Accueil > FIDEL CASTRO, CUBA ET LES ETATS-UNIS

FIDEL CASTRO, CUBA ET LES ETATS-UNIS

Publie le mardi 19 décembre 2006 par Open-Publishing

Conversations avec Ricardo Alarcón de Quesada Président de l’Assemblée nationale cubaine

Nouveau livre de Salim Lamrani

La Guerre froide, responsable du conflit entre Cuba et les Etats-Unis ?

Salim Lamrani : M. le Président, l’historiographie conventionnelle analyse les tensions entre Cuba et les Etats-Unis à l’aune du cadre de la Guerre froide. Il est vrai que Cuba, en se rapprochant de l’Union soviétique, allait logiquement déclencher l’animosité de Washington. Quel est votre point de vue à ce propos ?

Ricardo Alarcón de Quesada : Il faudra un jour sérieusement interroger l’histoire conventionnelle, car il s’agit de la version qui a été prédominante dans la propagande nord-américaine. Mais en réalité, les documents et les preuves qui contredisent cette version devraient être connus de tout historien digne de ce nom, tout historien un tant soit peu sérieux.

En tout cas, au moins depuis 1991, je crois savoir que les documents officiels des autorités étasuniennes concernant l’époque précédant le triomphe de la Révolution ont été déclassifiés. Evoquons le volume correspondant à la période 1958-1960, en l’occurrence la dernière année du gouvernement de Batista, et les deux premières années de la Révolution. A cette époque, on ne pouvait pas parler d’alliance avec l’Union soviétique, ni même de relations formelles avec l’Union soviétique. Cependant, ces documents démontrent que dès l’époque de Batista, l’administration d’Eisenhower a essayé d’empêcher « la victoire de Castro ». Je vous cite le document textuellement. Il s’agit d’un rapport du Conseil national de sécurité des Etats-Unis.

Salim Lamrani : Donc selon vous, la réalité est toute différente.

Ricardo Alarcón de Quesada : Les faits historiques se sont déroulés de manière complètement différente de ce que raconte l’histoire conventionnelle. Avant même le triomphe de la Révolution, les Etats-Unis ont essayé d’empêcher la victoire des barbudos, et depuis la victoire du 1er janvier 1959, Washington essaye de renverser le gouvernement révolutionnaire.
Le soutien de l’Union soviétique, ce que l’on pourrait appeler l’alliance avec l’Union soviétique, n’est qu’une réponse de Cuba aux agressions des Etats-Unis. La conséquence de cette hostilité immédiate a été le rapprochement avec les Soviétiques.

Influence des Etats-Unis avant la Révolution

Salim Lamrani : Quel degré de contrôle ou d’influence exerçaient les Etats-Unis aux niveaux politique, économique et social lors du triomphe de la Révolution en 1959 ?

Ricardo Alarcón de Quesada : Les Etats-Unis avaient une très grande influence politique à Cuba. Je crois que le terme d’« influence » est plus juste. Dans les années 1950, l’amendement Platt, que Washington avait imposé au début du XXe siècle, n’existait plus légalement. Rappelez-vous que cet amendement autorisait les Etats-Unis à intervenir militairement à Cuba.

Salim Lamrani : Et pour ce qui est de l’influence économique ?

Ricardo Alarcón de Quesada : L’influence économique était énorme. L’économie cubaine était presque partie intégrante du marché étasunien car elle dépendait de manière vitale des exportations de sucre vers les Etats-Unis.
L’influence d’ordre culturel était également très importante pour des raisons historiques et géographiques : Cuba a été pour ainsi dire administrée par les Etats-Unis. Il y avait une sorte de fatalisme géographique dans le subconscient collectif de Cuba, un fatalisme intentionnellement alimenté par l’idée selon laquelle il n’était pas possible de se développer sans l’aval des Etats-Unis, disons indépendamment des Etats-Unis. Cette idée était fondée, car chaque fois qu’il y a eu des velléités d’indépendance à Cuba, et cela remonte à la guerre contre l’Espagne, les Etats-Unis sont intervenus militairement, que ce soit en 1898, en 1907 ou lors de la Révolution de 1933.
En 1933, l’armée n’a pas occupé militairement le pays, mais le peuple tout entier redoutait une intervention de la flotte nord-américaine, rassemblée en masse dans la baie de La Havane. L’ambassadeur étasunien à Cuba agissait en tant que superpouvoir et était l’homme politique le plus important de l’île.
Ainsi, le sentiment selon lequel il n’était pas possible de vivre indépendamment des Etats-Unis était bien réel. Pour les Cubains de l’époque, tout ce que pouvait entreprendre le pays pour secouer le joug nord-américain était vain, voué à l’échec, car il en était allé ainsi précédemment.

