Accueil > L’ALGÉRIE DE NOVEMBRE : A-t-elle une stratégie diplomatique ?
L’ALGÉRIE DE NOVEMBRE : A-t-elle une stratégie diplomatique ?
Publie le lundi 8 mars 2010 par Open-Publishing« En tournant le dos à la Méditerranée, l’Europe et la France ont cru tourner le dos au passé alors qu’elles ont, en fait, tourné le dos à leur avenir, car l’avenir de l’Europe est au Sud. »
Nicolas Sarkozy, Toulon 7 février 2007
Un coup d’éclair et devrais-je dire un autre coup du sort : on apprend que l’UPM s’organise, distribue les rôles et ignore l’Algérie. De plus, à deux jours d’intervalle, l’Union européenne au complet se retrouve à Grenade pour donner une impulsion spécifique et décisive à la coopération avec le Maroc qui a déjà acquis de haute lutte, le statut de pays avancé - un des concepts que doit atteindre le prétendant à la coopération avec l’Union européenne, parcours du combattant ou longue marche, c’est selon, que le Maroc a atteint-
Tout un symbole. Le sommet entre le Maroc et l’Union européenne pourrait confirmer le lancement de négociations en vue d’un accord de libre-échange. Le premier sommet UE-Maroc, les 6 et 7 mars, à Grenade, a réuni José Luis Rodriguez Zapatero, président du gouvernement espagnol chargé de la présidence tournante, Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, et José Manuel Barroso, président de la Commission de Bruxelles. Ce sera la première réunion du genre entre l’Union et un pays arabe Le Sommet UE-Maroc écrit l’Agence MAP est « un signe important, un signe fort, envers un pays voisin de l’Union européenne », a affirmé, jeudi, le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos à la veille de la tenue, les 6 et 7 mars courant à Grenade (Andalousie, Sud), de la réunion de haut niveau. « L’UE, qui porte son regard vers le Sud, a l’opportunité de tenir son premier sommet sous le Traité de Lisbonne avec un pays qui souhaite se rapprocher et baser ses relations avec l’UE au travers d’un statut avancé », a souligné que l’application progressive du statut avancé avec le Maroc, qui a été approuvé en octobre 2008, mérite que la présidence espagnole lui porte « une attention particulière ». Après avoir relevé que le Maroc, qui est « un vieux voisin de l’UE », souhaite participer de plus en plus dans tous les domaines ou compétences porteurs de progrès en matière d’intégration économique, sociale ou technologique, il s’est dit convaincu que le Royaume obtiendra un soutien important lors de ce sommet. « Nous parlerons de tout l’agenda régional et, en particulier, de la Méditerranée. L’Union pour la Méditerranée fera partie du débat à l’ordre du jour avec le Maroc tout comme, logiquement, les questions régionales, telles que celles du Maghreb et du Sahara occidental. Le Maroc est un partenaire qui aide énormément les pays européens et les pays d’origine à gérer de manière coresponsable les flux migratoires. Par conséquent, c’est un pays essentiel pour une gestion correcte et efficace de ces flux », a tenu à souligner M.Moratinos.(1)
Gare au Sahara occidental !
Le président sahraoui M.Mohamed Abdelaziz a mis en garde l’Union européenne contre « toute relation avec le Maroc au détriment du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, le Maroc n’a aucune souveraineté sur le Sahara occidental occupé ». « La signature d’accords entre l’Union européenne et le Maroc qui engloberait les territoires ou les eaux du Sahara occidental occupé est une violation flagrante de la légalité internationale et une atteinte aux fondements de l’UE. De son côté, le Parti de la gauche européenne (PGE) avait souligné le 28 février qu’il ne soutiendra pas le prochain sommet UE-Maroc, ni ses résultats tant que le gouvernement espagnol « ne s’engage pas à défendre la cause sahraouie ». De son côté, l’Euro-parlementaire de cette formation politique, Willy Meyer, a qualifié d’« inacceptable » et d’« inadmissible » la politique de l’UE vis-à-vis du Maroc, alors que ce pays « continue de violer les droits de l’homme dans les territoires sahraouis occupés et de piller ses ressources naturelles ». Enfin, Amnesty international a demandé aux dirigeants européens d’évoquer à Grenade « l’intolérance croissante dont sont l’objet les défenseurs sahraouis des droits de l’homme et d’autres personnes en faveur de la libre autodétermination du Sahara occidental ».
