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Festival de Cannes, STELLET LICHT : À n’avoir que toi d’horizon...
Publie le jeudi 24 mai 2007 par Open-Publishing
de Michel Guilloux
COMPÉTITION . Avec ce troisième film, le Mexicain Carlos Reygadas brosse en cinémascope un portrait superbe du sentiment amoureux et de ses déchirements.
STELLET LICHT, de Carlos Reygadas Mexique, 2 h 22 Envoyé spécial. De la nuit vers le jour, du jour vers la nuit. Telles deux parenthèses enchantées qui donneraient leur ton au film, ainsi s’ouvre et se clôt Stellet Licht (lumière silencieuse en français).
Plan fixe, cinémascope, tout d’obscurité, puis la lueur d’une étoile, de deux et de la voûte céleste, le chant des grillons, un paysage d’arbres que découvre une caméra reculant avec douceur, des beuglements furtifs de vaches, les premières lueurs d’incendie de l’aube et le petit matin nimbé de blanc.
Et l’inverse à la fin. Dans la séquence suivante, même mouvement vers la lumière, céleste les yeux fermés, terrestre de ce père de famille osant jeter un regard en coin sur son épouse à la table familiale, geste furtif qui abrège de fait la prière du petit déjeuner. Les premiers mots se disent en un dialecte qui ressemble à du flamand puis tinte comme de l’allemand, achevant de dérouter celui qui s’attendait à entendre de l’espagnol. Les six enfants partiront à l’école avec leur mère qui laisse l’homme seul, assis, qui se met à pleurer avant de se lever à son tour pour figer le mouvement de l’horloge et son implacable tic-tac.
Ce fermier s’appelle Johan (Cornelio Wall Fehr), sa femme Esther (Miriam Toews). Il aime à la passion une autre femme, Marianne (Maria Pankratz). Son père est également pasteur et l’avertit qu’à lâcher, selon lui, la proie pour l’ombre, il perdra les deux. Sombre présage qui ouvrirait une piste de lecture religieuse ? Comment Reygadas va-t-il traiter cela ? Après Japon, découvert à la Quinzaine des réalisateurs en 2002, Bataille dans le ciel, déjà en compétition deux ans plus tard, ce cinéaste de trente-six ans revient avec une oeuvre ample et ambitieuse.
Sa promesse est tenue, loin de la veine de misère et de désenchantement du monde qu’offre une partie des oeuvres vues jusqu’à présent. Ici l’on est dans la seconde, telle qu’on a pu le voir avec Tehilim, de Raphaël Nadjari, celle qui aborde le monde sous l’angle de la vie, simple et universelle. L’introduction vaut pro- gramme. Nous sommes ici dans le registre des grands sentiments tragiques. Alors, à grands sentiments, grands espaces, que célèbrent tout à la fois le format des plans comme leur fixité et leur durée. Les plaines ondulent sous le vent.
Les corps sont filmés au plus près, jusqu’à l’épiderme. Les dialogues sont laconiques et distanciés - ce qui est vital requiert peu de mots. Le temps ici est plus suspendu qu’il ne se dilate jusqu’à l’insupportable : le plan fixe est aussi maîtrisé de ce côté-là de la planète qu’à l’autre bout, du côté de On songe à ces mots d’Aragon, écrits en 1930 : « Le miracle est un désordre inattendu, une disproportion surprenante » et « un extraordinaire dépaysement ». chez Hou Hsiao-Hsien.
La vie, dans toute sa simplicité comme sa profondeur dramatique, se donne à voir en des moments élégiaques, de baignade familiale, de rencontre amoureuse au sommet d’une colline, de personnages quittant le cadre floral laissé à un flou qui suscite un apaisement semblable aux Nymphéas, de Claude Monet. Une lumière douce, oui, silencieuse baigne l’ensemble. Son origine est-elle céleste ?
On pourrait le penser à suivre cette communauté d’origine suisse et allemande, née d’une scission protestante au XVIe siècle, émigrée des États-Unis au Mexique depuis la fin de la Première Guerre mondiale, que ce film fait aussi découvrir dans ses gestes quotidiens de travail de la terre. Pourtant, pourtant, Johan est tiraillé, on le serait à moins, par son désir écartelé.
Est-ce le retour à la foi, voire l’accomplissement du message divin dont son père s’est fait l’intercesseur qui pourrait le sauver ?
Il faudrait un miracle pour trancher la question. Celui-ci adviendra de la plus surprenante manière qui soit, comme il convient. Par un geste du registre de la magie d’un sentiment amoureux bien de ce monde, toute une perspective possible du film s’en trouvera renversée.
Magie, conte annoncé par la séquence inaugurale, miracle... par un effet de collage, l’on songe à ces mots d’Aragon, écrits en 1930 : « Le miracle est un désordre inattendu, une disproportion surprenante » et « un extraordinaire dépaysement ». On venait écrire ces lignes et, dans l’ascenseur, la Star Ac massacrait consciencieusement un de ses poèmes. « Aimer à n’en savoir que dire »...
Il y a des moments où il faudrait savoir se taire. Dans ce Mexique-là, sous l’oeil de Carlos Reygadas, la condition humaine vous a tout de même une autre allure, au chapitre élévation.