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Italie : nous avons un rêve...

Publie le jeudi 26 mai 2005 par Open-Publishing

de Ida Sconzo traduit de l’italien par karl&rosa

Vous souvenez-vous du discours historique de Martin Luther King qui débutait par "J’ai un rêve..." ?

Beaucoup d’Italiens ont un rêve. C’est un vieux rêve. Un rêve qui ne s’est jamais réalisé.

Sans trop chercher en arrière dans nos chers et vieux rêves, nous pensons aux pères de notre Constitution. Que pensaient-ils tandis qu’ils étudiaient les principes fondamentaux à laisser en héritage aux générations futures ?

Après la répugnante guerre et la lutte armée pour la libération, où des adolescents, des intellectuels, des ouvriers, des jeunes filles, des mères et des pères de famille, avaient sacrifié leurs vies au nom de la liberté ?

Pour sûr, ils avaient un rêve : un Pays moderne et démocratique, une République fondée sur le travail où chaque citoyen a les mêmes droits.

Une Nation qui répudie la guerre, dans laquelle il y a liberté d’expression, le droit à l’éducation. Ils avaient un "rêve".

Si nous observons le scénario d’aujourd’hui, d’un regard objectif, nous devons admettre que nous sommes encore en train de dormir. Des millions de chômeurs, des précaires dans tous les métiers et dans toutes les professions. Des milliers d’étudiants qui font des sacrifices énormes pour arriver à décrocher un bac, une minorité exiguë qui arrive au diplôme.

Un "rêve" qui depuis soixante ans se heurte à la réalité. Bien sûr, le "rêve" n’est pas partagé par tous les Italiens. Pourquoi ? Peut-être parce qu’une minorité peut dire
qu’elle "va bien". Ceux qui n’ont pas de problèmes de travail, ceux qui ont hérité. Une certaine partie d’intellectuels "à succès" qui est arrivée à s’imposer grâce à l’ignorance de la plupart et à une politique qui "ménage la chèvre et le chou", si chère à notre pays. Un rêve que ne partagent pas ceux qui signent des contrats millionnaires pour courir après un ballon ou pour faire les imbéciles à la télé. Ils peuvent envoyer leurs enfants à l’étranger, dans les universités les plus prestigieuses, ils n’ont pas la peur d’une vieillesse sans retraite, ils dépensent allègrement en vêtements griffés, croisières et voyages exotiques. Un rêve que ne partagent pas tant de malins qui, à l’heure de l’euro, ont doublé les prix, " nous sommes en Italie, enfin".

Eh oui, cela nous paraît impossible à nous, pauvres et communs mortels, mais cela est vrai : les Italiens qui ne doivent pas compter pour faire les courses tous les jours existent aussi. Ils n’ont pas de rêves, il peuvent aller chez le dentiste, acheter une voiture, s’habiller bien, vivre dans des logements confortables et luxueux, aller au théâtre, organiser des dîners.

Le rêve des "autres" Italiens est étrange : pensez donc, ils rêvent de pouvoir survivre, dans les quartiers populaires de Naples, Rome, Catane, Milan. Ils rêvent de pouvoir manger et de s’habiller même en achetant sur les marchés. Ils rêvent d’un travail normal et d’un salaire normal, qui suffise pour un mois entier. Ils rêvent de pouvoir s’occuper dignement leurs enfants.

Ce rêve est sans cesse brisé et se transforme en un cauchemar, parce que sa réalisation dépend des choix politiques de notre classe dirigeante. Mais que se passe-t-il en Italie ? Il y a quelqu’un qui fait semblant, qui rêve, les yeux ouverts, qu’il a créé des millions d’emplois, tandis que son patrimoine personnel s’accroit et est supérieur aux PIB de tant de petits Etats africains.

Le rêve de la majorité des Italiens n’intéresse pas à d’autres Italiens. D’un côté comme de l’autre, nombre de personnes sont engagées à maintenir vaillamment la position acquise. Chacun veut être le leader de quelqu’un, secrétaire ou président de quelque chose. Chacun a peur que l’autre lui enlève son fauteuil, a peur de sortir un jour et de ne pas trouver la petite armée de journalistes prêts à lui arracher une interview.

Chacun de ces personnages voudrait nous démontrer à nous, pauvres et communs mortels, quand nous sommes assis devant la télé, qu’il fait tout cela dans notre intérêt. Qu’il se porte candidat et se sacrifie pour nous. Qu’il veut s’engager pour nous donner un logement, un travail, un salaire équitable, le droit de faire des études, une voiture, des vêtements, la vie.

Et nous, pauvres et communs mortels, qui avons un rêve... nous devrions le croire. Le retraité qui, à Milan, va récupérer dans la poubelle les fruits et les légumes que les vendeurs ambulants ont laissés devrait le croire. Le médecin, chirurgien oncologue, précaire depuis vingt ans et plus, qui tous les jours, dans son bloc opératoire, sauve des vies, pauvres et communes, en échange d’un contrat temporaire devrait le croire. L’étudiant qui n’arrive pas à suivre ses cours et fait mille petits boulots, en changeant d’agence intérimaire tous les trois mois, devrait le croire. L’ouvrier du bâtiment qui travaille au noir, sur des chantiers peu sûrs, qui après un accident est viré devrait le croire. Nous devrions être nombreux à le croire. Mais le croyons-nous ?

Maintenant Rutelli (le leader de la composante démocrate chrétienne de l’Olivier, NdT) veut faire le beau et cette fois - dit D’Alema (président de la composante social-démocrate de l’Olivier, NdT) - on ne pourra pas rejeter la responsabilité sur Fausto Bertinotti (secrétaire de Refondation communiste, NdT).

Prodi, de la Chine, dit que c’est un suicide, que le Pays a besoin d’un virage, d’un grand coup de fouet d’énergie... L’Italie est un pays sans mémoire, Montanelli (journaliste conservateur très connu, récemment décédé, NdT) le disait et c’est vrai. Notre devise nationale est :

Aujourd’hui nous sommes tous amis, tous unis, tous engagés dans l’intérêt du Pays. Nous sommes frères, nous portons le drapeau ! Nous allons voter Rutelli ! Nous regardons sa femme chez Vespa (animateur d’une émission grand public, conservateur, NdT). Nous sommes tous des camarades. Vive la Margherita (le parti de Rutelli, NdT) !

Demain est un autre jour, on verra...

La "Fabbrica" (laboratoire politique pour la préparation du nouveau programme du rassemblement de centre gauche, NdT) a été occupée. Ils l’ont rebaptisée "La fabrique des précaires". Messieurs, il faut de l’énergie - dit Prodi.

En Italie, il y a de l’énergie. Mais elle n’est pas dans cette classe politique. Elle n’est pas dans ces personnes. Ils ont peur de ne plus pouvoir aller chez Vespa et à Ballaro’ (émission télé d’information politique, NdT). En Italie tout le monde a peur : ils ont peur des jeunes avocats et les recalent à l’examen d’avoué. Ils ont peur des bons médecins, sans quoi les mandarins... Ils ont peur des vrais journalistes et ne les embauchent jamais. Ils ont peur des jeunes chercheurs et les laissent partir. Ils ont peur des ouvriers et les laissent mourir sur les chantiers.

Ils ont peur des étudiants qui n’ont pas de cholestérol dans leurs artères...

Ils ont barricadé leur porte. Se sont-ils enfermés ? Nous ont-ils mis dehors ?

http://bellaciao.org/it/article.php3?id_article=8742