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Il est temps de prendre congé du XXe siècle des révolutions (video + LETTRE OUVERTE)
Publie le samedi 1er mai 2010 par Open-Publishingde Erri De Luca
Le XXe siècle a été le siècle des révolutions, la première en Russie en 1905, les dernières en Europe de l’Est après l’effondrement du pacte de Varsovie. Les rapports de force et d’oppression se sont inversés avec les révolutions, en émancipant d’énormes masses humaines dans les années 1900, de l’Asie aux Amériques. C’est ce qui s’est passé à mon époque, j’ai été un militant révolutionnaire dans l’Italie des années 1970, non par caprice de jeunesse, mais par obéissance à l’ordre du jour du monde.
Les derniers révolutionnaires du XXe siècle sont encore en vie. Certains sont devenus des chefs d’Etat et de gouvernement, on joue pour eux les hymnes nationaux. D’autres restent derrière les barreaux, dans des exils sans fin, ou bien dans une liberté désorientée après des dizaines d’années purgées en prison. On devrait protéger ces dernières vies, car elles sont les reliques politiques du siècle des révolutions, le grandiose XXe siècle.
Il faudrait protéger par exemple les vies de Sonja Suder et de Christian Gauger (soupçonnés d’avoir fait partie des "cellules révolutionnaires", une organisation proche de la "bande à Baader"), qui sont sur le point d’être extradés de France et remis aux autorités allemandes. Renvoyer au jour numéro un de leur peine, à la case départ, des révolutionnaires du XXe siècle, accusés de crimes politiques vieux de trente ans ou plus (huit olympiades) : c’est non seulement triste, mais dépassé. C’est réaffirmer que le XXe siècle est encore là, en dépit des myopes qui l’ont vu bref.
Il est temps au contraire de prendre congé du siècle des révolutions, en laissant les miettes de vie des derniers révolutionnaires suivre leur cours, en les délivrant du petit martyre des dernières clôtures. Les polices doivent s’en tenir à des mandats d’arrêt, même largement expirés. Mais il existe la mesure et la sagesse politique pour corriger des distorsions et décider en toute autonomie du temps de fermer et de celui d’ouvrir.
VAINQUEURS ET VAINCUS
Les vies de Sonja Suder et de Christian Gauger doivent être protégées non par clémence, mais par évidence de temps expirés, par droit politique de fermer le cahier de classe du XXe siècle. On cessera ainsi de diviser les révolutionnaires en vainqueurs à recevoir avec des cérémonies officielles, et en vaincus à extrader. Non pas parce qu’ils sont vieux, l’âge, que je partage avec eux, n’est pas une circonstance atténuante. Oui, elle atténue beaucoup de choses, mais pas la responsabilité d’avoir été révolutionnaires au moment nécessaire.
Il est temps de déclarer prescrit le XXe siècle des révolutions, par pure hygiène physique et mentale. Que les noms de Sonja Suder et de Christian Gauger soient consignés dans les archives politiques et non pas dans la chronique judiciaire. C’est une bonne occasion pour établir la suprématie et la souveraineté de la politique sur les vies humaines.
Traduit de l’italien par Danièle Valin
http://www.lemonde.fr/opinions/arti...
LETTRE OUVERTE
ADRESSÉE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
par des gens sans qualités ni titres particuliers
Pour signer la lettre ouverte, envoyez un courriel à
Monsieur le Président de la République
Vous avez affirmé, à propos de l’affaire Polanski : « … Ce n’est pas une bonne administration de la Justice que de se prononcer trente-deux ans après les faits, alors que l’intéressé a aujourd’hui soixante-seize ans » (Le Figaro du 15. 10. 2009). Cet énoncé n’est pas une opinion, vous avez au contraire rappelé-là un principe fondamental du Droit : vous avez évoqué la nécessité impérative de limites temporelles dans l’exercice de la Justice pénale, principe affirmé « en doctrine, en norme et en jurisprudence ». Faute de quoi, une justice se voulant « infinie » reviendrait à une théologie de la vengeance.
Sur l’affaire qui est à l’origine de votre mise au point essentielle, M. le Président, il a été écrit : « il existe un seul argument en faveur de Polanski, mais un argument décisif : le temps... ». Le Droit romain, déjà, considérait que l’écoulement des décennies éteint progressivement le trouble provoqué par l’acte d’origine, « et cela traduit, dans toutes les cultures, un principe plus élevé de civilisation ». Si l’on se tient à ce principe, nul privilège donc, pour quiconque : seulement « un plaidoyer logique, général, égal pour tous ».
Vous conviendrez que l’évoquer dans un cas pour déroger aussitôt à son application dans un autre serait pire encore que de l’ignorer.
