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Italie : Prodi répond au mécontentement généralisé, "vous n’avez pas compris, vous comprendrez un jour"

Publie le jeudi 21 décembre 2006 par Open-Publishing
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de Rossana Rossanda traduit de l’italien par karl&rosa

Fassino encore pire : « Il est urgent de changer d’allure », c’est-à-dire d’aller plus vite dans la même direction.

Il faut, au contraire, comprendre le mécontentement, et pas seulement, il faut le représenter d’une façon plus simple et pointue, donner plus de voix à ceux qui disent de tous côtés qu’il « manque ceci ou cela », comme il me semble que l’a demandé l’assemblée des états généraux de Il Manifesto.

Ceux qui ont la prétention, ce qui n’est pas peu, de faire un journal doivent évaluer ces protestations, qui ne sont pas toutes du même signe, dans une société qui se perçoit divisée désormais pas tellement par classes mais plutôt par groupes d’intérêt.

Et essayer d’offrir une alternative ou au moins le laboratoire pour la construire. Une chose pas simple du tout. Mais comment pourrait-elle l’être dans une société matériellement et culturellement broyée ? Je veux être claire. Pour moi les réponses ne consistent pas dans le ton plus haut ou plus bas de la dénonciation, mais dans la recherche de ce qu’il faudrait ou qu’on pourrait faire pour mettre un frein à la dérive actuelle.

Aujourd’hui, dans cette situation et dans ce rapport de forces. Je suis une communiste formée dans ce XX siècle que tant de monde veut dépasser. A celles et à ceux qui sont comme moi il ne suffit pas de dégainer des nostalgies ou de donner libre cours à leur mauvaise humeur. Si c’est cela qu’on demande à Il Manifesto, il vaut mieux me laisser dehors. La dérive est là. Le danger était implicite dans une coalition qui se formait plus « contre » que « pour ». Contre le berlusconisme comme dégénération de la démocratie, primauté des intérêts privés et mépris de la loi.

Mais Valentino Parlato a écrit, avec raison, que la force de l’antifascisme avait été de n’être pas seulement « contre » Mussolini mais « pour » une autre Italie. Cela ne voulait pas dire revenir à 1921, mais se repenser en 1943, 1946, 1948. Certes, à l’époque il y avait une poussée mondiale, confuse mais riche, mûrie dans les années Vingt, après 1917, devant la catastrophe du marché en 1929, dans les théories keynésiennes et dans la crise des colonialismes. Aujourd’hui, il n’y a pas cette poussée. Nous avons devant nous des conflits violents et presque aphasiques. Mais ce sont des conflits, rien n’est achevé, tout se débat tumultueusement - ce qui, entre parenthèses, serait la condition idéale pour un journal.

Sur la violence et les contradictions de l’après 1989 et de la globalisation, avec la corrélative tendance aux guerres, le programme du centre-gauche ne s’était pas confronté, il s’en était tenu à une série de mesures décentes auxquelles nous appelons pour protester parce que les Centres de rétention n’ont pas été fermés, où parce que la loi Biagi n’a pas été effacée ou parce que les soldats retirés de l’Afghanistan (qui n’y était même pas nommé). Peut-être la situation était-elle si arriérée qu’on ne pouvait même pas aller au-delà : le centre-gauche l’a emporté de justesse en évitant aussi les obstacles internes.

Le fait que la coalition n’a pas affronté, ni avant ni après sa modeste victoire, les trois priorités internes que Prodi n’avait pas cachées et qui sont maintenant à la base de la loi des finances est plus grave : 1. rentrer dans les limites de la dette-PIB comme le prescrit le pacte de stabilité ; 2. soutenir le système des entreprises ; 3. modifier le fisc sans s’aliéner ni les rentiers ni les classes moyennes. Il s’agissait de trois priorités qui laissaient intact le cadre social et tout à fait dégarnie la dépense publique.

Etait-il impossible de les affronter une fois devenus majorité de gouvernement ? Je ne le crois pas. On devait et on pouvait, sans chantages ni ultimatums, en soulevant le problème avec clarté et en construisant tout autour une masse informée et raisonnante. Même si on avait dû aller à une médiation, la question restait ouverte, plus, grande ouverte. Etait-il utopique de modifier ces priorités ? Non. Sur le pacte de stabilité (que tout pays tend à ne pas respecter) on aurait pu obtenir que la limite déficit-PIB soit atteinte au bout de deux ans : Prodi en était la garantie et le travail des quarante économistes en offrait l’argumentation. On n’a même pas essayé. En ce qui concerne le « soutien de la croissance », on devait ouvrir la question du financement par aspersion aux entreprises, nourries par une foison de lois permettant de contourner tout contrôle tant que personne ne s’enfuit avec la caisse.

La nécessité d’y voir clair - après les désastres Parmalat et similaires à Parmalat - aurait été comprise par tout le monde. Et décider ainsi quelques règles et quelques priorités plutôt que se trouver à gérer l’échec. On a préféré aller aux libéralisations ridicules de Bersani, achevées très vite et sur des catégories mineures. Notre centre-gauche n’a même pas essayé ce qui réussit au centre-droit en France, que cela plaise ou non à la Commission. Tertio, la politique fiscale : on n’a pas eu le courage de taxer durement les hauts revenus, les rentes financières et immobilières, les patrimoines. En en défiant l’hostilité, mais en unissant un autre bloc social. Au contraire, on a mécontenté tout le monde. Même nous, qui les avons soutenues ces priorités différentes. Et ici nous touchons le point douloureux.

