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Jacques Le Goff : "La révolte d’une génération qui n’a plus d’avenir, les fautes du gouvernement sont énormes"

Publie le jeudi 10 novembre 2005 par Open-Publishing
5 commentaires

de Pietro Del Re

"Plus qu’aux mouvements étudiants de 68, la violences des jeunes des banlieues me fait penser à la révolte des Ciompi où, dans la Florence du 14ème siècle, les travailleurs du textile s’opposaient à la bourgeoisie "comme l’affirme Jacques Le Goff, grand médiéviste, écrivain raffiné et expert connaisseur de l’histoire d’Italie. "Me reviennent à l’esprit aussi les émeutes des chartistes, pendant les premiers mouvements ouvriers dans une Angleterre qui venait d’être industrialisée".

La conversation de Le Goff embrasse les jacqueries et les répressions sanglantes, les insurrections et les têtes coupées. Mais après le célèbre spécialiste commence à tirer à boulets rouges sur l’Etat français et sur les fautes de son plus haut représentant, le Président Jacques Chirac, qu’il définit comme une "nullité politique". "Ce n’est pas le gouvernement de droite qui a crée cette situation, mais c’est lui qui l’a aggravée".

Professeur Le Goff, comment est-on arrivé à cette crise ?
 " C’est une situation latente qui couvait sous la cendre depuis plusieurs années. Pourquoi elle a explosé maintenant ? A cause de dramatiques conditions économiques, sociales et culturelles de ces jeunes qui ne sont absolument pas intégrés et qui n’ont pas d’avenir "

Mais c’est quoi qui a déclenché le chaos ?
 " Voyez, il n’est pas exact de soutenir que la police française est complètement raciste, mais on ne peut pas nier que parmi ses forces il y a un certain nombre d’hommes racistes et violents. Il y a quelques jours deux jeunes banlieusard sont mort pendant les affrontements : le rôle de la police dans cet accident est resté obscur. Ensuite il y a eu les déclarations du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui a traité ces jeunes de racaille. Ce dernier événement a modifié l’état d’âme des révoltés, qui maintenant se sentent abandonné et en plus méprisés ".

Vous suggérez quelles solutions pour revenir au calme ?
 " En premier lieu il faudrait trouver un travail aux chômeurs pour les intégrer dans la société qu’ils voudraient détruire. Mais celui-ci me semble un objectif difficile à atteindre puisque les politiques sociales du gouvernement français sont désastreuses ".

Vous pensez que les excuses du ministre Sarkozy, demandées par les révoltés et par l’opposition, serviraient à calmer les esprits ?
 " Je crois que les problèmes de respect de mépris sont fondamentales. D’ailleurs la recherche du pardon est devenue une pratique politique. C’est à la mode. Jean Paul II a demandé pardon aux juifs pour les persécutions pendant l’Inquisition. Chirac, et ça c’est un point à propos duquel il s’est conduit correctement, a demandé pardon pour les excès de la colonisation française, surtout en Algérie. Beaucoup d’européens exigent que les turcs demandent pardon pour le génocide des arméniens. Cela dit, je ne crois pas qu’un " je regrette " prononcé par Sarkozy suffirait à résoudre la crise ".

Et alors comment répondre à toute cette violence ?
 " L’hostilité des jeunes vise surtout la police, après le gouvernement, et pour terminer l’ensemble de la société. C’est pour cette raison que, même d’une façon pas consciente, ils dirigent leur haine contre l’un des symboles du succès dans notre société : la voiture. L’acte symbolique de la révolte est celui d’incendier les voitures ".

Donc ?
 " Les fautes d’abord le gouvernement Raffarin et ensuite De Villepin sont énormes puisque ils ont fait disparaître les structures qui servaient à adoucir les tensions. Je parle par exemple de la police de quartier qui avait aussi la tache de discuter avec les jeunes. Aujourd’hui dans les banlieues il y a seulement une " police de répression ". En outre beaucoup de rôles de la médiation ont été supprimés. Je pense aux opérateurs sociaux chargés de garder la paix sociale en créant des formes de dialogue entre les communautés ".

Ces jeunes sont-ils organisés comme les autorités le soutiennent ?
 " Je ne crois pas. Ce sont plutôt des phénomènes de contagion, d’imitation, qui agissent ainsi que la violence se transmet à toute la région parisienne ".

Ça se terminera comment ?
 " Je suis optimiste mais pessimiste aussi : optimiste parce que je ne crois pas qu’on arrivera à une violence généralisée ; pessimiste parce que les causes profondes de la privation de ces jeunes continueront encore longtemps, au moins jusqu’en 2007, c’est-à-dire jusqu’à quand au pouvoir il y aura Chirac. Jusque à cette date là, l’état ne sera pas capable de trouver des solutions adéquates ".

