Accueil > Et si Paul Vergès ne signait pas ?
Qui se souviendra dans 20, 30 ou 40 ans des conditions dans lesquelles a été scellé le financement de la “nouvelle” route du littoral, du combat de chiens auquel se sont livrés à cette occasion Nicolas Sarkozy, prétendant UMP à la présidentielle, et Dominique de Villepin, crypto-candidat mais vrai Premier ministre, pour s’octroyer le bénéfice de l’annonce ? Personne sans doute. La route sera là en revanche, et le tram-train aussi,... Oubliées les polémiques liées aux chutes de pierre, le ballet ridicule de Lady et de Lafé, les crises de nerfs dans le canal bichique.
Paul Vergès aura vraisemblablement donné son nom à une gare, une rame, ou un ouvrage d’art, en sus de la Maison des civilisations qui lui sera dédiée... Tout ça appartiendra à La Réunion lontan. Mais pour l’heure, les protagonistes de ce qui n’est pas encore de l’histoire jouent gros. Le président de la Région se prépare à vivre une sorte d’apothéose ironique, reçu par le dernier chef de gouvernement de Jacques Chirac, entouré d’un aréopage comportant une forte proportion d’élus de droite, René-Paul Victoria, Jean-Louis Lagourgue, Alain Bénard, Nassimah Dindar... Ceux qui s’opposaient à ses projets, et tout particulièrement Jean-Paul Virapoullé, se retrouvent “échec et mat” ; ils boivent le calice jusqu’à la lie en voyant Sarkozy et Villepin se disputer la compagnie de ce “cher président Vergès”.
Les implications politiques d’un tel accord sont lourdes de sens. Localement, à l’orée de deux années à forte teneur politique, l’entente cordiale affichée lors de cette signature peut préfigurer un faisceau d’intelligences tacites sur le terrain électoral, possiblement la chute du clan Virapoullé replié sur son fief saint-andréen. Vu de Paris, l’enjeu est d’une autre nature. Pour le ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, qui brillera par son absence demain à Matignon, les ministres Perben et Baroin étant seuls autorisés à assister Villepin, le fait d’apparaître ès qualités de maître d’œuvre dans cette affaire d’investissements structurels est vitale ; annoncer l’octroi de 725 millions d’euros pourrait lui permettre de compenser le retard dont il souffre dans l’opinion par rapport à Ségolène Royal. Mais la manœuvre de communication qu’il a initiée pour anticiper sur la signature à grand spectacle prévue par Matignon est à ce point précipitée qu’elle sent la “manip”. Pour Villepin qui a déjà entamé ses 100 derniers jours, il importe de poser un bilan de gouvernement digne des engagements pris devant les Réunionnais, en début d’année dernière. On ne sait jamais, Chirac n’a toujours pas annoncé qu’il se retirait du jeu...
Dans ce contexte crépusculaire la position et le poids de Paul Vergès lui donnent les atours d’un faiseur de rois. Le texte du protocole d’accord Etat-Région pour le financement des grandes infrastructures des transports a fait l’objet d’une élaboration toute diplomatique, dans ses moindres détails. Or il apparaît qu’à la dernière minute, certains termes en sont modifiés, à l’instigation du sénateur Virapoullé. État et Région devaient signer un prêt réglementé à taux bonifié de type livret A ou fonds d’épargne, à bas taux d’intérêt, favorisant de substantielles économies sur les frais financiers, avantageux pour la gestion de la dette, permettant ainsi de dégager des marges de manœuvre importantes...
Le texte du protocole d’accord fait aujourd’hui état de “prêts dédiés” largement moins avantageux pour la Région. Paul Vergès refuse d’être placé devant le fait accompli et menace de ne pas signer le protocole d’accord Etat-Région, provoquant une crise politique au plus haut niveau. Les Réunionnais apprécieront de voir s’évaporer la nouvelle route du littoral, le tram-train... bonjour l’ambiance pour les élections !
Philippe Le Claire