Ne serait-ce pas que la base et les sommets aussi de l’ex nouvelle gauche trouvent l’état des choses le seul possible ? En somme, ou bien la révolution ou rien ? Quel est le jugement que nous donnons, au-delà du brouhaha, sur la crise de la politique, sur le détachement des institutions des masses et sur les revendications des uns et des autres ? Il me semble incontestable que le pays est sorti des années 70 et 80 sans plus avoir confiance dans la possibilité de faire progresser l’émancipation et la défense des droits, qui avaient été le sens commun de la gauche à partir des années 40. En 1968 et après, les limites de ce progressisme ont été l’objet d’une critique de gauche enflammée et ponctuelle aussi, je me souviens de nous-mêmes. Mais comment nier que dans la déstabilisation du compromis keynésien l’hégémonie soit passée à droite ? Et qu’elle reste à droite, quoiqu’on raconte de mouvements et de multitudes ? Les premiers se forment, émergent et tombent, les deuxièmes sont plus consuméristes que révolutionnaires. L’optique du monde s’est renversée et ses contradictions aussi.

Allons-nous nous décider à voir la réalité en face ? Que même une hégémonie de droite « crée » un nouveau cadre ? Si nous ne les apercevons pas, les divisions dans notre camp se multiplient, nous sommes incapables d’exprimer et de proposer un projet commun : les écologistes parlent aux écologistes, les métallurgistes aux métallurgistes, les femmes avec les femmes, les précaires même pas avec tous les précaires. Chacun peu intéressé à l’autre. Pourquoi en va-t-il ainsi ? Certes, l’issue des socialismes a désorienté ceux qui croyaient dans une société qui ne soit pas gouvernée par le marché. On le voit aussi dans certaines histoires des alter mondialistes. Quant à la gauche historique, elle ne tend même pas à une social-démocratie, elle aspire au parti démocratique, que certains appellent clintonien.

Il n’y a pas une autre gauche gagnante. Pas seulement en Italie : en Grande Bretagne à la sortie de Tony Blair ne va même pas succéder Ken Livingstone, en France Le Pen avance dans les sondages et si la miniblairiste Ségolène Royal bat Sarkozy ce sera un miracle, en Espagne Zapatero va fort sur les droits civils et très lentement sur les droits sociaux et en Allemagne non seulement Angela Merkel a gagné, mais on n’entend même pas Die Linke. Au niveau européen, s’alternent deux majorités seulement : des droites libérales ou populistes et des centres gauche très modérés.

Si demain Prodi tombe, ce ne sera pas un gouvernement plus radical qui va le remplacer. Au contraire. Il serait raisonnable de dire : « Tenons cette modeste tranchée le temps de donner du souffle à une alternative » Mais en y travaillant. Il n’est pas raisonnable ni de vociférer « à bas Prodi », presque comme si cela avait été un coup d’Etat de l’amener au gouvernement, ni de rester retranchés dans les institutions pour arracher une moitié de PACS, une mi-réforme de la magistrature, une mi-amnistie, un quart de précarité, etcetera. Dans le peu de temps que nous avons devant nous, nous devrions aux moins nous efforcer d’arrêter la logique du marché, faute de quoi la dite société civile se divise en corporatismes.

Sans chantages mais en tâchant de faire masse dans une direction qui ne soit pas antilibérale seulement dans les mots. Si on en était capable, il n’est pas dit que nous gagnerions à tous les coups, mais nous ferions à chaque fois un pas en avant. Au contraire, nous piétinons toujours le même mètre carré, quand nous ne reculons pas. Voilà une démission des idées. Et ne nous faisons pas l’illusion qu’une domination capitaliste autant agressive dans la technologie et dans la séduction consumériste qu’obtuse sur le plan politique, qui aujourd’hui nous met le dos au mur entre des guerres et des grincements, sera abattue par les masses qui insurgent. Nous ne sommes pas en 1968. Nous sommes en 2006, dans un monde déçu et irrité par les espoirs passés pas moins que par un présent gris, alors que refleurissent de vieux nationalismes, des fondamentalismes et des religions.

Cela vaut pour Il Manifesto aussi. Si nous ne vendons pas plus de trente mille exemplaires et sommes sauvés tous les dix ans in extremis par une généreuse armée de fidèles, c’est parce que nous restons une niche frustrée : la somme des protestations, plutôt qu’un sens unifiant et crédible de la protestation, laisse froids les uns par rapport aux autres, des secteurs, des classes, des couches et des groupes d’une société divisée. Ce que nous devrions faire, et on ne le fait pas à quatre pelés et un tondu, serait d’indiquer le chemin qui passe sur l’arête qui sépare la résignation des vociférations.

En commençant par une analyse raisonnée du vivant. Une fois que le plus grand nombre - y compris les mécontents - a fait la fête à la classe ouvrière et vu le peu de crédibilité des multitudes, où est-il, comment se dessine-t-il pour le trop de gauches un bloc social et culturel intéressé au changement ? Et quel changement, toujours en excluant qu’il soit la somme des intérêts en train de se former sous la poussée de la globalisation et de la consommation ? Sur le plan interne et sur celui planétaire ?

Ce sont des interrogations élémentaires qui se posent à nous et elles ne sont pas différents de celles que devraient se poser publiquement Rifondazione et les partis similaires, ainsi que la Fiom. Il est paresseux et inutile de tourner autour.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

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