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L’armée israélienne règne en maître dans les hôpitaux aussi

Publie le dimanche 11 décembre 2005 par Open-Publishing

Amira Hass

Haaretz, 7 décembre 2005

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=654848

Version anglaise : The IDF rules in the hospitals, too - www.haaretz.com/hasen/spages/654588.html

Ainsi donc l’armée de défense d’Israël est également maîtresse souveraine dans les hôpitaux et pas seulement en Cisjordanie. L’avis d’un MP de 19 ans et d’un officier de la police militaire quant aux conditions de garde d’une personne hospitalisée prime sur celui du directeur de l’hôpital. Un jeune Palestinien de 14 ans, blessé par des tirs de l’armée de défense d’Israël et emmené à l’hôpital des enfants Schneider pour y être opéré et hospitalisé, a été maintenu pieds et mains liés en dépit du fait que deux MP le surveillaient et qu’il était de toute façon dans l’incapacité de marcher. La demande pressante et professionnelle du directeur en exercice de l’hôpital, que le blessé qui avait subi deux jours plus tôt une intervention à la jambe, soit libéré de ses entraves, a essuyé un refus.

Le règlement de 1999 du Ministère de la Santé établit bien que « la responsabilité d’entraver un patient placé en détention incombe à l’autorité d’application de la loi qui a la garde du patient... Dans toute situation où les entraves pourraient, dans l’opinion du médecin soignant, porter préjudice aux soins médicaux ou s’il n’en voit pas la nécessité, il revient au médecin d’exiger des responsables de la sécurité de détacher le patient... En cas de désaccord,... il y a lieu de s’en remettre au « forum décisionnel » (un représentant de l’hôpital et un responsable de la sécurité) ».

Mais il est revenu de diverses sources qu’au Ministère de la Santé, on s’applique depuis un moment à modifier ce règlement afin que l’évaluation médicale/professionnelle et le bon sens l’emporte sur la tendance des « autorités d’application de la loi » à entraver des personnes hospitalisées sans se soucier de la position des médecins. Il semble que le harcèlement incessant de l’association des Médecins pour les Droits de l’Homme et autres associations contre le recours trop prompt aux menottes et contre la peur des médecins d’intervenir dans l’appréciation du policier ou du soldat, donnent des résultats. Comme l’a écrit le Dr Yitzhak Kedman, du Conseil National de l’Enfance, au Dr Yitzhak Berlovitz, directeur adjoint au Ministère de la Santé, en réaction à l’information donnée par Haaretz sur le jeune garçon menotté : « Nous avions en son temps échangé une correspondance à propos d’un cas semblable et vous m’aviez fait clairement savoir votre opposition au fait de mettre des menottes à un mineur d’âge hospitalisé, certainement lorsqu’il y a d’autres moyens de garantir qu’il ne prenne pas la fuite... »

La logique militaire en jeu dans le recours aux menottes ressort de la réponse donnée à Haaretz par le porte-parole de l’armée de défense d’Israël : mercredi passé, l’adolescent « a été vu en compagnie de deux autres adolescents... Ils avaient l’intention de lancer des cocktails Molotov en direction de véhicules israéliens ». Des soldats ont poursuivi les jeunes garçons. « Au cours de la poursuite, l’adolescent dont il est question a tenté de lancer un cocktail Molotov sur un soldat de l’armée de défense d’Israël. On a ouvert le feu en visant la partie inférieure du corps et il a été blessé... Son statut (à l’hôpital) est celui d’un détenu normal ».

Comme on sait, l’armée de défense d’Israël se place également au-dessus de tout standard juridique. Le porte-parole de l’armée de défense d’Israël formule ses réponses (qui sont la version des soldats et des commandants) comme s’il n’avait jamais appris qu’aux termes de la loi, « un individu est innocent tant que sa culpabilité n’a pas été démontrée ». Il n’ajoute même pas dans ses réponses la formule de précaution : « apparemment ». De son côté, l’adolescent a vigoureusement contesté le verdict du porte-parole de l’armée de défense d’Israël et a dit qu’il était en train d’aider son père à livrer une bonbonne de gaz chez un habitant de son village, Maadma. La réponse du porte-parole de l’armée de défense d’Israël reflète le rapport réel à tout détenu palestinien, même quand il a 14 ans : il est coupable tant qu’il n’est pas démontré qu’il en est autrement. Et il est très difficile de démontrer qu’il en est autrement.

Le parcours imposé à ce même adolescent était connu d’avance : après trois jours et demi d’hôpital, il a été transféré, dimanche, au centre médical des services pénitentiaires. L’establishment juridico-militaire maintient automatiquement en détention tout Palestinien suspect « jusqu’à la fin de la procédure ». C’est le sort également des enfants suspectés de jets de pierres et de cocktails Molotov, et pas seulement des meurtriers présumés. Si un avocat souhaite qu’ait lieu un jugement loyal, convoquer des témoins, mener un contre-interrogatoire des soldats, recouper des témoignages, trouver des contradictions, la période de détention jusqu’à « la fin de la procédure » est susceptible d’être plus longue que la peine d’emprisonnement qui sera appliquée au mineur. La pression du système sur l’avocat et le détenu, en particulier quand il s’agit d’un mineur et en particulier quand il est blessé, en vue d’arriver à une transaction (autrement dit à des aveux), est énorme. Et dans la justice militaire elle-même, l’armée de défense d’Israël, qui a blessé l’adolescent, est à la fois le plaignant, le témoin et le juge. Quant au jury, invisible, c’est le public israélien qui ne se fait aucune réflexion ni ne formule d’objection sur la qualité de l’institution militaire juridique dans les Territoires occupés.

Mais cette fois, quelque chose a capoté dans le parcours standard. Le père du blessé a rapporté à une militante de Machsom Watch l’histoire de son fils blessé et transféré dans un hôpital en Israël - sans qu’il fût accompagné d’un adulte proche, alors même qu’il ne connaît pas un mot d’hébreu ; la militante a averti l’association des Médecins dont un des membres, le professeur Zvi Bentwich, a informé le directeur de l’hôpital de la situation de ce patient menotté ; des militants de l’association des Médecins des Droits de l’Homme et de Machsom Watch ont rendu visite au jeune patient (passant outre à l’opposition des MP) et veillé à obtenir un permis de sortie pour son oncle. Un avocat de l’association des Médecins est immédiatement entré lui aussi dans la danse. Et voilà que cet adolescent, dangereux au point qu’il fallait le menotter en dépit de son état, cet adolescent qui aurait tenté de porter atteinte à des soldats, a été libéré lundi soir. Et a pu rentrer chez lui.

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)