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L’espion est tout près

Publie le mercredi 15 mars 2006 par Open-Publishing

de GUGLIELMO RAGOZZINO traduit de l’italien par karl&rosa

Qu’avait-il en tête Silvio Berlusconi quand, le 12 janvier dernier, il promit d’aller voir les juges pour dire tout ce qu’il savait ? Que savait-il et, surtout, qui le lui avait dit ? C’était à’occasion, pour être bref, d’une rencontre à la télé avec Fausto Bertinotti, qui lui avait dit plus ou moins ceci : si vous savez que quelque chose d’illicite a eu lieu entre Bnl et Unipol allez le dire aux juges. Et Berlusconi promit qu’il irait. Une fois arrivé au tribunal, il déçut les attentes. "Je ne sais rien de pénalement important", dit il. Et il bredouilla quelque chose à propos de dîners du président des Generali avec des personnages politiques. La chose prit fin. Beaucoup pensèrent que Berlusconi, à sa façon, avait obtenu pendant deux jours la une des journaux.

Maintenant, nous pouvons imaginer une autre histoire. En tant que riche entrepreneur, il avait peut-être acheté (ou, en sa qualité de plus haut responsable des renseignements généraux, il avait peut-être été mis au courant) des écoutes de conversations téléphoniques à sensation dans le scandale bancaire. En passe de s’en servir, tout guilleret, il s’en serait vanté avec les siens. Et les différents Pierferdinando Casini, Beppe Pisanu et Gianni Letta, terrorisés, se seraient pendus à ses basques en le conjurant de laisser tomber, pour le bien de la droite. Et pour le bien de la république aussi.

Cette occasion manquée et le risque, évité à un poil prés, d’une grave crise institutionnelle, reviennent en mémoire au moment où explose le cas des interceptions professionnelles mettant dans le même sac les structures d’intelligence de l’Etat, le système oligopolistique des télécommunications, les boites d’espionnage privées et les fonctionnaires publics qu’elles salarient. Se dessine, avec le cas Storace, un système d’informations, recueillies et vendues ensuite à qui a intérêt à les tenir cachées, dans une forme très proche du chantage ; ou, au contraire, pour être divulguées et utilisées comme une massue sur l’adversaire politique (ou sur le rival de parti) et très bien payées, pour cela. Un système parfait. Financé en partie par l’Etat, mais pas avec de l’argent figurant dans le budget, à la connaissance du parlement ; autorisé, en partie, par la magistrature, pour contrôler les méchants ou les possibles dérapages.

Un système qui, une fois dépassée la phase d’incertitude du début, a su devenir autonome, s’est beaucoup élargi, a été capable d’avancer sur ses propres jambes (d’autres diraient : avec ses propres oreilles). Bref, c’est devenu un pouvoir dans le pouvoir, une machine apparemment hors contrôle. Depuis des mois, mieux, depuis des années, des nouvelles et surtout des conversations privées sortent et sont rendues publiques sans qu’aucun magistrat n’en ait donné l’autorisation. Elles ne servent qu’à susciter du scandale et de la réprobation publique, à interrompre des carrières bancaires ou politiques, à déplacer du consensus. Cela se vend et s’achète, très cher. Se dessine la société du chantage, puissante, irrépressible : une espèce de mafia aux contours imprécisés.

Les journaux, pour conclure, ont le plein droit de publier les informations qu’ils reçoivent, surtout dans certains moments de transition. La tâche de creuser dans le fumier, en cherchant, est la gloire de toute une tradition du journalisme (les muckrakers des temps anciens, le Washington Post qui révèle le trouble du Watergate). Mais cela ne suffit pas. Ignorer les lettres anonymes est une bonne norme. Ainsi qu’éviter les provocations, les faux messages, en contrôlant l’authenticité des sources ; ainsi que le but ultime du jeu où on finit par entrer. Et seulement après avoir accompli l’examen et pesé les questions de liberté et de justice, publier.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/10-Marzo-2006/art6.html