S’agissant de l’UPM, véritable arlésienne de Bizet, elle refait surface, après sa mort clinique du fait des massacres israéliens, et après l’amnésie sélective de l’Europe et surtout le manque de cran des pays arabes qui composent l’essentiel de la rive du Sud et qui se bousculent pour avoir les faveurs du Nord à l’exception erratique du Guide libyen. Ce qui intéresse surtout l’Europe, c’est comment contenir les hordes d’affamés qui viennent mourir sur ses côtes. Le Maroc, la Tunisie et même la Libye avaient accepté de faire les prévôts en créant des camps de rétention sur leur sol. C’est aussi la sécurité. Ce mot n’a pas la même signification au Nord et au Sud. Cette perception différenciée de la question de la sécurité empêche l’émergence d’une politique de sécurité commune en Méditerranée, a souligné, à Alger, le Dr Luis Martinez. (...) C’est ainsi qu’il a relevé que pour certains pays ayant accepté d’abriter les centres de transit financés par l’UE, à l’instar du Maroc et de la Tunisie, il s’agit de « négocier » d’autres intérêts à travers cette approche. Affirmant que les pays des deux rives « ne parlent pas de la même sécurité », il a estimé que, du moins sur la question de la gestion de l’immigration clandestine, « les pays de la rive Nord se déchargent sur les pays du Sud ». L’autre obstacle cité par le Dr Martinez dans la construction d’une politique de sécurité commune en Méditerranée, est que la construction de l’Europe « tire plutôt vers les pays de l’Est qui n’ont pas, a-t-il dit, la même perception des questions de sécurité. Il a mis également l’accent sur le coût économique de la non-construction du Maghreb, causant une perte de croissance de 3% ».(2)
On se souvient que cette création au forceps a failli trépasser. La réanimation a été faite par l’Espagne. Comme écrit dans le journal Liberté : « En hibernation depuis l’agression israélienne contre la bande de Ghaza, le projet de l’Union pour la Méditerranée fait l’objet d’une tentation de relance par l’Espagne, à travers une volonté de mise en place du secrétariat de cette instance (...) En effet, le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, a émis à Tunis, le souhait de la mise en place du secrétariat général de l’Union pour la Méditerranée (UPM) prochainement à Barcelone. Selon une source diplomatique dans la capitale tunisienne, le chef de la diplomatie espagnole a formulé l’espoir que le secrétariat "sera mis en place lors de la prochaine réunion de l’UPM", dans deux semaines à Barcelone. Dans le but de rallier la Tunisie à sa vision, le chef de la diplomatie espagnole, dont le pays assure depuis janvier 2010 la présidence tournante de l’Union européenne, a fait part de la volonté de Madrid de faire aboutir le souhait de Tunis d’occuper un "statut avancé" avec l’UE. (...) C’est dire l’âpreté de la tâche de la partie européenne dans cette tentative de mettre sur les rails l’UPM, parce que le massacre, à ciel ouvert, par l’armée israélienne à Ghaza, a eu des effets néfastes sur la région du Moyen-Orient, provoquant même une rupture des négociations de paix lancées après la réunion d’Indiana-polis par George Bush. Avec l’arrivée de Benjamin Netanyahu à la tête du gouvernement israélien, la situation n’a pas de chances de s’améliorer ».(3)
