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L’apprentissage de l’imbécilité dans la culture de l’argent

Publie le mercredi 26 juillet 2006 par Open-Publishing
16 commentaires

de Luciana Bohne enseigne le cinéma et la littérature à l’université Edinboro en Pennsylvanie.

On pourrait penser que la tentative d’un professeur d’anglais d’une université de seconde zone de faire un lien entre l’indigence de l’enseignement aux Etats-Unis et la crédulité du public étatsunien est un peu triviale si l’on considère que nous sommes embarqués dans la première aventure impériale avouée du capitalisme vieillissant aux Etats-Unis - mais restez avec moi.

La question que je me pose, compte tenu de mon expérience d’enseignante, est de savoir pourquoi ces jeunes gens ont été éduqués dans une ignorance aussi crasse.

"Je ne lis pas", dit une étudiante de première année, sans être gênée le moins du monde. Il ne lui vient pas à l’esprit que déclarer une préférence pour ne pas lire dans une université, c’est comme se vanter d’avoir choisi de ne pas respirer dans la vie courante. Elle est dans mon cours consacré à la littérature mondiale. Elle doit lire des romans d’auteurs africains, latino-américains et asiatiques. Elle n’est pas là par choix : c’est juste un cours obligatoire pour son diplôme et c’est, pense-t-elle, plus facile que la philosophie. Le roman qui lui donne du fil à retordre est "D’amour et d’ombre" d’Isabel Allende, mis en scène dans la terreur de l’après coup d’Etat du régime de type nazi de la junte de Pinochet, entre 1973 et 1989. Personne dans la classe, y compris ceux dont la matière principale est l’anglais, n’est capable d’écrire un essai d’analyse précis, il faut donc que je le leur apprenne. Personne dans la classe ne sait où est le Chili, je dois donc photocopier des informations générales dans des guides sur les pays du monde. Personne ne sait ce que sont le socialisme ou le fascisme, alors je dois prendre le temps d’écrire des définitions assimilables.

Personne ne connaît "le mythe de la caverne" de Platon, et je le mets à leur disposition parce qu’il est impossible de comprendre le thème du roman sans une connaissance de base de ce texte - qui faisait partie des lectures obligatoires quelques générations plus tôt. Et personne dans la classe n’a jamais entendu parler du 11 septembre 1973, le coup d’Etat soutenu par la CIA qui a mis un terme à la démocratie adulte du Chili. Le choc est tangible quand je distribue des documents déclassifiés étatsuniens qui prouvent la collusion des É.-U. avec le coup d’Etat du général et l’assassinat de Salvador Allende, président élu.

La géographie, l’histoire, la philosophie et les sciences politiques, toutes sont absentes de leurs études. Je réalise que mes étudiants sont en fait des opprimés, comme l’a fait remarquer Paulo Freire dans " la pédagogie de l’opprimé " et qu’ils paient pour leur propre oppression. Je leur explique alors patiemment : Non, notre gouvernement n’a pas été l’ami de la démocratie au Chili ; oui, notre gouvernement a financé à la fois le coup d’Etat et le système de torture de la junte ; oui, cela est valable pour toute l’Amérique latine. Puis, un étudiant demande "Pourquoi ?". Alors, je réponds que la CIA et les sociétés privées foulent au pied le monde en partie à cause de l’ignorance du peuple des États-Unis, apparemment provoquée par l’éducation formelle, renforcée par les médias et acclamée par Hollywood. Plus les gens lisent, moins ils en savent et plus ils deviennent endoctrinés ; c’est ainsi que nous atteignons cet état national d’imbécillité grâce auquel ils s’engouffrent dans des abîmes de dettes. Si ce n’était pas tragique, ce serait drôle.

Pendant ce temps, cette coûteuse imbécillité facilite le financement du travail sanglant des escouades de la mort, des juntes et des régimes de terreur à l’étranger. Elle a permis la guerre dans laquelle nous sommes engagés - une guerre injuste, illégale, illogique et coûteuse qui annonce au monde la faillite de notre intelligence et, par la même occasion, la faiblesse rampante de notre système économique. Chaque mort d’homme, de femme et d’enfant due à une bombe, une balle, à la famine ou à l’eau polluée est un meurtre et un crime de guerre. Et cela met en relief l’incapacité de l’enseignement étatsunien à produire des cerveaux équipés du strict nécessaire pour la survie démocratique : l’analyse et la capacité de poser des questions.

