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La chute du gouvernement Prodi n’est pas seulement la énième crise gouvernementale que l’Italie ait connue depuis la fondation de la République, après la seconde guerre mondiale. Au-delà des ressemblances avec les épisodes précédents, elle marque aussi l’échec d’une volonté : celle de faire de la politique autrement dans un pays où les dirigeants des partis, les membres du Parlement, les élus locaux sont plus déconsidérés que nulle part ailleurs. Avec ses tristes facéties, Silvio Berlusconi, qui menace de revenir au pouvoir, avait encore ajouté à ce discrédit.
Romano Prodi a essayé de donner une autre image de l’action publique. Sa personnalité, austère et honnête, tranchait déjà avec l’affairisme ostentatoire de son prédécesseur. Mais, surtout, il avait voulu rassembler autour de lui des partis politiques qui n’avaient jamais été capables de travailler ensemble plus que quelques mois. Sa coalition était certes tributaire d’un système électoral qui favorise l’émiettement du paysage politique et donne aux petites formations une influence démesurée. C’est d’ailleurs la défection - dans des conditions douteuses - d’un résidu de la Démocratie chrétienne ne représentant pas plus de 1 % de l’électorat qui a entraîné, cette fois encore, la mise en minorité du gouvernement au Sénat.
Cependant, soutenu par les formations de centre gauche, comme les Démocrates de gauche et la Marguerite, qui se sont récemment regroupées dans le Parti démocrate, M. Prodi avait inauguré une procédure de primaires populaires pour asseoir sa légitimité de candidat au poste de président du conseil. Il avait parcouru le pays, rassemblant les sympathisants du centre gauche et des petits partis héritiers des communistes dans une "fabbrica" pour peaufiner son programme et s’était soumis à un vote d’investiture. 4,3 millions d’Italiens l’avaient choisi pour affronter la droite.
"Il Professore" espérait ainsi affirmer son pouvoir contre un système dominé par les partis. Sa résistance aura duré moins de deux ans. Son échec devrait être médité par les socialistes français, qui avaient montré un vif intérêt pour les primaires à l’italienne. Certes, les spécificités de la situation italienne - un vote à la proportionnelle à peine corrigé, un Parlement composé de deux Chambres aux pouvoirs égaux - expliquent dans une large mesure la fin d’une expérience que les voisins de l’Italie regardaient avec sympathie. Mais elle n’explique pas tout. Elle ne doit pas masquer la difficulté fondamentale qu’il y a à faire cohabiter dans une même majorité un éventail d’opinions allant du centrisme à l’altermondialisme. Le gouvernement de M. Prodi était miné de l’intérieur avant même le vote des sénateurs. La chance de la gauche en France, c’est l’élection présidentielle au suffrage universel. Encore faut-il savoir la saisir.