tellement, avait-elle poursuivi, tu racontes cette guerre avec tant de nostalgie et tant d’amertume, comme si tu en voulais au monde entier, à Dieu lui-même, de ne pas être né à temps, tu la racontes comme si tu l’avais vécue, comme si tu étais ton père. »

Messages

  • ça donne vraiment envie de lire ce livre .

    belle periode .triste aussi .

    tout ce qui s y rattache me rappelle mon enfance.

    j avais 2 copains espagnols ,un de chaque bord ,ils ne pouvaient pas se voir et s engueulaient sans cesse ( et pour cause ..)

    mais a 14-15 ans je regardais sans comprendre ,ça me depassait de loin .
    je n en ai pris conscience que bien plus tard .avec un autre ami au lycée ,fils d immigré espagnol aussi ,tres politisé et qui m a expliqué en détail l histoire de son pays ,la fuite de ses parents ,leur survie...il m a fait decouvrir les chansons ,les slogans ,les idéaux et comme nous etions dans un lycée tres "actif" dans une periode interessante ,manifs et coups de poings contre les etudiants fachos d’Assas etaient très fréquents.

    j’ y pense parce qu’ il est rentré dans la police.... ironie de la vie.

    j’ y pense parce que je suis resté des années sans nouvelles..

    et qu un jour il est réapparut comme ça ...

    fait du hasard ? nostalgie ?

    les hommes étant ce qu ils sont ,les policiers une engeance très spéciale ( le dernier métier du monde a toujours dit mon père ) et mes illusions s’étant envolées depuis longtemps ,je n’ai pas donné suite à ses "retrouvailles’...

    mais ce livre ,je vais me le procurer ,qui sait l’occasion de lui coller sur le front se présentera peut être...

    merci

    Makhno