En d’autres termes, je ne pense pas qu’une éducation sérieuse est possible aux É.-U. Tout ce que vous touchez dans les annales de la connaissance est un ennemi de ce système de commerce et de profit, à en perdre la raison. La seule éducation permise est celle qui adapte au statu quo, comme dans les écoles coûteuses, ou qui produit des gens pour maintenir et renforcer le statu quo, comme dans l’école publique où j’enseigne. De manière significative, dans mon établissement, une université de troisième ordre pour la classe des travailleurs, diplômés de collège de première génération qui entrent dans les postes de fonctionnaires au bas de l’échelle, dans l’éducation et dans la gestion de niveau moyen, les matières académiques favorisés sont la communication, la justice criminelle et le travail social - fondamentalement comment mystifier, encadrer et surveiller les masses.

Cette éducation représente un énorme gaspillage des ressources et du potentiel des jeunes. Elle est incroyablement ennuyeuse et sans intérêt - excepté pour les puissances et les intérêts qui en dépendent. Quand un étudiant ukrainien, arrivé depuis seulement trois semaines, écrit en anglais l’essai le mieux structuré et le plus approfondi de la classe, on doit se poser des questions sur l’éducation étatsunienne, en particulier pour nos jeunes. Mais, l’état de délabrement atteint par l’enseignement étatsunien est à la fois planifié et délibéré. C’est la raison pour laquelle nos médias réussissent si bien avec leurs mensonges. C’est pourquoi notre secrétaire d’Etat peut citer le mémoire d’un étudiant diplômé, en annonçant avec certitude que ces données volés proviennent de la source la plus fiable des renseignements. C’est pourquoi le "Guernica" de Picasso peut être voilé pendant son "rapport" absurde aux Nations Unies sans que quiconque ne remarque la signification politique de ce geste et la sensibilité fasciste qu’elle protège.

Le fascisme culturel se manifeste par son aversion à la pensée et au raffinement de la culture. "Quand j’entends parler de culture, je sors mon revolver", disait Goebbels. Une des réformes les plus infâmes et révélatrices mises en oeuvre par le régime Pinochet a été la réforme de l’enseignement. L’objectif fondamental était de mettre fin au rôle de l’université comme source de critique sociale et d’opposition politique. Les départements de philosophie, de sciences politiques et sociales, les humanités et le secteur des arts susceptibles d’abriter des discussions politiques ont été démantelés. On ordonna aux universités d’émettre des diplômes seulement en gestion des affaires, programmation informatique, génie civil, médecine générale et dentaire - bref, à devenir des écoles d’enseignement professionnel, ce à quoi l’enseignement étatsunien ressemble en réalité, du moins en ce qui concerne l’éducation de masse. Nos étudiants peuvent obtenir leur diplôme sans jamais avoir touché une langue étrangère, la philosophie, de quelconques éléments de science, la musique ou l’art, l’histoire et les sciences politiques ou économiques. En fait, nos étudiants apprennent à vivre dans une démocratie électorale dénuée de toute politique - un fait illustrée par la baisse de fréquentation des bureaux de vote.

Le poète Percy Bysshe Shelley a écrit que, dans la rapacité créée par la révolution industrielle, les gens abandonnent d’abord leur esprit ou leur capacité à raisonner, puis leur cœur ou leur capacité d’empathie, jusqu’à ce qu’il ne reste de l’équipement humain originel que leurs sens ou leurs demandes de satisfactions égoïstes. A ce stade, les humains entrent dans la catégorie de produits de consommation et de consommateurs du marché - un élément de plus dans le paysage commercial. Sans cœur et sans esprit, ils sont instrumentalisés à acheter tout ce qui calme leurs sens exigeants et apeurés - des mensonges officiels, des guerres immorales, des poupées Barbie et des enseignements en faillite.

Pendant ce temps, dans mon Etat, le gouverneur a ordonné une coupure de 10% pour tous les ministères - y compris celui de l’éducation.


© Copyright Luciana Bohne 2003 For fair use only/ pour usage équitable seulement

Traduction bénévole (rezo des Humains Associés) pour usage équitable seulement . Jean-Paul Salaün, KT et RI wwwpaxhumana info

L’article original est accessible ici "Learning to Be Stupid in the Culture of Cash by Luciana Bohne"

http://globalresearch.ca/articles/BOH308A.html

Messages

  • ILS Savent prier, pensent que leur pays est un pays démocratique entourer de méchants.
    Ils sont les gentils, les sauveurs de l’humanité. philosophie = danger si le peuple peut penser reflechir analyser ou va-t-on
    Mais heureusement que quelques uns réflichissent.J V

  • La situation du système éducatif aux USA est tragique.