Or, M. le Président, au moment même où vous faisiez cette déclaration, deux ressortissants allemands, Sonja Suder et Christian Gauger, respectivement âgées de soixante-seize et soixante-huit ans, se voyaient notifier un décret d’extradition en vertu d’accusations remontant à plus de trente ans, concernant des faits à caractère politique survenus dans le contexte des mouvements sociaux radicaux des années soixante-dix en Allemagne.
En vous écrivant, M. le Président, nous nous sommes interdit de faire valoir comme argument nos affects et nos propres jugements de valeur sur des contextes historiques et sociaux, et a fortiori sur des personnes : nous nous sommes imposé de nous en tenir ici exclusivement à la lettre du droit.
Avec cette décision, qui relève exclusivement de l’Exécutif, l’État dont vous êtes le premier magistrat pourrait à terme livrer à la Justice allemande deux personnes en vue d’un procès qui se déroulerait bien au-delà des « délais raisonnables » requis pour un « procès équitable ». Déjà,
l’extradition de Sonja Suder et Christian Gauger signifierait les livrer à une longue détention préventive, puisqu’en vertu des dispositions en vigueur en Allemagne, ils demeurent toujours des prévenus. Il nous semble par ailleurs important de rappeler que cet homme et cette femme ont déjà pâti de cette « justice qui ne renonce jamais ». En 2001, en effet, la Chambre de l’instruction de la Cour d’Appel de Paris les a déclarés non-extradables puisque l’Allemagne les poursuivait pour des faits prescrits en droit français. Pourtant, en 2009, cette même Chambre les a jugés extradables pour les mêmes faits, sur la base de la Convention de Dublin, tout récemment applicable, selon laquelle les dispositifs de prescription régissant l’extradition sont désormais ceux du Pays requérant. Or, l’application de cette convention au cas de Sonja Suder et Christian Gauger foule aux pieds deux principes essentiels du Droit, « l’autorité de la chose jugée » et le caractère non-rétroactif des textes répressifs lorsqu’ils aggravent la situation des personnes.
Nous ne pouvons penser, Monsieur le Président, que vous n’appliquerez pas pour ces deux personnes le critère que vous avez publiquement défendu. D’autant plus qu’elles justifient pleinement de la « clause humanitaire » prévue par les textes internationaux. Ne serait-ce que pour ces raisons, l’annulation des décrets d’extradition à l’encontre de Sonja Suder et Christian Gauger s’impose.
Il nous semble en outre, Monsieur le Président, que découle également de ce principe de "civilisation juridique", dont la France se réclame, la décision de considérer irrecevable toute requête d’extradition pour des faits remontant à plus d’un quart de siècle.
Voilà, Monsieur le Président, ce que nous voulions vous dire, nous qui sommes inquiets aujourd’hui des menaces qui pèsent sur la vie de Sonia Suder et Christian Gauger. Nous vous remercions de l’attention que vous voudrez porter à notre parole.
Paris, le 5 Novembre 2009
Emmannuelle et Jean-Pierre Bastid, Gilles Berard, Claire Blain-Cramer, François Chouquet, Guido Cuccolo, Claudio Di Giambattista, Aïtor Fernàndez-Pacheco, Claudio Ielmini, Mouloud Kaced, Janie Lacoste, Ezio La Penna, Lucia Martini-Scalzone, Elda Necchi, Isabelle Parion, Claudine Romeo,Luigi Rosati-Elongui, May Sanchez, Oreste Scalzone, Gianni Stefan, Hanlor Tardieu, Jean Michel Alberet…
… pour le réseau StopExtraditions-MaisonsAbris
Cette lettre est ouverte à toute personne voulant la co-signer
Pour signer, envoyer un courriel à : contact@stopextraditions.info
Signatures
Fleur BouscaudJean-Baptiste PaumelleAnne Pister, ParisRiccardo TrullaAndrea BrazzoduroVittoria Oliva, ViterboSedira Boudjemaa-TaharGilles PerrinClaire Perrin de FelicePierre PéraldiElisa SantalenaJacques WajnstejnSilvia Zampa, TorinoUgo Funghi, PadovaGiorgio Riboldi, MilanoMaria Grazia D’Angelo, PescaraSergio Falcone, RomeLuc Baylion"Nosotros incontrolados"Davide Costantino, TrevisoGenevieve CoudraisLucia Silvi, BolognaCécilia Kébaïli, ParisFilippo Maria MarranconiSilvanox PailloteVincenzo moreno, NaplesElisa NovelliSylvia GuzmánGiuseppe Aragno, NapoliLiane Mozère