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Galouzau.... de chez les Helvètes

Publie le jeudi 22 juin 2006 par Open-Publishing

24 Heures (journal suisse)

L’invective, vieille tradition française

DÉRAPAGES
Au Palais Bourbon, l’altercation violente est un rituel bien ancré. Une arme que Dominique de Villepin contrôle mal.

MATHIEU VAN BERCHEM
Publié le 22 juin 2006

COLÈRE Dominique de Villepin a dénoncé mardi en pleine assemblée la « lâcheté » du chef de l’opposition socialiste, François Hollande. Véritable dérapage ou volonté de relancer le bon vieux combat gauche - droite pour faire oublier ses erreurs ? / AFP
Pendant un instant, le temps s’est suspendu au Palais Bourbon. Une demi-seconde de stupeur, un de ces moments d’effarement où chacun rassemble ses forces. Puis la salle a explosé. François Hollande, dont le premier ministre vient de dénoncer la « lâcheté », quitte son siège, suivi par ses collègues socialistes. Avant de sortir de l’hémicycle, les parlementaires outragés s’arrêtent au pied de la tribune pour fustiger Dominique de Villepin, se heurtant aux huissiers protégeant le banc du gouvernement. Sur son perchoir, le président Jean-Louis Debré tente de calmer les esprits, mais rien n’y fait. Le chef du gouvernement a « passé les bornes » et l’Assemblée a renoué, brièvement, avec une de ses vieilles traditions : l’incident de séance, l’invective, le théâtre parlementaire.

Hier, Villepin a « retiré » ses propos de la veille. L’incident est clos. Pour autant, l’événement n’est pas anodin. Le premier ministre, qui était interrogé par Hollande sur la situation inquiétante du groupe aéronautique EADS, est bien sorti de ses gonds. Dérapage contrôlé ? Affaibli, Villepin cherche peut-être à faire oublier ses erreurs en revigorant le bon vieux combat gauche-droite. « Son ton très vif traduit son désarroi, sa difficulté à exister par lui-même, estime Pascal Perrineau, directeur du Centre d’études de la vie politique française. La présidentielle approchant, la bipolarisation bat son plein. »

Jusqu’au duel

Au Palais Bourbon, l’invective est une arme, pas toujours contrôlée. « L’Assemblée n’est pas un lieu neutre. Contrairement au Parlement européen, les débats y sont très passionnés, les manifestations physiques fréquentes », note Marc Abélès. Cet ethnologue, spécialiste des populations Ochollo du sud de l’Ethiopie, a longuement étudié les comportements de la « tribu » du Palais Bourbon*. Un espace qui a ses rituels. La violence verbale, voire physique, profondément ancrée dans le combat gauche-droite, en fait partie. Il n’y a pas si longtemps, rappelle Marc Abélès, on en venait facilement aux mains. Traité d’« imbécile » par un député gaulliste, au début des années 1960, Gaston Defferre le provoque en duel. Son adversaire en sortira légèrement blessé.

Le duel, depuis, s’est transposé dans le débat parlementaire. « En général, les incidents se produisent dans la chaleur de l’échange. Ils sont mieux compris par l’opinion quand ils traduisent une conception du monde », remarque l’ethnologue. Sur l’avortement dans les années 1970, sur le PACS en 1998, les injures fusaient. Mais une partie de la France se reconnaissait dans ce combat. « Il est beaucoup plus rare qu’un premier ministre, sans raison apparente, injurie le chef de l’opposition. »

Villepin a-t-il craqué ? La pression est forte dans l’hémicycle. Le premier ministre, qui n’a jamais été député, ne s’y sent pas tout à fait chez lui. « Si c’était une manœuvre, ce serait misérable, mais ce pourrait être compris. Mais non, il a perdu le contrôle de lui-même », estimait François Hollande après l’incident. L’accusation est grave. Une façon de dire que dans l’hémicycle, tous les coups sont permis, tant que chacun garde son sang-froid.

* Un ethnologue à l’Assemblée, par Marc Abélès. Editions Odile Jacob.