    Mais la France, dans le cadre des politiques éducatives de l’UE, est sur la même ligne.
    La Pédagogie d’Etat, mise en place depuis une vingtaine d’années par les gouvernements de droite comme de gôche (lois Jospin 1989, Fillon 2003), a pour objectif implicite de discréditer le service public, parce que l’éducation est définie par l’UE comme un marché.
    Les savoirs deviennent des "compétences", on n’enseigne plus la grammaire et la démonstration mathématique est mal vue par cette police pédagogigue qu’est l’inspection générale.
    Les chefs d’établissemnt se prennent pour des chefs d’entreprise dans leurs relations eavce les professeurs, mais et se refusent, par lâcheté et par carriérisme, de plus en plus souvent à sanctionner des élèves de plus en plus violents, et qui en tout état de cause empêchent les cours de se dérouler.
    Des centaines d’heures d’enseignement de français et de mathématiques ont été supprimées, au profit d’activités "ludiques", entre le CP et la troisième. Les élèves, devenus "apprenants" selon le jargon des "sciences" de l’éducation à al mode dans les IUFM n’apprennent plus grand-chose pendant ces 9 années, et certainement pas la maitrise de leur propre langue, ni le raisonnement logique. !
    Le professeur devient "animateur du groupe classe" : en fait il garde les enfants des travailleurs, alors que les exigences des programmes et des diplômes sont sans cesse revus à la baisse au nom d’une politique qui se voudrait de gauche (80% au bac, 50% de diplômés du supérieur !) mais qui détruit portant les fondements même de l’école, dilués dans le marché.
    Certiains syndicats jaunes (SGEN-CFDT, SE-UNSA) accompagnent et soutiennent ces orientations.
    La FSU est ambigue : en ne posant que la questions des moyens, elle est souvent dans le déni de la question de la transmision des savoirs.

    N’EST-IL PAS TEMPS QUE LES PROFESSEURS ENTRENT EN RESISTANCE ?

  • Merci pour ce texte clairvoyant : où l’on voit les limites de l’économie capitaliste et ses marchés de masse et économies d’échelle ; le but ultime étant de consommer, satisfaire des besoins de plus en plus primaires et simplistes relatifs au 5 sens de base. Une armée de zombies ou moutons (selon le traitement ) qui consomme ce qu’on lui dit de consommer : voilà la véritable économie. Jusqu’au moment ou les très riches en voudront encore plus et se mangeront entre eux.

  • pauvre amerique.
    et que dire de nos chers journalistes.moutons,ou larbins au service des gros patrons de presse,qui puent a des km leurs impatialites et leurs soutien aveugle au chien de garde de bush qui est israel.je crois bien que une majorite ont suivis des etudes au states
    un lecteur revolte.

    • tout ce qui est dit,voila de grandes vérités,nous formons des peuples d’igniorants,mais bon consomateur,nous ne sommes pas les seuls sur le continent americain,l’Europe aussi, devient nul en matiere de culture,il m’rrive souvent de me faire dire t’es pas normal toi a étudier la musique classique,il est vrai que la musique pop en europe est d’abord de langue anglaise (lire americaine surtout) l’invasion culturelle ca exist ca aussi,et c’est comme ca que la majotité des francais ,utilise le franglais pour s’exprimé en ne sachant meme pas l’équivalent de sponsor en francais.(par contre j’admire la langue francaise de tout les intervenants de ce site, donc il est permis depenser que tout n’est pas totalement perdu chez vous,ben il est permi de rever.

      l’Amerindien du nord

  • Terrible constat Mme que votre description de l’enseignement aux E.U et des esprits qu’il produit .

    Je me souviens avoir lu il ya quelques années le livre d’Emanuel Tod écrivain et essayste Franco-Américain .Titre de ce livre "Après l’Empire" E.Tod décrivait et analysait les signes de déclin et de faillite genérale et sociale des E.U .

    Votre texte d’aujourd’hui m’a souvent fait penser en le lisant à cet essai. Et ma vision de la situation mondiale me conforte dans dans cette idée

    Je pense que ça finira par aller mieux un jour mais il va sans doute falloir que cela aille très mal avant que l’humanité s’ancre enfin dans la sagesse après avoir cédé au mirages de la consommation égoiste, des nationalismes exacerbés et de la folle gestion du monde par les nouvelles féodalités industrielles et financières.

    Pour l’heure déja la démocratie en général et la ou on s’en réclame justement le plus en particulier, est en voie de n’être souvent qu’une façade .
    Il va falloir s’accrocher Avis de tempête

    René de Montmorency

  • C’est avec beaucoup d’intéret que j’ai lu votre article.
    Je suis certes deçu de constater que les USA éprouvent les memes difficultés que les pays pauvres d’Afrique.
    L’Educaion est vue vers le bas de l’échelle d’une génération à une autre.A cette allure,je me demande ou va le monde,qui va pouvoir sortir nos ETATS de la misère après cette gération qui ne pense qu’en s’arichir et partir ?
    En fin,je pense que c’est un problème mondial,vu le système CAPITALISTE que l’Occident nous a IMPOSE.

