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L’extrême gauche s’impose comme une force de renouvellement

Publie le samedi 29 novembre 2003 par Open-Publishing
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http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-343958,0.html

Le sondage "Le Monde"-Cecop-CSA met en évidence le
changement d’image de la mouvance incarnée par Arlette
Laguiller et Olivier Besancenot. Jugée plus réformiste
que révolutionnaire, elle capte les nouveaux thèmes de
la contestation à gauche et fait peser une pression
sur le PS.
Révolutionnaire , l’extrême gauche ? Les Français ne
la voient plus ainsi - et ses propres partisans encore
moins. C’est l’un des enseignements principaux du
sondage Le Monde-Cecop-CSA sur "l’image de l’extrême
gauche", qui révèle un changement profond dans le
regard porté sur cette mouvance : seules 11 % des
personnes interrogées lui accolent le mot "révolution"
et 23 % celui de "révolte", quand une nette majorité
invoque les notions plus pacifiques de "contestation"
(41 %) et de "réforme" (19 %).

Parmi les sympathisants de l’extrême gauche eux-mêmes,
à peine 3 % parlent de "révolution" (10 % parmi les
électeurs d’Olivier Besancenot et d’Arlette Laguiller
à la dernière présidentielle), 26 % de "révolte" et
19 % de "contestation", alors que 50 % revendiquent
la "réforme". "Je suis tellement réformiste que je
suis révolutionnaire", expliquait récemment M. 
Besancenot dans un débat télévisé, sur France 5 ; il
semble que la première partie de son propos ait marqué
davantage que la seconde. Si bien que sur le terrain
du "réformisme radical" prôné par Dominique
Strauss-Kahn pour le PS, l’extrême gauche semble avoir
pris beaucoup d’avance...

L’enquête Cecop-CSA le montre, l’extrême gauche exerce
désormais une forte pression sur la gauche tout
entière et en particulier sur les socialistes, parce
qu’elle paraît réunir bien plus qu’eux les ingrédients
du renouvellement dont le choc électoral du 21 avril
2002 a révélé le manque cruel.

Le renouvellement sociologique, d’abord : parmi les
23 % de sondés qui se déclarent "très" ou "assez
proches"de l’extrême gauche, la proximité atteint son
maximum parmi les 18-24 ans (37 %) ; si elle est
pratiquement égale chez les cadres (25 %) et chez les
ouvriers (28 %), elle croît régulièrement selon le
niveau de diplômes : de 21 % parmi les sans-diplôme
à 29 % chez les titulaires d’un bac + 2. Au surplus,
42 % des étudiants et lycéens se sentent proches des
mouvements d’extrême gauche, de même que 31 % des
salariés du secteur public (contre 23 % des salariés
du privé). Jeunes, diplômés, étudiants, salariés du
secteur public : ce sont les catégories qu’avait
attirées à lui le PS au cours des deux dernières
décennies qui basculent à présent vers une sympathie
politique - sinon électorale - en faveur de l’extrême
gauche. Ce déplacement perceptible interdit, au moins
provisoirement, la régénérescence naturelle de
l’électorat socialiste.

La pression sur la gauche est aussi de nature
idéologique. Si le thème qui lui est le plus
volontiers associé - "la lutte contre les patrons" -
ne fait guère recette parmi l’ensemble des sondés, qui
le classent au 7e rang dans l’ordre de préférence des
dix thèmes cités, l’extrême gauche paraît avoir réussi
à préempter la "critique de la mondialisation" et la
"lutte contre les OGM -organismes génétiquement
modifiés-", respectivement classés aux 2e et 3e
rangs. L’extrême gauche traditionnelle - celle des
luttes contre les institutions accusées d’opprimer la
société (patrons, policiers, militaires) - apparaît
ainsi en recul, faisant place à un courant politique
engagé dans la défense des citoyens face à des
dérèglements qui excéderaient largement les frontières
du pays : les guerres comme la crainte des excès de
la mondialisation.

La pression de l’extrême gauche s’exerce enfin par ses
leaders, mieux installés dans le paysage politique et
visiblement complémentaires. Arlette Laguiller
continue d’incarner ce courant pour les ouvriers (34
%), les employés (33 %) et les sympathisants
communistes (44 %). Mais parmi les sympathisants
d’extrême gauche elle doit céder la première place à
Olivier Besancenot (33 % contre 50 % au jeune
dirigeant de la LCR), ce dernier étant
particulièrement identifié par les plus diplômés (35
% chez les bacheliers, 53 % au-delà de bac + 2), les
classes moyennes et les sympathisants des Verts. Cinq
fois candidate à l’élection présidentielle, Mme 
Laguiller se trouve même devancée chez les partisans
de l’extrême gauche par José Bové (38 %), qui
s’immisce dans le trio de tête des figures de cette
mouvance, se classant même en tête parmi les 18-24 ans
(33 %). Le député (Verts) Noël Mamère est cité par 15
 % des sympathisants d’extrême gauche, Marie-George
Buffet, secrétaire nationale du PCF, par à peine 3 %.