S’agissant justement du fonctionnement de l’UPM. Cela ne se fit pas sans mal surtout avec les tractations et les promesses non tenues concernant les postes. Akram Belkaïd écrivait en janvier dernier, Ahmad Massa’Deh devrait devenir secrétaire général de l’UPM. Une première bonne nouvelle. Mais il reste des interrogations qui exigent des réponses urgentes. (..)En tout état de cause, le SG de l’UPM devrait prendre ses fonctions avant la fin du premier trimestre 2010. Ahmad Massa’deh aura pour mission de préparer le second sommet de l’UPM qui aura lieu en juin à Barcelone (...) Pour autant, il reste encore nombre d’interrogations qui exigent des réponses urgentes. Parmi elles, il y a la composition des six secrétaires généraux adjoints qui l’épauleront. On sait que l’un d’eux sera palestinien et qu’un autre sera israélien. Pour les autres, il devrait y avoir les représentants respectifs de la Grèce, de la Turquie, de Malte et de l’Italie. (...) À ce sujet, les portefeuilles du secrétariat général devraient être : le développement économique et les PME-PMI. Tout en relevant qu’il n’est toujours pas question d’agriculture - un thème pourtant fondamental pour la Méditerranée. Autre incertitude : la future coprésidence de l’UPM. Le couple franco-égyptien devra rendre les rênes à la fin du premier semestre 2010 mais on ne sait pas encore qui va le remplacer. Est-ce un duo espano-marocain ou bien espano-tunisien, la présence d’un pays maghrébin à la co-présidence s’imposant du fait de l’absence de cette région au niveau du secrétariat général (cela sans oublier la forte réticence des autorités algériennes à l’égard de l’UPM).(4)
On se souvient de la singularité du traitement de faveur dont a toujours fait l’objet Israël. Francis Wurtz dévoile des négociations secrètes suite à une demande de ce pays de conquérir les droits d’un quasi-Etat membre de l’UE. « Selon certaines sources, il semblerait qu’Israël ne demande rien de moins que sa participation à tous les niveaux aux réunions de l’UE sur les questions de sécurité et de dialogue stratégique », souligne-t-il. Il n’est pas étonnant dans ce cas que le haut commissaire aux Affaires étrangères ait déclaré, lors d’une conférence à Tel-Aviv les 20 -22 octobre 2009 : Israël, permettez-moi de le dire, est un membre de l’Union européenne sans être membre de ses institutions. Israël est « partie prenante à tous les programmes de l’Union et apporte un haut savoir-faire dans les technologies de pointe. »
On comprend dans ces conditions qu’Israël a tous les privilèges, se permettant même d’avoir en prime une normalisation de fait avec les pays arabes y compris l’Algérie, assis à la même table. D’autres, comme le Maroc et même la Tunisie, galèrent et arrivent à arracher des faveurs. Qu’en est -il de l’Algérie et de ses relations tumultueuses avec l’UPM et l’Union européenne ? Avec la première, c’est un échec sur toute la ligne, absent partout même à l’intronisation du SG de l’Union pour la Méditerranée. A l’image du Maroc, la Tunisie voudrait à son tour obtenir de l’Union européenne le « statut avancé », une forme de partenariat privilégié. L’Algérie n’ayant pas de relais est pratiquement absente de toute la politique européenne si ce n’est des relations purement marchandes et là encore c’est un marché de dupes.