    ST : Je désire avoir le bouquin intitulé :
    LA TRAGEDIE DES SIECLES.
    Guides spirituels de la vie.ELLENG WHITE.
    Mon adresse est :
    NKOLO MARCELLO ; MARCELLO,LBV GABON.
    BP:15 729.Libreville Gabon.
    TEL:00 241 07 59 30 51.

  • Ne vous inquietez pas, le constat est le même en France si ce n’est pire. En sixième, trente pour cent des élèves maitrisent mal la lecture. A la fac, les copies scintillent de fautes d’orthographes, la culture générale s’atrophie partout. Venez visiter nos lycées de banlieues, vous serez effarée par l’attitude et le néant encéphalique (anencéphalie ?) des enfants de la révolution Française.

    • C’est plutôt ce dernier commentaire qui me pousse à laisser une marque, qui si elle constitue une preuve, n’en est pas moins une épreuve.
      Cet article nous fait effectivement visiter cette grotte. Il y a des décideurs, des meneurs, des croqueurs.
      Et les dernières observation Luciana Bohne mon touchées. Voilà, effectivement mes copies de fac sont bourrées de fautes, cet écrit en conviendra sûrement. Je n’ai pas réussi à corriger cette lacune (peut être pas assez assidu à mes essais) qui incontestablement me pose des problèmes de représentations. Elle ne m’empêche pas de m’instruire, mais je veux dire qu’il est difficile de faire face au jugement d’assumer ce moyen d’expression qu’est l’écriture. Et c’est pour vaincre cela je dépose ce texte en utilisant toute les stratégies possible pour qu’il soit le plus propre possible, et qui j’espère ne me différenciera pas des encéphaliques.
      Le Jay.

    • Depuis quand ignorons-nous que l’Éducation en Amérique est réservée aux riches ? Cela différencie-t-il beaucoup les States des autres pays capitalistes ? D’où nous vient la culture du Service Public de l’Éducation ? Pour le primaire, c’est de Jules Ferry (création de l’école laïque obligatoire) et les patrons d’industries qui pensaient que la main d’oeuvre devait au moins savoir lire le mode d’emploi des machines qu’elle serait amenée à utiliser avec le modernisme. Pour le secondaire, dans les années 60 l’accès au lycée était réservé, économiquement parlant à ceux qui avaient les moyens financiers. Fils d’ouvrier pauvre, je suis entré en quatrième d’accueil pour aller jusqu’au bac, avec les bourses d’État puis j’ai pu accéder à l’université (pas trop loin) . Sans cela, l’égalité des chances ne pourrait même pas servir servir d’alibi à ceux qui croient que nous sommes en République (Liberté, Égalité...)
      Enfin dans quel système avons-nous entendu parler d’ingénieurs, intellectuels, chercheurs... fils ou petit-fils de serfs, d’écoles et d’universités entièrement pris en charge par la Nation ?
      L’Éducation, comme le reste est un combat. Aux States, on extermine les combattants, en les traitant de communistes ou de terroristes, c’est pareil.

    • Ce devait être un 11 septembre. J’avais mes habitudes dans un troquet de la Place Pie en Avignon. Troquet qui appartient à une chaîne bien connue en Provence. L’endroit est artificiel, sans âmes, tout au moins me disais-je je pourrais faire la connaissance des nombreux étudiants australiens, américains et autres scandinaves qui s’y pressent sinon n’y travaillent. Je fais la connaissance d’un serveur originaire de Seattle. Bien moins exubérant que ses compatriotes, discret, un peu roide, je suppose là-dessous une droiture et une bienveillance qui me le rend sympathique. Il est étudiant, en maîtrise de Lettres et de philosophie dans une université etasunienne. Je lui demande ce qu’il pense d’Allen Ginsberg dont le livre "Howl" ne me quitte jamais. Il me répond ne pas le connaître. Surpris j’insiste :
       Et Henry David Thoreau tu le connais ?
       No sorry
       Ralph Waldo Emerson et Jack Kerouac ?
      Il me dit que le premier n’évoque rien, mais qu’il a entendu parler du second

      ....

      Authentique histoire...

  • "Quand j’entends le mot culture je sors mon pistolet" Cette citation n’est pas de Goebells mais d’une autre dignitaire nazi. Mais celà ne change rien au sens.
    Par contre cette phrase a été reprise par Zanucker, célèbre producteur d’Hollywood : "Quand j’entends le mot culture je sors mon carnet de chèque". Cette réplique a été utilisée dans "Le Mépris" de Godard, où le producteur américain dit à Fritz Lang (qui joue son propre rôle) la même phrase.
    Si les moyens utilisés en matière de culture par les Etats-Unis sont différentes de celles des Nazis, le résultats reste hélas le même.
    Dolcino