Guantanamo

Salim Lamrani : Pourquoi le gouvernement cubain accepte-t-il la présence militaire étasunienne à Guantanamo ?

Ricardo Alarcón de Quesada : Nous ne l’acceptons pas du tout. Nous avons maintes fois déclaré que l’occupation militaire d’une partie de notre territoire était illégale et illégitime. Cela fait plus de 45 ans que nous dénonçons cette présence délictueuse auprès des instances internationales et de la communauté internationale. Nous menons une grande bataille politique et diplomatique en ce sens, mais pacifiquement. Il serait absurde de prétendre déloger les Etats-Unis de Guantanamo par la force, car cela signifierait la guerre.

Salim Lamrani : Au niveau juridique, quel accord a abouti à la cession de Guantanamo ?

Ricardo Alarcón de Quesada : L’origine de cet accord remonte à l’intervention nord-américaine dans la guerre hispano-cubaine. Les Etats-Unis sont intervenus en 1898 et ont remplacé l’Espagne en tant que puissance coloniale régnant sur Cuba.
Pour retirer leurs troupes et mettre ainsi un terme à l’occupation militaire de l’île, les Etats-Unis ont imposé le célèbre amendement Platt à l’Assemblée constituante qui était censée élaborer la Constitution de l’an I – cela fait partie de l’Histoire de Cuba, histoire que connaît n’importe quel enfant de ce pays – pour organiser la République indépendante de Cuba.
Il s’agissait d’un accord voté par le Congrès étasunien et qui fut ajouté par la coercition à la nouvelle Constitution. Si les membres de l’Assemblée constituante refusaient d’inclure l’amendement Platt, les troupes militaires étasuniennes ne se retireraient pas et le gouvernement envahisseur continuerait d’administrer Cuba.
Cela a provoqué un débat houleux au sein de l’Assemblée, et suite à cette pression, les membres ont admis cette clause ; elle fut partie intégrante de la Constitution cubaine jusqu’en 1934.

Salim Lamrani : En quoi consistait exactement l’amendement Platt ?

Ricardo Alarcón de Quesada : L’amendement Platt avait deux composantes fondamentales : d’une part, il obligeait la République de Cuba à reconnaître aux Etats-Unis le droit d’intervenir dans les affaires intérieures cubaines à n’importe quel moment.
D’autre part, la République de Cuba était contrainte de céder plusieurs espaces territoriaux pour l’installation de bases navales nord-américaines et de mines de charbon. Leur usage était exclusivement réservé à la marine étasunienne.

Salim Lamrani : Cependant, l’amendement Platt a été abrogé en 1934.

Ricardo Alarcón de Quesada : Effectivement, en 1934, ce texte contraignant a été abrogé et éliminé. Cependant, il a été remplacé par un document très concis intitulé « Traité de réciprocité entre Cuba et les Etats-Unis ».
Ce texte abrogeait l’amendement Platt, mais stipulait que la base navale de la baie de Guantanamo resterait sous le contrôle et la domination des Etats-Unis jusqu’à ce que les deux parties – La Havane et Washington – décident d’un commun accord d’y mettre un terme.
Voilà l’essence de cet accord.

Salim Lamrani : C’est un accord pour le moins étrange.

Ricardo Alarcón de Quesada : Absolument ! D’un côté, les Etats-Unis renonçaient à leur « droit » d’intervention dans la vie politique et économique de Cuba, mais de l’autre, ils annexaient de facto la base navale de Guantanamo pour une durée indéterminée, afin de pouvoir garder la base navale à perpétuité.
En effet, le départ des Etats-Unis de Guantanamo ne dépend pas d’un calendrier précis, d’un bail déterminé par les deux parties, mais uniquement du bon vouloir des autorités étasuniennes.
En d’autres termes, selon ce texte, tant que les Etats-Unis souhaiteront avoir une présence à Guantanamo, ils pourront y rester sans aucun problème. C’est cela que l’on peut qualifier, avec beaucoup de réserves, de « cadre juridique » à propos de Guantanamo.

Préface d’Ignacio Ramonet

280 pages

Editions Le Temps des Cerises

Prix : 15€

Ce livre est disponible auprès :

 www.amazon.fr
 www.fnac.fr
 de l’auteur pour dédicace : lamranisalim@yahoo.fr