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Gravement malade, Joëlle Aubron est la première membre d’Action directe à être remise en liberté

Publie le mercredi 16 juin 2004 par Open-Publishing

LE MONDE

Considérant que son espérance de vie se compte "en mois", la juridiction de liberté conditionnelle de Douai a suspendu sa peine, lundi 14 juin, pour raisons de santé, après dix-sept années de prison.

Joëlle aubron a seulement eu l’autorisation de téléphoner à ses parents, quelques minutes, de la prison. Juste un coup de fil pour leur annoncer "ce que nous n’espérions même plus entendre", assurent Jean-Noël et Madeleine Aubron : le 16 juin, leur fille, ancienne membre du groupe terroriste Action directe, condamnée à la réclusion à perpétuité, pourra rejoindre la maison familiale de l’Yonne, afin d’y soigner le cancer du cerveau dont elle est atteinte. Au téléphone, Joëlle Aubron n’a rien précisé du contenu de la décision judiciaire qui, lundi 14 juin, a suspendu sa peine pour raisons de santé, comme le permet la loi Kouchner de mars 2002. Mais elle-même sait parfaitement à quoi s’en tenir sur son état.

Après des semaines d’hésitations, officiellement liées au fait que les expertises médicales ne concordaient pas pour déclarer "engagé" le pronostic vital de Joëlle Aubron, la justice n’a laissé aucune ambiguïté. Les magistrats de la juridiction régionale de libération conditionnelle de Douai (Nord) ont lu leur décision à la condamnée et à son avocat, Bernard Ripert, dans la prison de Bapaume (Pas-de-Calais) où elle est incarcérée depuis 1999.

"Attendu que Joëlle Aubron est atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital au terme des expertises réalisées par les docteurs X. et Y., bien que ce dernier ne reprenne pas expressément des conclusions aussi explicites, il ressort clairement de la description de la pathologie cancéreuse de Joëlle Aubron et de la nature des soins qui lui sont portés que le pronostic vital est engagé puisque l’expert expose les conditions d’une évolution inéluctable vers la perte programmée d’autonomie et les limites de l’espérance de vie "dans ce cas, en mois" ; que les deux expertises sont dès lors concordantes ; que Joëlle Aubron doit être prise en charge par sa famille dans des conditions qui n’appellent aucune réserve", la malade, qui fêtera ses 45 ans dans une semaine, est libre. Elle a été placée sous la responsabilité d’un juge de l’application des peines de Sens.

"En somme", a traduit aussitôt son avocat, "ni Joëlle ni moi n’oublions les raisons pour lesquelles elle est libérée : il ne lui reste que quelques mois à vivre." Lundi, le procureur général de la cour d’appel de Douai, Jean-Amédée Lathoud, a indiqué qu’il ne ferait pas appel de la décision. "La juridiction régionale interprète les expertises pour dire qu’elles sont concordantes, je m’incline", a-t-il précisé au Monde. M. Lathoud avait jusqu’alors émis des avis défavorables à la suspension de peine. La décision judiciaire a ainsi été différée à trois reprises, depuis le début du mois de mai. Joëlle Aubron avait pourtant été opérée le 16 mars d’une tumeur au cerveau au CHRU de Lille, puis engagé un traitement qui l’a affaiblie.

L’un de ses amis, Patrick Trèze, qui l’a rencontrée le 6 juin, l’a trouvé "amaigrie et fatiguée, elle qui est d’habitude un zébulon. La chimiothérapie lui ayant fait perdre une grande partie de ses cheveux, elle a choisi de se raser la tête". Elle a cependant refusé que l’administration pénitentiaire la prenne ainsi en photo sous prétexte d’actualiser les multiples dossiers et cartes d’accès de la détention.

"UNE PETITE RÉUNION"

C’est avec cette même administration que vont s’organiser les conditions de sa sortie et surtout de sa médiatisation. Au sein même du gouvernement, on ne cache pas, en effet, la crainte de voir Joëlle Aubron continuer de revendiquer publiquement les actes pour lesquels elle a été condamnée, notamment les assassinats du général René Audran en 1985 et du PDG de Renault, Georges Besse, en 1986. "Les camarades vont aller la chercher à la sortie de la prison", explique de son côté son collectif de soutien "Ne laissons pas faire".

"Elle souhaite une petite réunion, dès mercredi soir, avec quelques-uns de ceux qui l’ont soutenue. Puis elle décidera de ce qu’elle veut faire. Après tout, cela fait près de dix-huit ans que l’on décide à sa place..."

Il est probable qu’elle dira quelques mots, dès sa sortie, en faveur des trois autres responsables d’Action directe arrêtés et condamnés en même temps qu’elle, le 26 février 1987. Ces trois-là sont aussi usés par dix-sept années de détention, dont plus de dix passées à l’isolement. Nathalie Ménigon, 47 ans, voisine de cellule de Joëlle Aubron à Bapaume, est profondément dépressive et atteinte d’une hémiplégie partielle. Elle a vu sa demande de suspension de peine refusée le 9 avril. Georges Cipriani, 53 ans, a sombré dans la démence. Il ne peut bénéficier de la loi Kouchner qui ne prévoit pas de libération pour raisons psychiatriques. Quant à Jean-Marc Rouillan, 51 ans, les médecins de la centrale de Moulins-Yseure (Allier) lui ont d’abord annoncé qu’il avait un cancer du poumon, avant que la médecine hospitalière l’assure du contraire.

En mai, l’administration pénitentiaire l’a transféré à Fleury-Mérogis dans des conditions qui font l’objet d’une enquête administrative. Tous trois arriveront cependant, en février 2005 à la fin de leur peine de sûreté de dix-huit ans et pourront demander une libération conditionnelle. Enfin, Joëlle Aubron devrait appeler à la libération de Régis Schleicher, 42 ans, lui aussi militant d’AD et qui fut son mari. Ce dernier, détenu depuis vingt ans pour le meurtre de deux policiers en 1983, a fait une tentative d’évasion ratée en février, compromettant ainsi sa remise en liberté.

Les organisations qui s’étaient émues de la dégradation de l’état de santé des détenus d’Action directe se sont attachées à souligner combien la mesure dont va bénéficier Joëlle Aubron n’est pas une faveur. "Cette décision est juste", a réagi Henri Malberg, pour le Parti communiste, "et la loi doit s’appliquer à tous les autres détenus malades".

Raphaëlle Bacqué et Nathalie Guibert