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L’entrisme conjoncturel

Publie le vendredi 13 octobre 2006 par Open-Publishing

L’entrisme conjoncturel
par Jean-Loup Azema
Mise en ligne le mercredi 11 octobre 2006
C’est sans doute la première fois qu’un parti a lui-même organisé un entrisme dont les effets structurels risquent de perdurer par delà les effets conjoncturels de l’élection de 2007. Ainsi les 2/5ème des effectifs du parti socialiste (80.000 primo-adhérents sur 200.000) sont constitués d’entristes conjoncturels souhaitant peser sur la désignation interne du candidat PS .

Difficile de savoir s’ils resteront l’échéance présidentielle passée. Ceci dépendra sans doute du résultat de leur entrisme sur le choix du candidat PS , sur l’élection présidentielle et sur les changements internes qu’il aura provoqués dans le fonctionnent du parti . Car il est évident que ces sympathisants n’ont adhéré que conjoncturellement et qu’ils ne renouvelleront pas leur adhésion si le fonctionnement et les structures du parti ne changent pas . Donc future bataille entre les anciens et les modernes à prévoir ou à poursuivre puisqu’elle semble déjà entamée dans les préliminaires que constitue le choix interne par rapport à la pression externe . C’est en effet aussi, la première fois qu’un parti est soumis à une telle pression médiatique externe quant au choix interne de son candidat. Enfin, c’est la première fois que le candidat « naturel » de ce parti, son premier secrétaire, se trouve dans une configuration personnelle qui semble le mettre quasiment hors-jeu, y compris comme arbitre.

PEOPOLISATION ET POPULISME

Si ces deux termes péjoratifs sont souvent associés ou indifféremment employés, il convient sans doute, de les distinguer pour voir ensuite les effets de leurs rapports La peopolisation vise d’abord la médiatisation, le populisme surtout les thèmes utilisés. On est « people » si on s’exhibe ou si l’on est exhibé dans la presse du même nom, par opposition à la presse sérieuse destinée aux initiés. On est également people si on participe à des émissions audio-visuelles -chats et autres divertissements- du prime time grand public . En revanche on échappe à l’infamie de la peopolisation si on se contente des émissions politiques spécialisées ou de l’expertise confidentielle de France-culture. On est « populiste » si on transforme les faits divers, servant d’accroche aux chaînes grand public, en enjeux politiques intégrés dans une idéologie globale militante. Néanmoins il est évident que le populisme- comme fond de commerce- se sert toujours de la peopolisation et que la peopolisation- dans sa forme- a souvent des connotations populistes quant au fond. Débat éternel entre la fin et les moyens ...

