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Italie : grève à l’abattoir qui dépèce les droits

Publie le mercredi 28 juin 2006 par Open-Publishing

Des Chinois et des Africains en grève à l’Unipeg (Ligue des Coopératives). Ils dépècent et il coupent. Mais ils sont payés comme des porteurs. Ce sont des travailleurs de deuxième zone de la filière des viandes, où l’externalisation a atteint 50%

de Manuela Cartosio, Reggio Emilia Traduit de l’italien par karl&rosa

Une cinquantaine de Chinois en grève. Le drapeau rouge à la main. Dans un abattoir du vaste et puissant archipel coopératif émilien. En voilà une nouvelle ! Le rouge et les grèves ne sont pas d’un grand attrait pour les Chinois. Et faire grève contre les coopératives à Reggio Emilia est quasiment un sacrilège.

C’est arrivé lundi à l’abattoir de l’Unipeg, premier groupe coopératif dans le secteur viandes bovines, deuxième derrière le big privé Cremonini. Tous les 70 travailleurs (associés de nom, salariés de facto) de la coopérative Real, qui travaille en sous-traitance à l’intérieur de l’abattoir Unipeg, ont fait grève. Des Chinois (dont une vingtaine sont des femmes), des Sénégalais, des Ghanéens, des Marocains.

Encadrés et payés en tant que porteurs, même s’ils "travaillent avec le couteau", ils coupent et ils dépècent "la bête".

Une grève "surprise" pour les dirigeants de la Real et de l’Unipeg. Préparée depuis des mois par la Flai-CGIL et la Fai-CISL. "Une année sur les montagnes russes, entre des hauts et des bas, des rencontres même le dimanche pour conquérir la confiance des travailleurs", résume Luigi Giove, secrétaire de la Flai [Fédération des Travailleurs de l’agro-alimentaire, NdT] de Reggio Emilia. Le premier objectif, l’accord de la Real pour ouvrir un différend au niveau de l’entreprise, a été atteint. Pour obtenir des conditions de travail "normales" : l’application du contrat national de l’alimentation ; la couverture salariale des périodes de maladie, d’accident de travail et de maternité, les congés, la treizième et la quatorzième mensualité, l’indemnité de fin rapport. Des choses "banales" pour ceux qui travaillent dans l’entreprise mère, refusées à ceux qui travaillent dans les fausses coopératives, inventées exprès pour contenir le coût du travail.

Un mécanisme ultra connu dans les secteurs du nettoyage, des transports et de la logistique, du tourisme. Rares sont ceux qui savent, au contraire, que ces 15 dernières années les externalisations ont broyé la filière des viandes. « Nous en sommes désormais à une moyenne de fifty-fifty », selon Ivano Gualerzi, le secrétaire régional de la Flai. La moitié du cycle et des personnes qui travaillent dans un abattoir sont « en sous-traitance ». Le cas limite est l’abattoir Cremonini d’Ospitaletto Lodigiano, « totalement en sous-traitance ». Les entrepreneurs privés et la Ligue des coopératives ont choisi le même modèle, ils rivalisent dans les externalisations en appelant cela compétitivité. « Avec tout mon respect pour les coopératives », dit Gualerzi « cela ne peut pas continuer ainsi ». Ce système, outre qu’il rabaisse les salaires et nie les droits « maintenant », a des effets d’entraînement « à venir ». Des formes malignes d’évasion des cotisations écourtent les retraites futures. Une de ces formes, très en vogue dans les abattoirs, s’appelle « mission Italie » : 500 euros dans la fiche de paye pour quelqu’un qui éventuellement habite en face et pour lequel on ne cotise pas.

La grève à la Real, affirme Giove, détruit les lieux communs, utilisés comme des alibis pour ne rien changer. « Ce sont les travailleurs, en tant qu’associés de leur propre coopérative, qui acceptent la précarité », dit-on. « Ce sont eux qui veulent troquer quelques droits en moins avec quelques sous nets de plus dans la fiche de paye », ajoute-t-on. C’est le contraire qui est vrai : les deux choses sont « subies » par les travailleurs. L’adhésion totale à la grève signale qu’ils veulent s’en libérer. Jusqu’à lundi, les 130 salariés directs de l’Unipeg de Reggio Emilia ont regardé les 120 des coopératives en sous-traitance avec un mélange d’indifférence et d’hostilité. C’étaient ceux qui les remplaçaient quand ils faisaient grève. Lundi, aucun des « garantis » n’a travaillé à la place des 70 en grève de la Real. « Il y a la conscience que la présence dans le même abattoir de travailleurs de deuxième zone attaque aussi les conditions de ceux de première », soutient Giove, « si dans l’atelier à côté du tien il y a des gens qui travaillent 12 heures de suite, tôt ou tard il te demanderont aussi d’en faire autant ». Maintenant il est plus facile pour le syndicat de faire comprendre que « nous sommes tous en train de jouer le même match ».

Dans la série « l’imagination ne connaît pas de limites », Giove nous signale ce qui est en train de se passer dans un autre abattoir de la province de Reggio Emilia : « Des travailleurs, associés d’une Société à responsabilité limitée, qui ne perçoivent pas leur salaire mais des acomptes sur les bénéfices futurs ». S’il n’y a pas de bénéfices, il n’y a pas de salaires. Et un comptable suffit pour maquiller les comptes. Il y a toujours « quelqu’un qui fait pire », Cremonini le dit de la Ligue Coop, qui le dit à son tour de Cremonini. Parfois ils se mettent ensemble pour frapper des micro entreprises. Le syndicat doit commencer quelque part, dit le secrétaire de la Flai de Reggio, « à la Unipeg nous avons commencé par les travailleurs, ils ont adhéré au syndicat, ce sont eux qui ont décidé de faire grève ». Dans la province de Modène, au contraire, pour ramener la normalité et l’égalité dans la filière des viandes, les syndicats des salariés de l’alimentation essayent la voie du différend territorial. Une plateforme à présenter à la Confindustria [équivalent, en Italie, du MEDEF, NdT], à la Ligue des Coopératives et aux autonomies locales (par ici, il parait plutôt difficile de faire un distinguo entre la deuxième et la troisième).

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/21-Giugno-2006/art52.htm