Accueil > Italie : leadership épuisé ? Oui, mais...

de Piero Sansonetti traduit de l’italien par Karl&rosa
Ce résultat électoral envoie de nombreux signaux à la politique italienne. Il y aura du temps pour essayer de tous les identifier, pour les interpréter. En attendant, on peut dire une chose - d’énorme importance - avec certitude : un cycle est achevé. Le cycle dominé par le leadership de Silvio Berlusconi. Mais attention à ne pas simplifier : dire que ce cycle est achevé ne signifie ni donner comme certaine la victoire du centre-gauche aux prochaines élections législatives (d’ici un an), ni, encore moins, considérer comme définitivement enterré le "berlusconisme", c’est-à-dire la doctrine politique, économique et même ce "style d’existence" qui ont conditionné la vie civile de notre pays une décennie durant.
Essayons de comprendre mieux les choses et pourquoi il est possible de distinguer entre Berlusconi et la droite et entre Berlusconi et le berlusconisme. Le leadership de Silvio Berlusconi en est arrivé à son terminus et de cela les alliés de la "Casa delle libertà" (le rassemblement gouvernemental, NdT) sont parfaitement conscients. Il n’a plus de prise, ni de charisme. C’est-à-dire qu’il n’arrive pas à parler directement au pays, à être cru, à le convaincre, comme il l’a fait pendant toutes ces années. Cette nouveauté est de la plus grande importance. Pour la simple raison que le leadership de Silvio Berlusconi et ses méthodes politiques ont eu, à partir de 1994, une influence gigantesque sur toute la politique italienne. Berlusconi a été le pilier autour duquel a été reconstruite la droite, et sa figure - et son charme - ont aussi pesé sur le débat et dans les mutations politiques dans le centre-gauche. La démocratie majoritaire, liée au leader et populiste de cette décennie, la transformation personnaliste de la vieille politique des partis, sont tous des effets de l’action et de la pensée de Berlusconi.
Ce grand rôle de Berlusconi dans la politique italienne est épuisé, pour de nombreuses raisons dont nous parlerons une autre fois. Examinons pour l’instant les conséquences de cet épuisement. Naturellement, pour la droite s’ouvre un problème énorme, si l’on considère que jusqu’à aujourd’hui son équilibre et toute son activité politique se sont basés sur la force propulsive du leader. La fin du leader éteint le moteur unique de la droite et cela profile le risque d’un désastre. Les partis de la "Casa delle Libertà" doivent prendre des mesures urgentes, c’est-à-dire qu’ils doivent imaginer une alliance qui ne se base plus seulement sur la force d’un leader indiscuté mais sur un ensemble dialectique et dynamique de lignes politiques, d’idées, et sur un certain nombre de leaders influents qui les interprètent. Une entreprise ardue, parce que les présupposés manquent, car la leadership de Berlusconi a empêché jusqu’ici la naissance d’une dialectique politique profitable et la construction d’une classe dirigeante. Mais la droite n’a pas d’autres chemins. Si elle veut s’en sortir, elle doit marcher dans cette direction, en escomptant aussi, éventuellement, une période plus ou moins longue d’opposition. Cela n’implique pas automatiquement qu’aux élections de 2006 le candidat premier ministre ne soit pas Berlusconi. On peut décider qu’il convient de le garder en selle, mais en sachant qu’il n’aura même plus la moitié du pouvoir absolu qu’il avait auparavant.
Si la droite sait développer adroitement cette opération de dépassement du leadership, elle aura quelques chances de ne pas perdre les élections de 2006.
Mais la question la plus grande est une autre. Et elle est dans cette demande paradoxale : est-t-il possible que le berlusconisme survive à son inventeur ?
Oui, c’est une possibilité concrète et même pas si petite. Le berlusconisme - réduit à l’os et avec quelques simplifications - est l’idée qu’une société dynamique et moderne doit être basée sur trois choses : l’individualisme, l’efficacité et le gain. Parce qu’elle trouve sa force dans l’individu et pas dans la communauté (et il n’existe pas de culte de l’individu sans individualisme), parce que son impératif moral est de croître (et il n’existe pas de croissance sans efficacité), et parce que son carburant est l’argent (et l’argent se multiplie et ne fonctionne que si chacun fait du gain sa religion). Cette idée - le berlusconisme - a fasciné une grande partie de la société italienne les années passées et l’a convaincue à voter Berlusconi. Beaucoup ont compris ensuite que les promesses de Berlusconi ne seraient pas tenues. C’est-à-dire que Berlusconi n’était pas en mesure de garantir le berlusconisme. Maintenant le problème de la gauche est de convaincre ces personnes que le défaut n’était pas dans Berlusconi mais dans sa philosophie, dans son projet de société et de compétition : parce que le berlusconisme est le suicide d’une communauté. Et donc le problème principal n’est pas celui de se libérer de Berlusconi pour sauver sa philosophie. Le problème est de se libérer de sa philosophie. Comment ? Par un projet de société différent. C’est la tâche de la gauche. Elle a une année devant elle.