L’Allemagne s’apprête à franchir le cap des 5 millions de chômeurs

Une faible reprise n’enraye pas la dégradation du marché de l’emploi.

de Adrien de Tricornot, Francfort

Plus de flexibilité, une baisse de salaire équivalant à une heure de travail hebdomadaire non payée, des coupes dans les primes de vacances et de Noël, pas d’augmentation en 2005 : pour conserver 1 100 emplois sur son site de Bruchsal dans le Bade-Wurtemberg, le groupe Siemens a obtenu mercredi 6 octobre des concessions majeures du syndicat IG Metall, en invoquant la concurrence des pays à bas salaires.

Des concessions obtenues dans un climat morose : en septembre, en Allemagne, le nombre de chômeurs a augmenté de 27 000 personnes, en données corrigées des variations saisonnières, portant leur nombre à 4,445 millions. Après ce huitième mois consécutif de hausse, le taux de chômage atteint 10,7 %, soit un sommet depuis février 1999.

En juin, le conglomérat avait déjà suscité la polémique en imposant le retour aux quarante heures sans hausse de salaire à 4 000 salariés de Rhénanie du Nord-Westphalie, contre l’abandon d’un projet de délocalisation. Chez Opel, Volkswagen ou KarstadtQuelle, plusieurs dizaines de milliers d’emplois sont dans la balance des négociations, et les syndicats affichent comme priorité les garanties sur l’emploi.

On croyait pourtant voir le bout du tunnel. Après trois ans de stagnation et la récession de l’année 2003 (- 0,1 %), la croissance a atteint 0,4 % au premier trimestre et 0,5 % au second et semblait s’acheminer vers les 1,5 % à 2 % attendus par le gouvernement. Mais, avec la flambée des prix du pétrole et le ralentissement mondial, des doutes s’installent.

L’indice IFO du climat des affaires a légèrement reculé en septembre, pour le second mois consécutif, et l’indice ZEW des anticipations du secteur financier a chuté, suggérant un repli de l’activité pour les six prochains mois. "Les dernières statistiques publiées sur le chômage ou les entrées en commande de l’industrie - une baisse de 1,5 % en août - montrent que la conjoncture s’affaiblit quelque peu", s’inquiète Stefan Bielmeyer, économiste spécialiste de l’Allemagne à la Deutsche Bank

Il n’anticipe que 1,5 % de croissance cette année et 1,2 % en 2005. Avec une croissance attendue autour de 2 % cette année et de 1,5 % en 2005, l’économiste de la Dresdner Bank Harald Jörg est plus optimiste : "La hausse du pétrole ralentira la croissance au premier semestre 2005, mais elle ne met pas en danger la tendance haussière de l’économie. Nous pensons que le prix du baril de pétrole retombera à 35 dollars d’ici à la fin de l’année."

Fragile, la reprise n’a été nourrie que par les exportations, quand la demande interne restait vacillante : "La part des profits dans le revenu national a pourtant atteint un point haut inégalé depuis la réunification, mais l’investissement en biens d’équipement n’est toujours pas reparti", notent les économistes du Crédit agricole, qui pointent "la politique malthusienne des entreprises, qui comprime salaires et embauches" pour rechercher des gains de productivité. L’économie allemande, en effet, a détruit 62 000 postes de travail, hors les dispositifs aidés de petits boulots et de créations d’entreprises par des chômeurs, sur les sept premiers mois de l’année, selon l’Office fédéral des statistiques. La controversée réforme dite "Hartz IV" du système d’allocation-chômage, qui va réduire les prestations des chômeurs après un an, et la flambée du prix de l’essence, ont aussi conduit les ménages à épargner plutôt qu’à dépenser. Les ventes du commerce de détail devraient encore reculer de 0,5 % cette année selon la fédération du commerce HDE.

Mardi, le vice-président de l’Agence pour l’emploi, Heinrich Alt, a reconnu qu’après l’intégration de 300 000 à 400 000 bénéficiaires de l’aide sociale dans les statistiques, la barre symbolique des 5 millions de chômeurs risquait d’être dépassée, en données non corrigées des variations saisonnières. Le symbole sera lourd, même si le chômage devrait plutôt se stabiliser au cours de 2005.

Enfin, cette conjoncture en trompe-l’œil ne remplit pas les caisses de l’Etat. Le gouvernement a approuvé mercredi un programme de 14,4 milliards d’euros supplémentaires d’emprunts publics, le déficit total de l’Etat fédéral atteignant le record de 43,7 milliards.

Des dépenses plus importantes que prévues pour l’aide au logement ou l’aide sociale sont pointées, les recettes fiscales sont décevantes et les recettes exceptionnelles ne sont pas au rendez-vous, notamment les bénéfices de la Bundesbank, inférieurs de 3,25 milliards d’euros aux prévisions.

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