DU VERTICAL A L’HORIZONTAL

Les enseignements du référendum sur le TCE nous obligent à dépasser les dualismes fond/forme et moyens/fins . Le « OUI » prôné par tous les partis de droite ou de gauche, à structure verticale et relayé par les media grand public, a été battu par le « NON » des réseaux horizontaux alter-éco-nationalistes de tous bords . Ce qui signifie que l’aller-retour de la base au sommet des structures représentatives pyramidales a été battu en brèche par un nouveau mode de circulation de l’information qui élimine au maximum ce que les spécialistes appellent le « bruit » (relais, intermédiaires , parasites etc.) . Ainsi l’idéologie à connotation populiste , anti-élitiste, anti-libérale et nationaliste a pu passer « 5 sur 5 », comme on dit, par la multitude des réseaux horizontaux d’internet . La dispersion des messages quand elle se focalise sur un enjeu, se révèle être beaucoup plus puissante que la diffusion des traditionnels centralismes « démocratiques » même relayés par les mass-media. Par contre-coup (feedback), ces appareils se trouvent depuis accusés de manipulation ou de « bourrage de crâne », à la mesure de leur propre résistance à ce qui les remet en cause (base contre sommet, peuple contre élite). Il en est de même plus généralement pour toutes les désolations pseudo-savantes et moralisantes sur « l’individualisme » et la perte du « lien social » qui, à leur corps défendant, participent à de nouveaux modes de relations et de sociabilité. L’instantanéité temporelle et l’ubiquité spatiale que permettent les nouvelles technologies de l’information (NTIC) créent en effet plus de communications inter-individuelles et de lien social qu’elles n’en défont. Ce qui explique leur succès. Ainsi la possibilité d’envoyer instantanément et partout des dizaines de messages est sans doute plus efficace (et écologique) que la traditionnelle distribution de tracts dans des boites aux lettres que les digicodes rendent de moins en moins accessibles. De même les réunions de sections ou de cellules où les « apparatchiks » monopolisent la parole d’un ton doctoral, sont de plus en plus désertées (1) au profit des chats et forums sur internet . A tort ou à raison la quantité d’informations disponibles en temps réel, semble rendre inutiles voire nuisibles les intermédiaires et les filtres « militants » qui n’ apparaissent au plus grand nombre, que comme des jeux d’appareils et/ou comme des carriérismes individuels. C’est ainsi que « l’expertise » de plus en plus nécessaire en raison de la complexité croissante des problèmes tend à se déplacer de l’individuel vers le collectif. Non pas comme simple « somme d’opinions » dont les sondages rendent compte, mais comme le résultat d’un « brain-storming » où les media et le net jouent alternativement le rôle de lentilles convergentes et divergentes (2). Les institutionnels opposent donc cette nouvelle « démocratie d’opinion » à la « démocratie représentative » usée sans doute d’avoir été trop (mal) utilisée. En ignorant les phénomènes de « feedback », ils renforcent ce (et ceux) qu’ils croient combattre . Plus je mets en garde contre les dérives populistes, plus je les alimente ; car toute personne prétendant échapper au « vulgus » en est d’emblée suspecte ! La collectivisation de l’expertise est à l’œuvre depuis longtemps dans la recherche fondamentale ou dans le management et l’on ne voit guère pourquoi le politique qui par essence concerne le collectif, y échapperait - sauf si son personnel désire conserver un régime spécial de fonctionnement , ce qui est voué à l’échec de l’inefficacité. Néanmoins, il serait dommage que les difficultés d’adaptation d’un militantisme aristocratique (3) -qui correspond à une époque révolue quant aux nouvelles exigences démocratiques- nous conduise après 2002 et le TCE, vers un nouvel échec en 2007 . Avec en prime, un surcroît de désintérêt pour un monde politique clos, coupé des réalités sociétales qu’il est censé à la fois représenter et dynamiser.

Jean-Loup Azéma (entriste conjoncturel 2006), 40 ans de vie en banlieue dont 20 d’enseignement en zone « sensible »

(1) Souvent dans les réunions, la hiérarchie (sympathisants < adhérents < militants < responsables) est encore renforcée par un dispositif spatial de type salle d’école primaire : le(s) maître(s) face aux élèves écoutant la bonne parole. La structure circulaire qui permet à chacun de voir tout le monde et d’avoir un égal accès à la parole, a pourtant été adoptée, depuis longtemps, par les universitaires et les « managers » de tous poils.

(2) C’est ainsi que le blog d’un professeur de lycée professionnel a été relayé par les média pendant la campagne du TCE et que plus ce blog a été critiqué, plus il a été diffusé sur le net.

(3) Dans le sens où l’on a pu parler d’aristocratie ouvrière. Mais il est aujourd’hui difficile de trouver dans nos réunions intra-classes moyennes, le « prolo » de service que l’on croyait défendre et au nom duquel on continue de parler. Les deux dernières générations ont heureusement pris la parole sans notre permission , avec les moyens dont ils disposent et qu’ils maîtrisent . Effet éminemment démocratique, sur les générations suivant celle de Mai 68 qui serait, de ce fait, devenu l’origine de tous nos maux actuels !

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