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Fatos Lubonja : "Les Albanais étaient si fatigués qu’il ne craignaient pas le retour à l’autoritarisme
Publie le dimanche 10 juillet 2005 par Open-Publishing
INTERVIEW "Le système affairiste mafieux ne changera pas"
Fatos Lubonja : "Les Albanais étaient si fatigués qu’il ne craignaient pas le retour à l’autoritarisme"
de CLAUDIO BAZZOCCHI traduit de l’italien par karl&rosa
Nous avons posé quelques questions sur les résultats électoraux en Albanie à Fatos Lubonja, écrivain, journaliste, militant pour les droits de l’homme, ex-prisonnier politique et responsable d’une revue, Perpjeka (Engagement) très critique par rapport au pouvoir albanais et au rôle de l’Occident. Il a publié en Italie deux livres, "Diario d’un intellettuale in un gulag albanese (Journal d’un intellectuel dans un goulag albanais, NdT) (Marco Ed., ’94) et "Intervista sull’Albania. Dalle carceri di Enver Hoxha al liberismo selvaggio" (Des prisons d’Enver Hoxha au libéralisme sauvage, NdT) (Il Ponte, 2004).
Comment jugez-vous la victoire de Berisha ?
On s’attendait à la victoire du Parti Démocratique que ce soit pour une raison "physiologique", puisque huit ans de pouvoir ont usé les socialistes, ou surtout parce que les gens étaient très mécontents et désespérés à cause du régime étouffant de corruption créé par Fatos Nano. Et je ne suis pas en train de parler de corruption individuelle, de pots-de-vin ou de quelques marchés publics truqués. Je parle d’un rapport systématique entre l’aristocratie des affaires et le pouvoir pour l’exploitation de l’argent public, qui a étouffé l’Albanie durant des années et a privé le pays des ressources publiques fondamentales pour le bien-être des citoyens. Aloprs, vous pouvez voir dans les villes les plus importantes de grandes constructions privées (hôtels, barres, tours, centres de loisirs...) des écoles et des hôpitaux délabrés. De plus, la justice est complètement asservie aux intérêts du pouvoir économique et politique, de même que les médias, possédés par les plus importants businessmen albanais, qui sont souvent aussi des dirigeants du Parti Socialiste. La campagne électorale s’est concentrée justement sur la demande de changement des gens et sur la promesse de la part du Parti Démocratique et du nouveau parti d’Ilir Meta (qui a quitté le Parti Socialiste pour créer une nouvelle formation de gauche) d’éradiquer l’enchevêtrement systématique entre économie et pouvoir représenté par le gouvernement de Fatos Nano. De leur côté, les socialistes n’ont rien su faire d’autre que d’agiter le spectre du retour d’un régime autoritaire de Berisha. Je crois que le fait qu’on ait tout misé sur cette carte a été le signe de la grande faiblesse des socialistes et de leur échec. En somme, ne pouvant pas énumérer les mérites de leur gouvernement, ils n’ont rien trouvé de mieux que d’agiter le fantôme de l’autoritarisme. Les gens sont fatigués et désespérés et ce spectre n’effraie plus personne. Aujourd’hui, le vrai problème en est un autre. Rien ne changera et Berisha s’installera à la tête du système affairiste maffieux à la place de Nano.
En somme, le mécontentement a été plus fort que la peur d’un régime autoritaire...
Avant tout, il faut dire que le régime de Nano aussi a été un régime autoritaire, dans lequel toutes les institutions de l’état étaient asservies au système de pouvoir du Parti socialiste. En outre, Berisha représente aujourd’hui les couches les plus pauvres de la population. Ce qui n’est pas le cas des socialistes dans les rangs desquels se trouvent les plus grands pilleurs des fonds publics du pays. Nous pouvons dire que, de même qu’ en 1997 la population n’a pas donné raison aux démocrates qui agitaient la peur d’un retour au régime communiste, aujourd’hui elle n’a pas écouté les socialistes qui semaient la peur du retour d’un Berisha despotique et anti-démocratique.
Vous croyez que les Américains n’apprécieront pas la victoire de Berisha ?
Probablement pas, parce que maintenant les Américains privilégient dans cette zone la stabilité. S’ils s’étaient sentis bien avec Nano qui, par-dessus tout, avait participé à la guerre en Irak en se qualifiant de "jeune Europe", pourquoi changer ? Ils peuvent peut-être même se sentir effrayés par le fait que Berisha ait fait adhérer, en son temps, l’Albanie à la Conférence des Pays Islamiques. Mais en même temps, il est vrai qu’avec Berisha rien ne devrait changer en politique étrangère. Lui aussi parlera de fidélité euro-atlantique, avec en tout cas Washington toujours en première place.
Une défaite salutaire pour les socialistes ?
C’est difficile à dire. Il faut en effet penser que le parti hors du pouvoir pourrait se désagréger parce que sa raison de vivre durant les huit dernières années a été la suivante : être à la tête d’un système affairiste maffieux pour piller l’argent public. Ils seront donc nombreux à quitter la politique au moment où ils verront que cela ne leur servira plus à rien d’être sur les bancs de l’opposition. D’autres passeront au Parti Démocratique pour demeurer dans les chambres du pouvoir. Pensez que 70 millions d’euros ont été dépensés pour la campagne électorale. Pour l’Albanie, c’est une somme énorme et la plus grande partie a été dépensée par les socialistes comme si c’était un véritable investissement capitaliste au bénéfice de leurs affaires.
Et Meta, pourrait-il représenter un espoir pour la gauche albanaise ?
C’est quelqu’un qui a quitté le Parti Socialiste en en condamnant durement le système de pouvoir même s’il en a été au début un des architectes. Il est jeune et bien préparé et, durant la campagne électorale, il a été très dur et pointu dans ses dénonciations. Nous verrons bien.