De Rio à Nairobi et de Paris à Rome ? Vous croyez qu’un jour pas trop loin on parlera de mondialisation de la violence dans les banlieues ?
 " Peut être mais pour l’instant ce qui se passe dans les favelas brésiliennes est très différent de ce qui arrive dans les banlieues parisiennes. Mais on ne peut pas exclure que ces différences diminuent ".

Vous ne pensez pas qu’en étant à l’époque de la télévision l’une des raisons qui poussent à la dévastation et au pillage est celle d’apparaître dans la vidéo ?
 " Sans doute. Je crois quand même que dans les banlieues parisiennes la violence n’est pas un but mais un moyen : c’est l’instrument de revendication pour porter les problèmes d’une génération dans la rue ".

http://www.repubblica.it/2005/k/sez...

Messages

  • Shalom, salam, salut,

    Voilà une analyse très pertinente d’un universitaire, il offe des perspectives. Ne peut-on répérer une affinité d’analyse avec des Indigènes de la République, sans qu’on puisse établir une quelconque rapprochement idéologique ou existentiel ?

    Ce qui tendrait à établir que l’analyse des Indigènes ne tient pas au caractère fondateur, de leur origine géographqiue, qui les conduiraient à penser la société française sous l’angle exclusive du prisme de leur souffrance mémorielle, comme certains très à gauche le pensent.

    N’est-ce pas au contaire de la par des Indigènes, une analyse historique, profonde des rapports qui fondent et influencent fortement les comportements collectifs. Source de toutes transformations des sociétés.
    Au lieu de voir dans leur souffrance mémorielle, une déformation, sclérosante, ne faudrait-il pas considérer que leur recherche intrépide d’une justice et d’une vérité jamais consentie, porte en germe un regard novateur, qui sublime l’incapacité des partis politiques traditionnelles à penser la construction républicaine dans toutes ses dimensions, y compris raciste et colonial. Incapacité dû à une position historique vécue dans un face à face à l’indigène et jamais vécue comme indigène..

    Chester Himes disait que pour comprendre ce que vivait un noir face au racisme de la société, il fallait être noir.

    Mohamed

    Fraternelles salutations

    • Enfin un Universitaire qui se mouille et quel Universitaire, Jacques Le Goff !!
      Hormis,à ma connaissance, l’architecte Roland Castro (voir son communiqué sur le site http://utopiesconcretes.over-blog.com) où sont donc les autres intellectuels qui faisaient l’honneur de la pensée française et universelle ? Vraisemblablement plongés dans les parts de marché...
      Chapeau bas à Jacques Le Goff et aussi à Mohamed sur "l’Indigènat".
      Fraternellement à vous,
      Tzigane

    • Très pertinent en effet comme une bonne partie de ce qui sécrit sur ce site ( je dis sans démagogie ) car même s’il y a parfois un peu d’énervement on y trouve surtout un sorte de volonté de se battre contre cette m.......de société ! et donc de réfléchier sur la meilleure façon d’en finir avec elle !

      Tout celà pour dire qu’un tour par le Forum internet du Nouvel Obs vous laisse pantois devant certaines réactions lues :
      les évènements en banlieue sont dûs entre autre aux immigrés, à l’Islam, à mai 68, aux profs, aux politiques laxistes surtout à gauche, aux syndicats qui font grève pour défendre des intérêts corporatistes et donc à la France qui refuse la modernisation inéluctable etc.........

      Il faut en lire certaines pour le croire !

      J’y ai même lu que l’attitude du maire de LONDRES ( un peu à la gauche du parti travailliste quand même ) après les attentats dans sa ville et ayant refusé de systématiser uen communauté religieuse ( vous voyez laquelle je pense ) était bien la démonstration qu’il n’était qu’un valet d’Al Quaida !

      Devant tant de subtilites je suis parti me coucher !

      Grâce à BELLA CIAO d’exister !

    • Je ne pense pas que l’on puisse parler de révolte d’une génération quand on voit le faible nombre de "jeunes" ayant suivi le mouvement, même le jour de la contagion maximale. Ni d’une question de race ou de religion, puisque les "révoltés" étaient d’origines variées et n’ont pas eu de mot d’ordre religieux, ni n’ont entrainé de coreligionaires et pas davantage de compatriotes. Quant au chômage, je pense qu’il vient de blocages profonds de la société, tous partis confondus, et peut être même plus à gauche qu’à droite : on privilégie les plus "inclus", que ce soit un ouvrier en CDI au détriment d’un chômeur, un fonctionnaire (surtout en tant que futur retraité) au détriment de crédits de développement, un "cadre sup" de grande entreprise au détriment d’un "petit patron", un paysan au détriment de son homologue du "Sud" etc.

      Yves Montenay

    • Ah !... les forums du NouvelObs c’est réellement le ponpon qui fait évoluer la société de production du caviar Belouga ! Voilà quelques années que je n’y participe plus car j’avais peur de succomber à une attaque cérébrale.
      Merci encore à Jacques Le Goff.
      Boby