Accueil > Italie : Ligue, le parti de la justice sommaire

Italie : Ligue, le parti de la justice sommaire

Publie le jeudi 2 février 2006 par Open-Publishing

de ANDREA COLOMBO traduit de l’italien par karl&rosa

Il semble que le pistolero de Vérone soit un adhérent de la Ligue, un vrai, un ancien secrétaire de section, un militant. Des coïncidences, évidemment : la tendance à se faire justice tout seul, sans perdre de temps avec les tribunaux et de l’argent avec les avocats, se répand dans des formes rigoureusement transversales. Mais dans la création de ce climat culturel armé, la Ligue n’a été dépassée par personne. Elle l’a construit année après année, lente et inexorable, jusqu’à l’imposer plus ou moins un peu à tout le monde. Ainsi, au fond, si le justicier de la nuit vénitienne a une carte de la Ligue en poche, peut-être ne s’agit-il pas d’une coïncidence.

Au contraire, le fait que le premier à ouvrir le feu après l’approbation du permis de tuer soit un membre de la Ligue reflète une certaine justice, une sorte de reconnaissance méritée. Certes, les magistrats plaisent bien peu aux enfants de Bossi, y compris au ministre de la Justice, et parfois même leur échappent des accents de la nécessité de garanties, surtout quand ce sont eux ou l’ami d’Arcore [Berlusconi, ndt] qui doivent être garantis. Pour le reste c’est de la plaisanterie. Si on les prenait au sérieux, les premiers à se vexer ce seraient justement eux, ceux de la Ligue. L’âme sincère dont le parti nordique est fier est toujours et pour toujours représentée par les cordes et les pancartes exaltant le lynchage agitées au parlement (avec les ennemis de l’époque du MSI/AN) en 1993.

Répudiées par calcul politique, ces cordes et ces pancartes ne sont jamais sorties du petit cœur de la Ligue. Ils résument entièrement, beaucoup plus que les sottises sécessionnistes ou les fêtes champêtres celtico-padanes, toute la philosophie (pour ainsi dire) qui inspire les gars de la Ligue. Il y a quelques années, quand il siégeait encore à la vice-présidence du Sénat, Roberto Calderoli eut une idée géniale, parfaitement dans la ligne des anciennes invitations au lynchage. Pour résoudre le problème, selon lui déferlant, des viols de femmes blanches perpétrés "par les extracommunautaires" il proposa aux dames d’émasculer quiconque les approchait "avec de mauvaises intentions". Pour que les frais ne soient pas à charge des dames et des demoiselles padanes, il annonça qu’elles recevraient gratuitement dans son cabinet les cisailles nécessaires à la besogne. C’est le même Calderoli qui, devenu ministre, propose quotidiennement de s’attaquer à la question islamique avec une certaine rudesse : "L’Islam modéré n’existe pas", et ceux qui tirent les premiers tirent deux fois.

La suggestion des armes revient elle aussi avec une fréquence remarquable au sein de la Ligue. A le belle époque où Bossi n’était pas encore assoupli par la maladie, il adorait faire savoir que le choix insurrectionnel était toujours proche. A un certain moment, il alla jusqu’à avouer avoir été à deux doigtq, aux années 80, de sombrer dans l’impasse de la lutte armée. Parmi les nombreuses, minables boutades de ce genre, la plus célèbre reste certainement celle consacrée aux magistrats qui enquêtaient sur la Ligue, prononcée justement au milieu du hall de Montecitorio [le parlement italien, ndt] en ’93 : "Qu’ils se rappellent que les balles ne coûtent que quelques lires".

La passion de la Ligue pour la justice sommaire a toujours été chose sérieuse. Pas les tentations insurrectionnelles. Quelques fortes têtes dépourvues de jugement sont arrivées tout au plus à mimer une petite marche avec un tank de carton et ils ont payé leur fanfaronnade de la prison. Les adhérents de base de la Ligue, malgré les illusions de leur chef, sont tout sauf des révolutionnaires. Ils ne prendraient jamais les armes contre le pouvoir, mais pour défendre "leurs affaires", au contraire, oui. Encore plus, à l’ombre d’une belle loi qui leur assure le droit de défendre ces affaires en vidant un chargeur tout entier contre "le voleur". En étant applaudis, nous attestent les sondages, par une large majorité, certes pas toute de droite, qui a salué avec enthousiasme la loi meurtrière. Cela signifie-t-il qu’en Italie, la culture, pas "de gauche" mais simplement "citoyenne", doit désormais compter non seulement avec un "berlusconisme sans Berlusconi" mais aussi et surtout avec une "pratique qui dépasse les frontières de la Ligue" ?

http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...