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Italie et la démocratie directe : un conseil à Grillo...

Publie le mercredi 19 septembre 2007 par Open-Publishing

de Gianluca Bifolchi Traduit de l’italien par Karl&Rosa

Ceux qui offrent des conseils, par le fait même qu’ils suggèrent des actions dont les effets mûriront plus tard, s’engagent dans cette activité risquée qui est la prévision. En mettant de côté ma réticence congénitale envers toute attitude de clairvoyant, je voudrais offrir un conseil à Beppe Grillo : si son projet de promouvoir des listes civiques en en certifiant l’origine par le label Grillo.it (comme on le fait avec les vins, ou avec les bidets marqués ISO 9000) est un test pour une descente plus directe sur le terrain comme challenger politique de haut profil, qui accepte le défi des urnes, qu’il laisse tomber.

Il s’agirait d’un suicide.

Déjà, je voudrais ouvrir une parenthèse sur les listes civiques. Les polémiques à propos de l’inclusion de Farina (journaliste d’un quotidien de droite, suspendu par l’Ordre des Journalistes après qu’on a cécouvert qu’il espionnait ses confrères pour le compte des Services secrets, NdT) dans les nouvelles listes de proscription de Grillo a suscité de telles polémiques sur le web qu’il est invraisemblable que quelques échos n’en soient pas arrivés jusqu’à lui. Il aurait pu prendre la parole pour rectifier, pour ajuster le tir, mais au contraire il a dit que la composition des listes civiques se fera, le certificat du casier judiciaire à la main. Qu’ils décampent les Farina ! Et cela me semble rendre justice à ceux – y compris moi – qui avaient essayé de voir dans la dérive justicialiste de Grillo une bévue dictée par l’inexpérience et par un certain degré de naïveté politique destiné à être réabsorbé avec le temps. Grillo est quelqu’un qui sait ce qu’il dit, aucune naîveté.

Mais justement parce qu’il sait ce qu’il dit, j’essayerai de prendre à la lettre aussi son affirmation de vouloir « détruire les partis », un programme que je trouve, contrairement aux froncements de nez de Daniele Luttazzi et à son orthodoxie libérale, extrêmement intéressant et prometteur, à la condition que Grillo ne veuille pas dire : « et nous les remplacerons par ceux portant le logo « Grillo.it ».

Quand je pense que la somme de mes opinions politiques, extrêmement complexes et changeant avec le temps, trouve son moment d’expression dans une misérable cabine en contreplaqué, dans laquelle on me demande de tracer deux signes au crayon croisés sur un bout de papier et de me repointer dans cinq ans, je me sens grotesquement arnaqué. On présume qu’un certain monsieur, avec lequel peut-être je n’ai jamais parlé de ma vie, fort de mon gribouillage et de celui de tant d’autres, aura la tâche de me « représenter », même si cela n’implique aucune espèce de lien obligé entre ma façon de penser et son comportement concret dans l’assemblée dont il est un membre. En fait, il pourrait même fait des choses contraires à mes avis et peu correspondantes aux engagements assumés dans sa campagne électorale, en me laissant comme unique défense la possibilité de faire dans cinq ans mon gribouillage sur un autre endroit du bulletin électoral. Entre temps patience, il ne s’agit que de cinq ans. Que sont au fond cinq ans dans la vie d’un être humain ?

On a observé à juste titre que la campagne contre « la caste » ouverte par Gian Antonio Stella sur un journal qui est le fléau des riches et des puissants comme le Corriere della Sera, n’est pas arrivée jusqu’ici à dévoiler les privilèges de la caste du pouvoir économique et financier. Je voudrais ajouter que Stella et ses épigones se gardent bien aussi de suggérer cette extension des pouvoirs de contrôle et d’intervention directes du citoyen sur la chose publique qui rendraient au moins improbable, si non carrément impossible, la consolidation de privilèges de caste. Raccourcir la distance qu’il y a entre les représentants et les représentés serait un beau pas en avant et, au contraire, les fustigateurs de la caste sont souvent les paladins de réformes électorales qui, pour vouloir garantir la « gouvernabilité » et réduire le « pouvoir de chantage » des petits partis, rendraient volontiers l’orientation de vote du citoyen singulier encore plus évanescente et facile à éluder. J’espère qu’il n’y a aucun doute sur les risques que des campagnes comme celles contre la caste visent en réalité le raidissement dans un sens encore plus élitaire du pouvoir politique.

Mais en absence de formes de démocratie plus directe, où les oui et les non du citoyen sont en même temps plus articulés et plus contraignants pour les pouvoirs publics, les instances de renouvellement dont Grillo est porteur peuvent être exclues et rendues inoffensives assez facilement. Le jour du vote l’électeur verra dans son bulletin électoral un entonnoir par lequel faire passer un nombre d’instances de beaucoup supérieur à celles qui l’ont amené à nourrir de la sympathie pour Beppe Grillo, de la politique étrangère à l’environnement, de la lutte à la criminalité à l’une ou l’autre poussée corporatiste dont le citoyen n’est certainement pas exempt. Qu’il suffise de penser au bruit de la campagne électorale qui vient de s’achever et à la multiplicité de messages véhiculés par elle. Voila la raison pour laquelle des sondages d’opinion émergent des orientations généralement moins conformistes que celles sortant effectivement des urnes, où le système, d’une façon ou d’une autre, arrive toujours à se reproduire et à minimiser l’effet des poussées centrifuges. Les citoyens ne choisissent pas en faveur du renouvellement parce qu’il n’y a rien à choisir, à cause des instruments qu’on leur donne.

Comme Grillo a montré dans le passé de l’intérêt envers les mouvements No Tav, on pourrait s’attendre à ce qu’il ait appris quelques leçons des maires du Val de Suse, dont l’autorité ne dépendait pas du fait de porter une écharpe tricolore, mais de celui d’avoir accepté de coordonner leur action avec des formes de démocratie directe où les gens se sont montré plus mûrs politiquement qu’on ne le décrit généralement. Au moins si nous n’écoutons pas les commentateurs mercenaires soutenant la Turin-Lyon et son sous-bois de sombres affaires.

Si Grillo veut vraiment « détruire les partis » et extirper ce « cancer de la démocratie » il a ma bénédiction, mais qu’il s’attaque alors directement au thème de la démocratie directe, en en mettant en discussion les règles et non pas en présentant une nouvelle équipe de « représentants » du peuple qui ne seraient mieux que les autres que parce qu’ils peuvent exhiber un certificat de casier judiciaire vierge. Qu’il arrête de renforcer l’idée que le système actuel des partis est une « déviation » ou une « pathologie », dont il est sûr d’avoir le remède et qu’il commence plutôt à se rendre compte que c’est l’expression tout à fait orthodoxe des rapports de pouvoir latents codifiés dans l’aménagement institutionnel actuel.

Du travail à faire à la maison pour Grillo : quel genre de démocratie participative faudrait-il créer pour faire en sorte que le rapport entre les maires et les citoyens du Val de Suse cesse d’être un fait occasionnel et improvisé et devienne un modèle inspirant la vie institutionnelle normale des communautés locales ? Si son blog n’est pas investi par des discussions comme celle-ci, son mouvement cessera d’avoir, au moins pour moi, un intérêt quelconque.

http://www.bellaciao.org/it/article.php3?id_article=17328