D’ailleurs, l’évaluation préliminaire de l’Accord d’association avec l’UE fait ressortir un constat d’échec, de l’aveu même du directeur du commerce extérieur. Chérif Zaâf a fait comprendre hier, sans détour ni faux-fuyant, que l’Accord d’association a profité beaucoup plus aux pays de l’UE pendant les quatre premières années de sa mise en oeuvre. M.Zaâf a mis en évidence que la balance commerciale hors hydrocarbures de l’Algérie, reste « très déséquilibrée » en faveur de l’Union européenne. Pour étayer ses propos, l’orateur a fait référence à un tableau évaluatif de l’Accord d’association pendant les quatre années de sa mise en oeuvre. « Pour 1 dollar exporté vers l’UE, l’Algérie importe pour 20 dollars », a-t-il annoncé, Dans le même sillage, il a regretté le fait que des entreprises algériennes, dont certaines des plus performantes, ne soient pas traitées de la même manière en Europe. Selon M.Zaâf, les exportations algériennes hors hydrocarbures vers les pays de l’UE restent « marginales », voire « insignifiantes » en s’établissant à 1 milliard de dollars en 2008. Celles-ci sont dominées par les produits miniers bruts et pétrochimiques, a constaté le même responsable. Les importations acheminées depuis les pays de l’Union européenne, elles, ont totalisé 20,8 milliards de dollars. Les importations en provenance de l’UE constituent 55% des importations globales de l’Algérie.(5)
Il y a certainement nécessité à ce que l’Algérie réétalonne sa stratégie pour reconquérir la place qu’elle a perdue. C’est une erreur de s’être fourvoyé dans une UPM qui est un véritable traquenard sans lendemain. L’UPM qui serait véritablement généreuse sans condescendance est celle décrite par Eric Orsenna et Akram Belkaïd, dans une Lettre Ouverte signée par un groupe de personnalités éminentes dont Romano Prodi : Le premier véritable chantier de l’UPM devrait être « la gestion de la mobilité humaine en Méditerranée », comme les pays du Nord doivent comprendre que cette question est essentielle dans les pays du Sud où l’on voit très mal les entraves à la circulation en direction de l’Europe, pendant que de nouvelles politiques de migration choisie les prive de leurs élites. Comment parler d’Union à des populations à qui l’on imposerait de rester chez elles ? Ces populations ont besoin de ces mobilités sans lesquelles l’intégration régionale resterait une fiction.(6)
Le traquenard UPM
« C’est à ce niveau que la contribution de l’UPM peut s’avérer nécessaire, voire urgente. Il ne s’agit pas de créer une Université euro-méditerranéenne seulement, mais de multiplier les jumelages d’écoles, d’universités, de laboratoires, de centres spécialisés de recherche et de grandes écoles. Cela nécessite la facilitation de la mobilité des étudiants, des chercheurs et des professeurs, l’octroi de bourses de perfectionnement, la promotion de programmes d’échanges et la création de bibliothèques spécialisées. Ces propositions ne constituent nullement des "alternatives" aux grands chantiers de la Méditerranée, mais plutôt le "biocarburant" destiné à humaniser les rapports Nord-Sud pour répondre aux exigences du vivre-ensemble. (...)Les jeunes générations du sud de la Méditerranée, notamment arabes, n’ont connu ni le colonialisme ni les luttes de libération nationale (le cas palestinien à part) : elles réclament ouverture et compréhension, plutôt que repentance ou vengeance. Ainsi, plutôt que de cadenasser les frontières et ériger des murs, toujours plus haut, n’est-il pas temps de multiplier les passerelles ? C’est à cela que l’UPM doit se consacrer : l’histoire l’exige, la géographie l’impose et l’avenir le réclame. »(6)
Quant à nous, nous militons pour un Maghreb solidaire fasciné par l’avenir et qui ne tombe pas dans le panneau du « diviser pour régner » si bien mis en oeuvre par l’Europe. Qu’on se le dise : l’avenir du Maghreb uni ne peut se faire qu’avec une étroite symbiose de toutes ses potentialités façonnées par l’histoire, la culture et la spiritualité.
1.Premier sommet UE-Maroc. Un signe fort de l’Union européenne : MAP 05.03.2010
2.www.algerie360.com/.../mediterranee-beaucoup-dobstacles-a-lemergence-dune-politique-de-securite-commune Jeudi 4 mars 2010
3.L’Espagne tente de relancer l’Union pour la Méditerranée-Liberté 17 mai 2009
4. Akram Belkaïd-UPM http://www.ipemed.coop/spip.php?article312 27 janvier 2010
5.Ali Titouche, L’Algérie perdante sur toute la ligne El Watan 13 mai 2009
6.Le texte de la Lettre a été rédigé par Akram Belkaïd et Erik Orsenna et signé par une vingtaine de personnalités : Le Monde, 11 juillet 2008
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz