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Futurs sombres pour l’Irak

Publie le mardi 13 mars 2007 par Open-Publishing

La guerre d’Irak n’est pas terminée, mais les USA l’ont déjà perdue. Brzezinski, Cole, Scheuer, et les experts rassemblés par le magazine Rolling Stone pour analyser le futur de l’Irak et l’évolution de la crise au Moyen-Orient, sont tous très pessimistes et considèrent que la situation va empirer. Jusqu’où ? Trois scénarios pour l’Irak tentent d’y répondre.

par Tim Dickinson

La guerre d’Irak n’est pas terminée, mais - renfort ou pas - les USA l’ont déjà perdue. C’est le sombre constat sur lequel s’accordent les experts rassemblés par Rolling Stones pour discuter du futur de l’Irak. « même si nous avions un million d’hommes à mobiliser, il est trop tard », juge le général à la retraite Tony Mc Peak, qui a servi à l’état major durant la première guerre du Golfe.

Les experts, parmi lesquels des diplomates, des analystes du contre-terrorisme et un ancien général en chef, estiment que la tentative du président Bush pour sécuriser Bagdad aura pour effet d’étendre ailleurs le conflit, et de conduire à une situation bien pire que n’importe quel bourbier dans le style du Vietnam. Les renforts ne mettront pas fin au nettoyage ethnique qui ravage l’Irak, car la majorité chiite désormais au pouvoir veut régler les comptes de plusieurs siècles d’oppression de la minorité sunnite. Ils ne désamorceront pas le baril de poudre que constituerait un kurdistan Irakien cherchant l’indépendance pour les gouvernements de Turquie, de Syrie et d’Iran, qui maltraitent depuis longtemps leurs séparatistes kurdes. Et cela ne fera qu’affaiblir la lutte contre le terrorisme.

« Notre invasion et notre occupation ont créé un chaudron qui continuera de produire ses effets sur les acteurs du Moyen Orient dans le futur proche », dit Michael Scheuer, qui a dirigé à la CIA la chasse de Ben Laden. « En renversant Saddam, nous avons permis au Jihad de se déplacer de 1000 km vers l’ouest, d’où il peut projetter ses forces, ses cadres, son idéologie en Turquie, et depuis la Turquie vers l’Europe ».

A quel point les chose peuvent tourner mal en Irak, et quel prix le monde aura à payer pour la décision de prolonger la guerre prise par le président ? Pour répondre à ces questions, nous avons demandé à ces experts de dessiner trois scénarios pour l’Irak : le meilleur que nous puissions espérer, celui qui semble le plus probable, et enfin le scénario du pire.

Les experts réunis par Rolling Stone :
 
Zbigniew Brzezinski
Conseiller pour la Sécurité Nationale auprès du President Carter
 
Richard Clarke
Directeur du Contre-terrorisme de 1992 à 2003
 
Nir Rosen
Auteur de "In the Belly of the Green Bird", sur la dérive Irakienne vers la guerre civile, en liaison depuis Le Caire.
 
Genéral. Tony McPeak (à la retraite)
Membre du "Joint Chiefs of Staff" durant la guerre du Golfe.
 
Bob Graham
Ancien membre de la commission Sénatoriale du Renseignement.
 
Chas Freeman
Ambassadeur en Arabie Saoudite durant la guerre du Golfe. President du Middle East Policy Council
 
Paul Pillar
Ancien analyste en chef sur le contre-terrorisme pour la CIA
 
Michael Scheuer
Ancien chef de l’unité de recherche d’Osama ben Laden à la CIA. Auteur de "Imperial Hubris"
 
Juan Cole
Professeur d’histoire contemporaine du Moyent Orient à l’université du Michigan

Scénario le plus favorable

Guerre Civile en Irak et renforcement d’Al Quadea

Zbigniew Brzezinski : Si nous voulons dialoguer avec tous les voisins de l’Irak - y compris l’Iran - dans le cadre d’un effort au niveau régional pour contenir la violence, le mieux que nous puissions espérer c’est un Irak qui soit politiquement inoffensif, mais qui sera hostile aux USA.

Gen. Tony McPeak : La question n’est pas allons-nous quitter l’Irak, mais quand allons-nous quitter l’Irak. Et tout le monde en Irak le sait. Alors il se disent "Bien, nous allons cacher des armes et attendre que vous partiez. Et à ce moment là nous ferons ce que nous voudrons"
Rolling Stone : Mais l’administration insiste sur le risque de chaos en Irak après notre départ, et justifie ainsi que nous devions rester et combattre.

Richard Clarke : Tous ce qu’ils décrivent comme devant se produire se produit déjà. L’Irak est déjà une base terroriste, il y a déjà une guerre civile. Nous avons 150 000 hommes là-bas, et nous ne parvenons pas à arrêter cela.

Nir Rosen : Il n’y a pas de bon scénario pour l’irak. C’est maintenant, que l’anarchie complète règne. Il n’y a aucune famille qui soit indemne des kidnappings, meurtres, nettoyages ethniques. Tout le monde vit dans un état de terreur perpétuel. Si l’on met à part le Kurdistan, qui est un cas très différent, personne en Irak n’est en sécurité. Vous pouvez vous faire tuer parceque vous êtes un sunnite, parceque vous un êtes un chiite, parceque vous êtes éduqué, parceque vous avez fait partie de l’ancien régime, ou du nouveau régime. Les américains tuent aussi des civils irakiens ici ou là. Il n’y a pas de gouvernement en Irak. il n’existe pas en dehors de la Zone Verte [1]. Cela n’est pas seulement de la faute du gouvernement, c’est notre faute. Nous avons délibérément créé un gouvernement faible, pour nous permettre de conserver la haute autorité sur toutes les décisions en Irak.

Michael Scheuer : Même dans le cas du meilleur scénario, le désastre auquel nous assistons maintenant n’est rien en comparaison de celui auquel nous assisterions après notre départ. La vraie question ici, c’est celle des intérêts des USA. Plus longtemps nous restons, plus nous aurons de pertes humaines. Je ne crois pas que plus nous restons, meilleur sera l’Irak. C’est plutôt l’inverse.

Rolling Stone : Qu’adviendra-t-il de la guerre civile entre chiite et sunnites après notre départ ?

Juan Cole : La guerre civile durera cinq ou dix ans. C’est inévitable. Mais dans le cas du meilleur scénario, à la fin, les Irakiens parviendront à se réconcilier comme état-nation, comme le Liban a su le faire en 1989.

Rosen : on parle de processus de réconciliation, mais les chiites ne veulent pas d’un compromis avec les sunnites. Ils n’ont pas à le faire. Il va y avoir un génocide de sunnites à Bagdad. Les chiites sont assez nombreux pour y parvenir. Ils sont capables de supporter toutes les voitures suicides sunnites que cela leur coutera. Les américains ne pourront pas interrompre cela. Ils n’arrivent pas à distinguer un chiite d’un sunnite. Le mieux que vous pouvez espérer c’est que la violence ne s’étende pas aux états voisins.

McPeak : Il faut espérer que les Irakiens s’acheminent vers un état fédéral avec trois gouvernements régionaux forts. Mais il y a un écueil. Les turcs seront furieux. Ils considèrent que le Kurdistan serait la base arrière de la rébellion sur le sol Turc, qui les harcèle comme l’IRA l’a fait en Irlande ou l’ETA au pays basque. Et si l’Irak évolue vers trois mini états, des "stans", il sera très difficile au sunnistan de ne pas devenir le havre des agents d’Al Quaeda.

Rolling Stone : Donc même dans le cas du scénario le plus favorable, A Quaeda garde durablement ses bases en Irak ?

Paul Pillar : Le président Bush présente cela comme si Ossama Ben Laden allait entrer dans Bagdad, s’installer dans l’un des palais de Saddam Hussein, et gouverner un Etat terroriste. Rien de cela n’est possible, même dans le cas du pire scénario. Il est vrai que dans cinq ans, les mêmes gens qui affutent leurs capacités dans la province d’Anbar pourront former les cellules qui essayeront de provoquer un nouveau 11 septembre. Mais cela se déroulera quoique nous fassions. Nous avons le plus de chance de minimiser ces risques en nous retirant. Au moins cela supprimera une cause de l’anti-américanisme que notre présence provoque là bas.

Scheuer : Quoi qu’il advienne à l’heure actuelle, les islamistes auront défaits les deux super-puissances : d’abord les Soviétiques en Afghanistan, et maintenant les USA au coeur de l’Islam. L’impact de cet évènement dans la monde islamique sera énorme. Nous avons fait de Ben Laden un prohète. Son concept d’organisation pour Al Quaeda était : "Les Russes étaient beaucoup plus corriaces que les Américains. Si nous pouvons battre les Russes, nous parviendrons à battre les USA. Plus significatif encore, Al Quaeda disposera d’un territoire contigu à la Péninsule Arabique pour mener ses attaques.

Rollig Stone : Qu’en sera-t-il pour Israel ?

Scheuer : Les néoconservateurs et leur guerre en Irak ont mis Israel dans une situation pire qu’à aucun moment depuis 1967. Nous allons voir de plus en plus de gens tenter de lancer des attaques en Israel, qui ne seront ni Palestiniens ni Libanais. Rien de tout cela ne présage favorablement d’un accord de paix au Moyen Orient.

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Le scénario le plus probable

Nettoyage ethnique et guerre avec l’Iran

Article original en anglais : Rolling Stone :
 http://www.rollingstone.com/politic...

par Tim Dickinson
Mondialisation.ca, Le 12 mars 2007 /
 http://www.mondialisation.ca/

Rolling Stone, Contreinfo.info (version française)
 http://contreinfo.info/

Basta

 http://20six.fr/basta/art/12699747