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Italie : il faut une loi courageuse sur l’immigration

Publie le samedi 10 mars 2007 par Open-Publishing

de Alessandro Del Lago

Il est difficile de prévoir combien ce gouvernement va durer. Mais son existence précaire et variable est liée à l’alliance de facto d’une grande partie des forces politiques en fonction anti-berlusconienne. Une alliance modérée, donc, centriste, à laquelle les forces dites de la gauche radicale sont attachées pour ne pas devenir les boucs émissaires d’une crise dans le noir.

C’est pourquoi il est sûr que le résultat tangible du récent sursaut sera le refinancement de la mission en Afghanistan (où la situation est en train de dégénérer jour après jour), et l’enterrement des Dico [Droits des personnes vivant en couple, NdT] (même si l’opinion publique, beaucoup moins conservatrice que ses représentants, semble favorable).

Mais le domaine où les attentes préélectorales seront probablement le plus déçues est celui des droits des étrangers : révision de la loi Bossi-Fini, droit d’asile, Centres de permanence temporaire. Comme les déclarations du ministre Amato l’avaient déjà indiqué, dans ce domaine le gouvernement actuel semble, plus que prudent, totalement aligné sur les gouvernements qui l’ont précédé.

En effet, l’enjeu n’est pas tellement une position progressiste contre une conservatrice, mais plutôt une culture commune couvrant une grande partie des forces parlementaires. Une culture qui est, au-delà de tout, cohérente avec les directives et les dispositions des organismes européens. Sur le droit d’asile, l’Italie est peut-être le pays le plus fermé de tous, mais pour le reste elle se conforme à la stratégie européenne. Voyons-en les aspects principaux.

L’immigration n’est pas un droit des migrants, mais une ressource des pays d’immigration. Les exigences du marché du travail (en grande partie souterrain, comme en Espagne, en Grèce ou en Italie, ou marginal et de toute façon indispensable, comme dans les économies les plus développées) sont prioritaires. Que viennent donc des gardes-malade, des manœuvres, des ouvriers etc., mais seulement à condition que leur présence soit réglée, contrôlée et de toute façon peu visible.

L’immigration est un problème de sécurité. Il ne s’agit pas tellement du risque d’infiltrations terroristes (un risque qui est, en tout cas, très présent dans les rapports des services secrets, non seulement italiens), mais plutôt de la thèse inébranlable selon laquelle les étrangers menacent potentiellement la solidité de la communauté sociale. La thèse est déclinée en une multiplicité de lieux communs, d’extrême droite (la « pureté » ethnique ou culturelle), de centre (« immigration égale insécurité ») et même, parfois et heureusement dans une mesure marginale, de gauche (l’immigration contribue à la dégradation de la culture du travail).

Les clandestins menacent les prérogatives de la souveraineté des Etats et donc les Centres de permanence temporaire ne peuvent pas être fermés. Ils peuvent à la limite être rendus plus efficaces, mieux surveillés et moins « inhumains », mais ils restent indispensables pour filtrer et expulser des personnes indésirables. C’est l’avis dominant en Europe et il correspond en tout et pour tout à celui du ministre de l’Intérieur actuel. Mon impression est que quatre cinquièmes du parlement, si ce n’est pas plus, y souscriraient.

La stratégie pour s’attaquer à la question migratoire, outre que répressive, est culturelle, et non juridico-politique. Il s’agit de l’aspect le moins évident et le plus ambigu, mais cela vaut la peine d’y consacrer quelques mots. Pour commencer, les migrants n’ont jamais été considérés comme des sujets porteurs de droits (actuels ou potentiels), mais comme des êtres qui ont besoin de culture et surtout homogènes à leur propre culture. Ce n’est qu’ en intégrant leur culture à la nôtre que nous allons limiter les dégâts provoqués par leur présence. Apparemment, cette position « multiculturelle » est contraire aux positions xénophobes (selon lesquelles les « cultures » des migrants polluent la nôtre). Mais elles ont en commun le fait que le migrant n’est pas un sujet autonome et surtout égal à nous, les personnes qui le reçoivent. D’où le refus – hélas, en ce cas aussi, très répandu – de considérer l’étranger comme un citoyen. Menace et hôte toléré dans la plupart des cas, sujet juridico-politique jamais.

Je répète, les directives de la stratégie en matière d’immigration sont européennes (depuis Schengen). Il n’y a donc pas à se faire l’illusion que notre gouvernement – mises à part les considérations dues aux alliances citées au début– adopte une position autonome. Il suffit d’ailleurs de voir comment l’ « indulgent » Zapatero a agi à Ceuta et à Melilla pour comprendre qu’il n’y a pas de politique progressiste sur les questions migratoires en Europe. L’agence pour le contrôle des frontières Frontex et la surveillance conjointe en Méditerranée et dans l’Atlantique (de facto des initiatives du genre de celles de l’OTAN) expliquent suffisamment la stratégie européenne. Dans ce domaine l’Italie est autonome de l’Europe autant qu’elle l’a été des USA sur la base de Vicence et qu’elle l’est aujourd’hui en Afghanistan.

Si ce qui précède a un sens, quelques conséquences en découlent, spécialement pour les forces engagées contre les Centres de permanence temporaire et pour les droits des migrants. La première est sûrement qu’une stratégie exclusivement nationale dans ce domaine ne paye pas. Malheureusement, le déclin évident du mouvement anti-globalisation ne donne pas beaucoup d’espoir. Et pourtant, un fort redémarrage trans-national (au moins en termes de communication, de diffusion et de sensibilisation) semble être la seule condition pour rouvrir le discours sur les droits globaux, au moins en Europe. Ce qui veut dire aussi surveiller le système des contrôles que l’Europe a confié en sous-traitance au pays côtiers de la rive sud de la Méditerranée et de l’Afrique occidentale. Aujourd’hui, la répression du droit de migration commence dans les déserts et dans les eaux des Canaries, de Gibraltar et du canal de Sicile.

La deuxième condition a à faire avec le chèque en blanc que certains ont signé au gouvernement actuel, peut-être dans l’illusion que la présence de forces radicales aurait donné une impulsion à un changement réel de stratégie. La déception me semble évidente. Que sont devenus les présidents de régions contraires aux Centres de permanence temporaire ? Il ne s’agit pas ici de faire des proclamations génériques ni d’invoquer des sécessions parlementaires, mais de réfléchir sur l’adaptation inévitable à la « réalité » que toute alliance gouvernementale impose aux minorités de gauche.
Il sera peut-être banal de répéter que ce n’est que la force des mouvements qui arrête ou modifie les stratégies politiques modérées. Il est moins banal de rappeler qu’une telle force se disperse inévitablement quand elle nourrit ce que Foucault aurait appelé la « gouvernementalité ». Peut-être coonvient-il de commencer à se demander si, surtout en matière de droits fondamentaux, l’autonomie vis-à-vis des gouvernements ne serait pas plus productive que la participation.

 http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

Traduit de l’italien par karl&rosa