Ainsi représentée par trois personnalités à la
notoriété affirmée, l’extrême gauche balaie large :
ceux qui privilégient la lutte contre les patrons
mettent en avant Mme Laguiller ; ceux qui se
préoccupent des OGM ou de la politique des Etats-Unis
font souvent référence à M. Bové ; ceux qui
critiquent la mondialisation ou veulent défendre les
services publics identifient davantage M. Besancenot.

Serait-ce à dire que pour la gauche et le PS la
solution résiderait dans l’inclusion progressive de la
LCR, sinon de Lutte ouvrière, dans son système
d’alliance politique ? La perspective n’est pas si
évidente. D’abord parce qu’il n’est pas certain que
les partenaires putatifs veuillent d’un tel
rapprochement : sur cette question, les sympathisants
de l’extrême gauche se divisent à égalité entre
partisans (47 %) et adversaires (48 %) de listes
d’union à gauche au second tour des prochaines
élections régionales - dès lors que les listes LO-LCR
auront franchi le seuil légal des 5 % des suffrages
exprimés. En outre, les électeurs de la gauche
"classique" sont eux aussi divisés : seule une courte
majorité (53 % contre 42 %) d’entre eux se déclare
favorable aux alliances de second tour.

L’explication de cette hésitation réside peut-être
dans l’image fortement négative que gardent, aux yeux
d’une majorité de Français, les mouvements d’extrême
gauche. Si cette mouvance parvient, on l’a vu, à
capter une large part des forces de renouvellement de
la gauche, elle est encore perçue comme "néfaste" par
48 % des personnes interrogées (contre 38 %
seulement qui la jugent "utile"), et par 45 % des
partisans du PS (contre 45 %). Une majorité de sondés
considèrent, en outre, que l’extrême gauche n’est "pas
démocratique" (51 %) et qu’elle apporte "des idées
fausses" (52 %) plutôt que "des idées neuves" (30
%). Les sympathisants écologistes (à 46 % contre 35
%) et socialistes (à 44 % contre 40 %) le pensent
aussi.

Ces appréciations contrastées mettent en exergue la
contradiction qui enserre le PS : il ne peut plus
ignorer une force politique rivale dont les voix sont
indispensables à sa victoire dans les seconds tours
d’élection, mais il lui est impossible de s’allier
avec elle sans compromettre sa crédibilité de parti de
gouvernement.

A plus long terme, la gauche peut néanmoins espérer
faire revenir vers elle cette frange d’électeurs
jeunes et diplômés qui lui fait aujourd’hui défaut,
puisque celle-ci se révèle plus contestataire que
révolutionnaire, plus inquiète que nihiliste. Mais la
montée des extrêmes - à gauche comme à droite -
correspond aussi à une transformation profonde du
rapport au vote, de plus en plus vécu comme un
contre-pouvoir plutôt que comme une délégation de
pouvoir. Ces électeurs veulent davantage dénoncer les
maux du monde que rechercher les patients correcteurs
de ses imperfections. L’écart, là, n’est pas que de
génération ou de sensibilité, il porte bien davantage
sur la finalité de l’action politique.

Hervé Gattegno et Jérôme Jaffré (Cecop)


Une attraction sur les sympathisants du PCF

L’enquête Le Monde-Cecop-CSA met en lumière
l’attraction forte qu’exercent l’extrême gauche et ses
leaders sur l’électorat du Parti communiste (PCF),
dont 60 % des sympathisants se disent "proches" de
cette mouvance, qu’ils jugent "utile" à 62 %. Les
partisans du PCF reconnaissent en majorité (53 %) à
cette mouvance un caractère démocratique et son apport
d’"idées neuves" au débat politique. Bien plus que
l’ensemble des sondés (34 % contre 19 %), ils
accolent à l’extrême gauche le thème de la "réforme",
presque autant cité que celui de la "contestation" (36
 %) et nettement davantage que celui de la
"révolution" (15 %). Parmi les chefs de file de ce
courant, les partisans du PCF citent d’abord Arlette
Laguiller (44 %), puis Olivier Besancenot (31 %) et
Marie-George Buffet (20 %). Surtout, ils souhaitent à
une écrasante majorité (79 %) une fusion des listes
de gauche et d’extrême gauche au second tour des
prochaines élections régionales.

Document : l’intégralité du sondage

http://medias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/sondage_cecop_nov2003.pdf

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